Sergio LUZZATTO Partigia -Primo Levi, la Résistance et la mémoire
Sergio LUZZATTO
PARTIGIA
Primo Levi, la Résistance
et la mémoire.
(nrf essais, GALLIMARD, mai 2016, 458 p
Traduit de l'italien par Pierre-Emmanuel DAUZAT)
Ce livre d'"un des historiens contemporains les plus doués et inventifs"(4e de couverture) a fait couler beaucoup d'encre à sa parution en Italie en 2013. L'auteur y revient au début de sa longue postface à l'édition française (p 349-384).
Cet aspect des choses m'a particulièrement intéressé, car il met en cause des personnalités intellectuelles issues d'une histoire qui m'a touché personnellement. En effet les censeurs de LUZZATTO, mettant en cause l'intérêt et l'aboutissement de son travail autour d'un micro-épisode de la "guerre des partisans" de 1943-45, qui fut en réalité, comme en France, une véritable guerre civile, sont des anciens militants ou dirigeants de "Lotta continua", qui tel Erri de Luca, ne supportent pas la moindre entorse à la mythologie glorieuse de la "Résistance", qui fut leur référence, comme pour les "maos" français de la même époque, dans les années 70.
L'engagement actuel d'Erri de Luca, dans ce qui se présente aujourd'hui, et pratiquement sur les mêmes lieux que cet épisode, comme une "nouvelle résistance" contre le projet de Ligne à Grande Vitesse Lyon-Turin, ajoute une dimension supplémentaire à l'interrogation sur le rapport mythifié de cette génération à la violence.
Avec la complication soulignée par LUZZATTO, que beaucoup d'entre eux étaient des fils de "partisans" et que leur génération militante, sinon eux en personnes, a singé de façon assez lamentable la "lutte armée" des pères. LUZZATTO remarque (p 351) qu'"à Turin, précisément, des terroristes rouges avaient assassiné un ex-partisan – le directeur-adjoint de La Stampa Carlo CASALEGNO – qui était aussi le père d'un militant de premier plan de Lutte continue" (Le traducteur a pris le parti de traduire en français le nom du groupe).
Ainsi, au-delà de critiques que LUZZATTO juge "spécieuses et inconsistantes"(ibidem), cette réaction permet de poser le problème plus large, et seulement suggéré par le livre, du passage de "l'expérience vécue" à "l'expérience imaginée". Mais également, pour ce qui me concerne, la question récurrente du rapport à la violence dans la société italienne, en lien avec la culture machiste encore fortement enracinée et la force particulière du "crime organisé" dénoncée avec vigueur par Roberto SAVIANO.
Cet élément me semble important à prendre en compte par rapport à une autre interrogation que je commence à nourrir sur le devenir de la scène politique française, en comparaison de ce qu'a connu et connaît aujourd'hui l'Italie, avec son gouvernement Lega-M5Stelle.
Si nous admettons l'hypothèse d'une certaine similarité d'origine et de motivations entre les 5 étoiles italiens et les Gilets jaunes français, l'implosion des partis italiens et singulièrement ceux de Gauche, et celle des partis français, la survalorisation des leaders médiatiques et de l'exécutif là-bas comme ici, jusqu'où peut-on pousser la comparaison et donc oser un pronostic sur la France ?
Ce sera l'objet de mes prochaines lectures et réflexions.
PS : Dans tout cela, on en oublierait presque l'objet du livre : la reconstitution minutieuse de l'histoire d'un premier groupe de partisans dont faisait partie Primo Levi, dans une vallée alpine isolée, infiltré et intoxiqué par les fascistes, ce qui l'amena à exécuter deux jeunes garçons un peu excités accusés à tort d'être des agents provocateurs, avant d'être lui-même démantelé. Un travail d'historien exemplaire.