Riyad Al-Turk mémoire et conscience morale de la révolution syrienne

Publié le par Henri LOURDOU

Riyad Al-Turk, mémoire et conscience morale

de la révolution syrienne.

 

Le long portrait qui lui est consacré dans "Le Monde" daté 21&22-10-18, nous fait découvrir cette haute figure.

Tout récemment exfiltré de Syrie, ce vieux militant de 88 ans, "dont 20 passées dans les prisons syriennes", incarne bien toute l'histoire, et les errements actuels, du courant communiste en Syrie.

Militant précoce, il rejoint le Parti Communiste Syrien lors de ses études de droit à Damas. La Syrie, sous mandat français au titre de la SDN entre 1920 et 1945, est devenue indépendante malgré l'opposition de De Gaulle : c'est sous la contrainte internationale, et après avoir utilisé le canon et les bombardements aériens contre les populations civile, que les troupes françaises évacuent la Syrie le 17 avril 1946 (Jean-Pierre FILIU "Le miroir de Damas", p 228-229).

Cette épreuve de force guerrière a marginalisé le courant libéral et démocratique des indépendantistes, au profit de 3 forces qui vont s'affronter des décennies durant : les militaires, les Frères musulmans et les communistes.

En créant le parti Baas, la faction militaire dirigée ensuite par Hafez Al-Assad, a disloqué le Parti communiste, dont la direction "passe sous la coupe du Baas". Riyad Al-Turk, emprisonné et "sauvagement torturé durant quinze mois" comme de nombreux militants et dirigeants communistes entre 1958 et 1961, fait partie de la minorité qui refuse cette sujétion : "Avec quelques camarades, il fait scission pour créer le Parti communiste syrien-bureau politique, dont il est le secrétaire général."

Il critique l'intervention syrienne au Liban de 1976, qui va se traduire par l'occupation du pays jusqu'en 2005, où des manifestations monstres, suite à l'assassinat à la voiture piégée de Rafik Hariri, le premier ministre, obligent la Syrie à retirer ses troupes.

Son parti est rapidement interdit.

Les années 80 sont marquées par la révolte armée orchestrée par les Frères musulmans dans le Nord du pays (Alep notamment : voir le roman de Khaled Khalifa "Eloge de la haine").

C'est alors que Riyad Al-Turk, qui a refusé de condamner publiquement cette révolte, est arrêté et emprisonné sans jugement, le 28 octobre 1980. Il ne ressortira de prison que le 30 mai 1998.

Cette expérience de la prison, qu'il a en commun avec un autre grand opposant démocrate, Yassin Al-Haj Saleh, est déterminante.

C'est en effet à la fois une école de survie, et d'élèvement moral, qui lui permet, comme à Al-Haj Saleh de prendre du recul par rapport à son idéologie, alors que d'autres, au contraire s'y replient.

Il doit sa libération à l'action diplomatique de la France, dont les ambassadeurs "avaient pris l'habitude, à chaque entretien avec le président, de s'enquérir" de son sort.

Il n'en reste pas moins un opposant déclaré à la dictature d'Hafez Al-Assad.

La mort de celui-ci en 2000 crée la brève illusion d'une "libéralisation" sous la direction de son fils Bachar. Riyad Al-Turk n'y croit pas et le fait savoir. Cela lui vaut plus d'un an de prison de septembre 2001 à fin 2002. Et la seule "libéralisation" qui se produit est la privatisation de certains secteurs de l'économie qui deviennent la chasse gardée des "cercles affairistes gravitant autour du palais présidentiel".

Quand, en mars 2011, éclatent les premières manifestations contre ce régime autoritaire et corrompu, il les soutient avec enthousiasme. "L'absence de leaders politiques au sens traditionnel du terme n'est pas un problème, assure-t-il alors au Hayat (le grand quotidien libéral libanais). Au contraire, c'est un phénomène nouveau et positif après les révolutions du passé liées à des chefs charismatiques, des mouvements idéologiques ou à des coups d'Etat militaires."

Pour autant, il est parfaitement lucide sur les dérives qu'a connues cette révolution. Et il parle même d'une "erreur" quant au choix de faire alliance avec les islamistes. Cette erreur provient de l'urgence à résister à la violence du régime, et elle a été renforcée par les interventions extérieures de puissances telles que la Turquie, l'Arabie saoudite, le Qatar, et d'autres qui ont choisi d'armer les factions qui leur obéissaient au détriment des milices autonomes.

Le Parti populaire démocratique syrien dont il fait partie va alors commencer à évacuer ses militants clandestins. Lui-même, répondant aux objurgations de ses filles, réfugiées comme son épouse, décédée en 2017, en Occident, décide de franchir le pas.

 

Son bilan est double.

D'une part, le régime syrien n'existe plus. Si, par régime syrien, on entend Bachar Al-Assad, alors oui, il existe toujours, mais ce régime en tant que pouvoir dictatorial, appuyé sur une structure étatique, une armée et des institutions, s'est totalement effondré. L'armée syrienne s'est transformée en un assemblage de gangs, de pillards. Ce qu'il reste aujourd'hui de l'Etat n'est que le rouage d'un autre régime : celui d'occupation qu'ont instauré la Russie et l'Iran en intervenant en Syrie."

D'autre part, le choix de la lutte armée a été une erreur. "Il faut maintenant que s'organise une autocritique. Collective.Et publique. Sans quoi nous ne pourrons pas passer à une nouvelle étape de la lutte politique."

Car l'exil de ces centaines de milliers d'activistes qui ont survécu à sept ans de guerre, si douloureux qu'il soit, n'est qu'une étape. La Syrie libre et démocratique renaîtra.

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