Olivier RAZEMON Coment la France a tué ses villes

Publié le par Henri LOURDOU

Olivier RAZEMON

Comment la France a tué ses villes

Rue de l'échiquier, 220 p, octobre 2017, édition revue et enrichie.

 

 

Il s'agit donc de la réédition d'un livre paru un an plus tôt, et qui, nous dit l'éditeur, en 4e de couverture, "a révélé la dévitalisation des villes françaises et suscité un débat national."

L'auteur, journaliste indépendant, est un spécialiste de l'urbanisme vu sous l'angle des mobilités. Il tient un blog, "L'interconnexion n'est plus assurée" (transports.blog.lemonde.fr) qui est devenu, nous dit-on, "une référence sur le sujet de la mobilité."

 

Cette nouvelle édition comporte essentiellement une préface inédite datée de l'été 2017 et résumant les évolutions intervenues depuis octobre 2016, et 40 recommandations finales "pour comprendre la crise urbaine et y remédier".

 

Mais le coeur du livre est bien un long diagnostic de terrain sur la crise des villes petites et moyennes, en 5 chapitres, suivis d'un 6e en forme de préconisations.

 

Chapitre 1 : "Bail à céder" (p 21-44)

 

Il consiste en une description de l'état de 6 villes moyennes, basée sur un point de départ un peu approfondi concernant la ville de Saint-Étienne.

Le révélateur est un article du "Monde" de décembre 2014 qui suscite une polémique. Il portait sur l'importance des vitrines vides du centre-ville.

De fait, la commune a perdu 50 000 habitants depuis 1968 : de 223 000 , elle est passé à 170 000 en 2011, avec, pour la première fois une légère remontée à 171 000 en 2015 (https://fr.wikipedia.org/wiki/Saint-%C3%89tienne#D%C3%A9mographie)

Par ailleurs, son centre s'est paupérisé par rapport à la périphérie.

Ensuite, elle a souffert de "l'effet Geoffroy Guichard"(créateur du groupe "Casino") : chapelet de grandes enseignes le long de l'autoroute vers Lyon.

Enfin, "les gens ne marchent plus" : ils prennent leur auto pour tout.

Ces constats se retrouvent peu ou prou pour les autres villes évoquées : Béziers, Périgueux, Privas, ValenceTGV (ville- ?- nouvelle), Soissons.

 

Chapitre 2 : "Histoire d'un déclin" (p 45-60)

 

C'est à l'occasion des élections municipales de 2014 que l'on constate une crise spécifique des villes moyennes, avec une percée du vote FN dans ce que le géographe C.Guilluy popularise sous le nom de "France périphérique" avec un gros succès en particulier, mais pas seulement hélas, parmi les cadres du FN; le FN prend les mairies de villes comme Hénin-Beaumont, Hayange ou Fréjus, et s'approche du pouvoir à Perpignan.(il faut ajouter à ces villes Béziers, Beaucaire (Gard), Le Luc et Cogolin (Var), Villers-Cotterets (Aisne), Mantes-la-Ville (Yvelines), Le Monde, 1er-4-14, p8; ainsi que les 3 villes remportées par la Ligue du Sud dans le Vaucluse : Orange, Bollène et Cmaret-sur-Aigues).

Au-delà de cette percée de l'extrême-droite, l'ensemble des élus concernés s'emparent du sujet à travers l'Association "Villes de France" (regroupant 300 villes de plus de 15 000 h) qui réunit en mars 2016 un colloque sur le sujet "Faire vivre le coeur des villes".

Parallèlement, le ministère du Logement lance un "appel à projets" sur la revitalisation des centre-bourgs auprès des communes de moins de 10 000 h et retient 50 réponses.

En octobre 2016 paraït un rapport au Gouvernement sur la "revitalisation des commerces de centre ville", début 2017 un rapport sur l'état alarmant du patrimoine dans les quartiers historiques. Courant 2016, la Caisse des Dépôts et Consignations (Banque publique des collectivités) lance une démarche globale avec certaines villes moyennes comme Cahors, Lunéville ou Libourne.

 

De quoi parle-t-on ?

950 unités urbaines de 5 000 à 200 000 habitants en France métropolitaine , regroupant 3 695 communes et 18,2 M h en 2007.

Cette France des villes petites ou moyennes constitue le principal élément démographique de la France des villes, à côté de la France des métropoles (31 unités urbaines de 200 000 à 2 M h, regroupant 1 212 communes et 15,2 Mh) et de l'agglomération parisienne (412 communes et 10,3 M h).

 

Or le poids de cette France des villes petites et moyennes décroît depuis 1975 : les villes les plus touchées sont les villes industrielles du Nord et de l'Est, ce qui a d'abord fait croire qu'il ne s'agissait que du déclin des vieux emplois industriels; mais aussi de tout le pourtour du Massif Central, et surtout les agglomérations inférieures à 50 000 h. Et depuis 2007, la tendance s'élargit et s'accélère. La loi Notre (2015) qui opère des regroupements de collectivités autour des métropoles fait craindre une aggravation.

 

Mais en réalité, cette tendance à la crise des villes moyennes et des centre villes s'observe partout en Occident.

 

Il faut donc creuser le constat.

 

Ch 3 : "Les 7 plaies des villes moyennes" (p 61-80)

 

L'agonie du petit commerce Elle est mesurée par la vacance des pas-de-portes dans les centre-villes des 300 plus grandes villes de France par l'indicateur annuel Procos. Même si cet indicateur est incomplet, il montre une hausse globale du taux de vacance depuis 2000, et surtout un différentiel énorme selon la taille des villes : 6,9% pour les villes de + de 500 000 h contre 12,1% pour celles de – de 100 000, avec un écart qui ne cesse de croître.

La limite est que ce constat s'arrête à l'hypercentre, et ignore les quartiers du péri-centre (faubourgs) où le phénomène s'étend aussi.

Seules exceptions (qui peuvent faire réfléchir sur son origine) : les cités touristiques, la proche banlieue parisienne et les villes et bourgades isolées de montagne.

Déserts alimentaires On voit particulièrement disparaître les "commerces de bouche" de proximité, notamment les boulangeries, bars-tabacs-journaux, au profit de commerces et services d'usage non quotidien (agences immobilières ou d'intérim, banques-assurances, vêtements, ...)

Habitat vacant et nécrosé La hausse des logements vacants s'accompagne d'un défaut d'entretien et d'une dégradation. Cette vacance dépasse les 10% du parc dans les villes moyennes de la "diagonale du vide" qui part des Ardennes jusqu'au pied des Pyrénées centrales (pour une moyenne nationale de 8,3% en 2016 ). les taux maximum sont atteints à Tarbes et Béziers (17%) et à Vichy (20%) : "dans ces villes, la vacance locative atteint souvent le double de celle des communes périphériques" (p 66)

Le problème vient souvent d'une inadéquation de l'offre à la demande : logements trop grands, logements sur boutiques fermées et sans entrée indépendante, et d'une incapacité des propriétaires, parfois en indivision, à financer les rénovations nécessaires, d'autant que s'y ajoutent parfois dans les centres historiques, les obligations imposées par les Architectes des Bâtiments de France. D'où la dégradation (avec le fameux champignon mérule qui s'attaque à toutes les structures bois).

Ces difficultés encouragent la spéculation de certains agents immobiliers qui font miroiter parfois à tort les avantages fiscaux promis par certains dispositifs.

Fuite des riches Ils s'installent de préférence à la périphérie, ôtant ainsi des possibilités financières de rénovation des centres.

Crise du péri-centre Ces quartiers qui n'ont même pas de dénomination reconnue (anciens faubourgs urbanisés) sont les grands oubliés de politiques urbaines centrées tantôt sur l'hypercentre historique, tantôt sur la périphérie (banlieues et quartiers sensibles), or ils souffrent de plus en plus d'être de simples axes de passage automobile et de voir disparaître leurs services et commerces de proximité, facteurs essentiels de vie sociale.

Ghettoïsation et rumeurs Les effets de cette désocialisation sont une perte progressive de mixité sociale qui aboutit à une "conception territoriale du débat public" : le fameux "on est chez nous ! " des meetings FN s'appuie sur la perte de socialité liée à la présence de ces lieux d'échange et de mixité sociale que sont les commerces et services de proximité. Lors des élections européennes de 2014, "le vote frontiste décline linéairement en fonction du nombre de commerces et de services présents" (sur le territoire du bureau de vote), p 74.

Transports publics déficients Que ce soit en matière de cadences, d'horaires ou de trajets les transports publics ne répondent généralement pas aux besoins de la population des villes moyennes. Plus que la question du prix (et donc de la gratuité éventuelle), c'est donc à l'offre de transport qu'il faut s'attaquer pour éviter tous ces bus qui circulent tantôt à vide et tantôt (beaucoup plus rarement) bondés. "Dans les villes moyennes les transports publics ne constituent plus un outil d'aménagement du territoire, et deviennent une simple variable d'ajustement budgétaire." (p 78).

 

Mais une fois approfondis ces constats négatifs, quel est le meilleur levier d'évolution positive ?

Cela suppose d'identifier les responsabIlités.

 

Ch 4 : "Qui sont les coupables ?" (p 81-124)

 

Une comparaison édifiante : selon une étude de 2012, la répartition globale des commerces selon les trois espaces urbains concentriques (centre/faubourgs/périphérie) s'établit ainsi en France et en Allemagne :

 

France

Allemagne

Centre-villes

25%

33%

Faubourgs

13%

33%

Périphérie

62%

33%

Une véritable folie des centres et zones commerciales périphériques s'est emparée de la France : 2 M m2 de centres commerciaux ont été construits de 2006 à 2015 sur 134 sites ... et 5 M m2 supplémentaires seraient en projet au 1er-1-17 ! 90% des projets sont en périphérie et 10% en centre-ville, dans une optique spéculative d'optimisation comptable des promoteurs, car ces nouvelles surfaces sont comptabilisées à l'actif du compte de bilan, même si elles ne sont pas louées . Or, depuis 15 ans leur augmentation est supérieure à celle de la consommation des ménages : résultat, le rendement effectif de ces investissements baisse d'un point par an depuis 1995.

Or, cette spéculation est encouragée par les élus qui siègent aux Commissions Départementales d'Aménagement Commercial (CDAC) et qui votent quasiment comme un seul homme en faveur de tous les projets d'extension ou de création de grande surface qui leur sont soumis (projets supérieurs à 1000 m 2) : 75% des projets sont approuvés.

Une timide évolution s'amorce cependant avec la révolte de certains élus et petits commerçants.

D'autant que commence à apparaître le phénomène des "dead malls", les centres commerciaux qui se vident.

Mais parallèlement émergent de nouveaux projets grandioses visant à "réinventer" le concept de centre commercial. "Europacity" dans le triangle de Gonesse (95) et Val Tolosa dans la banlieue toulousaine en sont emblématiques. Ils sont tous deux significativement contestés par des collectifs citoyens mobilisateurs, en passe d'emporter la conviction de certains élus de poids, et d'autres mobilisations naissent sur des projets plus petits (Pézenas, Caen...). Et ces mobilisations se fédèrent dans un collectif national "Des terres, pas d'hyper !"(juin 2016).

 

Face à cette mobilisation nouvelle, des élus inventent de fausses stratégie de reconquête des centre-villes : ils invoquent la "complémentarité" supposée des commerces et services de centre-ville et de périphérie et une "montée en gamme" du centre pour y répondre !

Mais, pire que cela, d'autres, les élus FN-RN, pratiquent la "chasse aux commerces "allogènes" du centre"...pour y faire revenir les "Français de souche". Stratégie de gribouille qui ne débouche que sur une désertification accrue du centre !

 

Mais comment, en réalité, revitaliser les centres ?

 

Ch 5 : "On ne peut plus se garer" (p 125-149)

 

Cela passe par un arrêt de la minoration ou de l'ignorance pure et simple de la question des transports.

Or les timides avancées sur ce terrain sont régulièrement remises en cause.

Ainsi, après les élections municipales de 2014, de nombreuses majorités nouvelles, généralement de Droite ou du Centre, ont commencé à détricoter ce que leurs prédécesseurs généralement de Gauche et écologistes avaient initié pour faire reculer le "tout-voiture" et donner une place aux autres modalités de transports, au nom de l'idée que "tout le monde a une voiture" et de la baisse des dotations budgétaires de l'Etat

Ce recul est une facilité gestionnaire, car circulation et stationnement sont des variables faciles à modifier et peu onéreuses.

Or, l'usage immodéré de la voiture est à la source de ou favorise la plupart des problèmes urbains : disparition des commerces et services de proximité, bruit, pollution de l'air, coupures urbaines, vitesses dangereuses, emprise des stationnements..."trop de voitures tue la voiture"

 

Ch 6 : "Comment la France peut sauver ses villes" (p 151-187)

 

Liste non hiérarchisée de différentes initiatives ou propositions :

"Casser la machine à béton" : cesser de construire de nouveaux centres commerciaux.

Préempter les pas-de-portes et taxer les locaux vides (cf Périgueux 2017 : à suivre)

Taxer les parkings d'hypermarchés (proposition nationale du PCF)

Mettre en place des "managers de centre-ville" : bilan à faire

Promouvoir l'installation de nouveaux commerces et services : Réseaux "Initiative France", "Fédération des boutiques à l'essai"

Poser des diagnostics à travers des balades urbaines

Faire l'inventaire des déplacements réels

Plaider pour l'usage du vélo

Créer un espace public de qualité au centre-ville (qui passe par redonner sa place au piéton

et donc réduire les places de stationnement)

 

 

Publié dans politique, écologie

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