Hannah CRAFTS Autobiographie d'une esclave
Hannah CRAFTS Autobiographie d'une esclave
Édition établie, présentée et annotée par Henry Louis GATES Jr.
Traduite de l'anglais (États-Unis) par Isabelle MAILLET.
(Petite Bibliothèque Payot n°631, 2007, 362p.)
Dans cet ouvrage, paru aux États-Unis en 2002, il faut d'abord lire la passionnante présentation d'Henry Louis GATES Jr, universitaire de Harvard et spécialiste des études afro-américaines.
Elle montre bien tout d'abord à quel point le traumatisme de l'esclavage est loin de relever d'un passé révolu. Et donc à quel point il importe de retrouver la réalité de ce qu'il fut en rendant autant que possible la parole à ceux qui le subirent directement.
De ce point de vue, la rigueur dont témoigne sa quête pour établir les origines exactes de ce manuscrit, découvert par lui en 2001 dans un catalogue de vente de "documents imprimés, manuscrits et témoignages divers de l'héritage culturel afro-américain", est exemplaire.
J'en relèverai tout d'abord deux observations.
L'une sur les différences entre pseudo-témoignages rédigés par des Blancs abolitionnistes et témoignages rédigés par des Noirs, fait remarquer la persistance inconsciente, chez les premiers, des stéréotypes racistes : ainsi "dans le cas du seul exemple d'un récit féminin d'esclavage – Autobiography of a Female Slave de Mattie Griffith, publié anonymement en octobre 1856 (...) on peut lire : "Le jeune maître avec son teint pâle d'intellectuel, sestraits classiques,ses boucles brillantes comme le soleil et ses yeux bleus empreints de gravité, était à demi couché, évoquant l'image d'un ange de lumière, alors que les deux petits visages noirs semblaient emblématiques d'une humanité déchue, avilie."(p 13-14)
D'autres exemples, plus flagrants encore, sont cité comme la célébrissime "Case de l'oncle Tom" de Hariett Beecher Stowe (1852) qui fut à l'époque un authentique best-seller. (p 14-15)
Par opposition, les auteurs noirs se laissaient "rarement prendre au piège des connotations racistes associées aux esclaves, à la couleur de peau et aux "capacités naturelles" des personnes d'origine africaine, contrairement aux auteurs blancs qui adoptaient une voix noire pour narrer leur histoire." (p 15)
Et ceci explique sans doute le succès éditorial de ces derniers pendant longtemps par rapport aux premiers...
Car si l'esclavage a été aboli, les préjugés racistes qu'il a générés sont encore bien présents, hélas.
La seconde observation porte sur le caractère exceptionnel de ce manuscrit. C'est le premier roman connu écrit par une Noire, dont la date d'écriture peut être située entre 1857 et 1861. Et au-delà de ce caractère pionnier, c'est une voix "authentique" qui ne se soucie nullement de ce qu'attend le "lectorat blanc" : "Cette voix nous l'avons rarement entendue,voire jamais."( p 24). Et on y relève en effet des notations et réflexions particuliers : telles la réflexion sur le handicap que constitue le mariage dans la situation de servitude (p 224), ou celles sur les relations entre maîtresses et servantes (p 244 et 273)...
Par ailleurs, le roman obéit aux canons des romans de l'époque et associe préoccupations morales issues du christianisme et romanesque sentimental ou gothique. Avec une touche d'humour concernant les préjugés racistes (épisode du noircissement accidentel de la maîtresse, p 262).
Ajoutons à ces observations la question non résolue de l'identité de l'auteure. L'hypothèse la plus intéressante semble être celui d'une ancienne esclave du maître de l'esclave évadée Jane Johnson (1855) qui fut au coeur d'une affaire judiciaire célèbre : l'affaire Passmore Williamson "qui avait constitué l'un des premiers défis lancés contre le Fugitive Slave Act de 1850 "(p 41) : "Si nous n'avons aucune certitude sur le nom de l'auteure, nous savons néanmoins que ladite Hannah Crafts était mulâtre et autodidacte, et que l'ancienne esclave de John Hill Wheeler avait bien compris la dynamique à l'oeuvre dans ce système inhumain. Elle nous a offert un roman sentimental inspiré de son expérience de la servitude, mais qui est parfois rédigé de la manière la moins sentimentale qui soit."(p 77)
Et, faut-il l'ajouter, d'une lecture toujours agréable.