La financiarisation de l'économie : quelles réponses ?

Publié le par Henri LOURDOU

Comprendre avant d'agir :

La financiarisation de l'économie.

 

Aujourd'hui, il est largement connu et reconnu que cette tendance à prioriser les dividendes versés aux actionnaires a un double effet pervers : enfermer les entreprises dans le court terme et les priver de toute capacité d'anticipation et de projet compatible avec un "développement durable" d'une part; dégrader les conditions d'emploi et de travail des salariés et donc générer du chômage et du mal-être au travail d'autre part.

 

Mais prend-on bien en compte les origines et les raisons de cette financiarisation? Or c'est la condition pour agir efficacement contre ces effets néfastes.

 

Dans sa double page "Idées", le supplément "ÉCO&ENTREPRISE" du "Monde", daté 27-28 mai 2018, donne la parole à différents "experts" en réaction au rapport récent d'Oxfam sur la répartition des bénéfices des entreprises du CAC 40.

Si deux des 4 contributeurs viennent au secours de cet état de fait, selon eux bénéfique, les deux autres sont plus réticents.

C'est la contribution de l'un de ces derniers qui me semble la plus éclairante, car fondée non sur des idées préconçues, mais sur des faits.

Il s'agit du texte de Pierre-Yves GOMEZ, chercheur en management et professeur à l'EM de Lyon, intitulé "quarante ans de financiarisation de l'économie".

Son intérêt est d'analyser la genèse du phénomène dénoncé par Oxfam, et dont il commence par résumer la teneur.

Oxfam, dans son rapport intitulé "CAC 40 : des profits sans partage" publié le 2 mai 2018, établit en effet que sur 100 euros de bénéfice en 2017, ces grandes entreprises cotées ont versé 67 euros à leurs actionnaires, utilisé 27 euros pour réinvestir, et distribué 5 euros aux salariés. Parallèlement l'écart de rémunérations entre un dirigeant de ces entreprises et la moyenne de ses salariés est passé de 96 en 2009 à 119 en 2017.

L'auteur note au passage les "erreurs méthodologiques" et les "conclusions hâtives" d'Oxfam. Mais il ajoute aussitôt qu'elles n'invalident pas l'idée centrale d'un déplacement de valeur au profit des actionnaires. Une idée déjà corroborée depuis de nombreuses années par les statistiques qui s'accumulent.

Cela n'a donc rien de nouveau, "et on sait comment on en est arrivé là."

C'est pourtant sur ce point, déjà souligné par de nombreux analystes, que la pensée de gauche patine et renâcle à prendre en compte les problèmes à résoudre.

 

Et en effet, cela n'est pas aussi simple que certains voudraient le croire.

 

Car la source provient d'une loi étatsunienne de 1974, le "Employee Retirement Income Security Act" (Erisa), c'est-à-dire La Loi de Sécurisation des Revenus de Retraite des Salariés, qui a obligé les Fonds de Pension à diversifier leurs placements en introduisant en Bourse des sommes considérables d'épargne-retraite. Celles-ci ont été gérées par de nouveaux opérateurs : les "hedge funds". Ces sommes investies sur le marché se sont avérées "plus souples et moins chères que le crédit bancaire". C'est ainsi qu'entre 1975 et 1995, les marchés financiers ont pris le pas sur les banques pour financer l'économie. C'est ce phénomène que l'on a nommé "financiarisation de l'économie".

Le résultat pervers de cette dynamique a été la recherche systématique de "création de valeur pour l'actionnaire" afin de capter cette manne financière. Les "hedge funds" ont demandé toujours plus de garanties : "Les grandes entreprises ont dû leur fournir des indicateurs d'abord semestriels, puis trimestriels sur leurs perspectives de profits" et "la rémunération des dirigeants a été indexée sur les résultats financiers pour les encourager à servir la valeur pour l'actionnaire."

Et Pierre-Yves GOMEZ de souligner que, dans sa dénonciation des symptômes de cette "financiarisation des entreprises", Oxfam est encore "au-dessous de la vérité", en omettant d'autres techniques courantes telles que : "rachat d'actions par l'entreprise pour faire monter artificiellement le cours; fusions et acquisitions pour donner au marché l'illusion de la croissance."

Il confirme les deux principaux effets pervers de cette dynamique : "une intensification du travail (...) au risque d'épuiser cette ressource (burn-out, démissions "internes", perte de confiance...)" et une limitation de "l'autonomie stratégique des entreprises qui doivent s'ajuster sur les attentes court-termistes de marché à l'horizon au mieux annuel."

Ce second aspect se traduit par le sous-investissement, "le dogme de la réduction des coûts et de l'objectif trimestriel à atteindre". Avec le troublant constat, selon une étude du cabinet McKinsey sur la période 2002-2015 que, sur 600 entreprises étudiées, " les 23% qui ont maintenu une stratégie de long terme ont enregistré des performances supérieures dans tous les domaines."

 

 

Il semblerait donc relever du bon sens que de revenir sur cette pression à la performance actionnariale de court terme.

Or, cela suppose de mettre en cause le pouvoir d'achat des retraités de la "classe moyenne" des pays anglo-saxons dont les pensions sont garanties par les dividendes versés. En effet, 45% de l'actionnariat connu provient des "hedge funds" contre 17% pour les "fondateurs et leur famille", 9% pour les "petits porteurs" et 5% pour les "salariés"...Là est le premier problème politique à résoudre.

L'autre étant la question des sources de financement alternatives pour investir, qui pose la question de la mise en commun des ressources publiques au sein de la zone euro.

 

La gauche est-elle aujourd'hui capable de poser ces deux questions et d'y apporter des réponses ?

 

Syndicalement en tout cas, voici les réponses de la CFDT (résolution mise au débat de son congrès confédéral de début juin) :

Concernant le partage de la valeur et la stratégie d'entreprise :

Article 1.2.1.3.3 : "Dans les entreprises, la CFDT revendique plus d'équité et de transparence dans la répartition de la valeur créée entre actionnaires , cadres dirigeants et travailleurs."

Article 1.2.1.3.6 : "(...) Dans le cadre de la négociation sur la rémunération,, le temps de travail et le partage de la valeur ajoutée, les négociateurs CFDT doivent participer au choix des critères pris en compte pour en évaluer la pertinence. Ils veillleront en particulier à prévenir l'amplification des écarts salariaux et à les faire disparaître entre femmes et hommes."

Article 1.2.1.3.7 : "Cette négociation doit aussi être l'occasion de porter des revendications sur les augmentations en privilégiant les augmentations générales et les mesures collectives.(...) Dans tous les cas , les critères doivent davantage reposer sur des indicateurs extra-financiers favorisant la pérennité de l'entreprise à long terme.(souligné par moi)

Article 1.2.1.3.9 : "Parce que les mécanismes d'autorégulation sont insuffisants en matière de rémunération des dirigeants, la CFDT revendique une loi fixant un rapport maximal entre les plus hautes et les plus basses rémunération dans l'entreprise ou le groupe. Cette mandature sera l'occasion d'en préciser les modalités d'application. Sans attendre, cet objectif peut être abordé dans dans le cadre de la négociation sur la rémunération, le temps de travail et le partage de la valeur ajoutée. La CFDT revendique de véritagles accords de partage de la valeur pour s'assurer de l'équité des efforts demandés, comme du partage des gains obtenus."

Cet article a fait l'objet d'un amendement mis au débat lors du congrès : un syndicat refusait le passage par la loi pour imposer cette réduction des écarts de rémunération. L'amendement a été repoussé par 85,19% des mandats.

Concernant les investissements socialement utiles et les moyens d'investissement :

Article 2.1.3.1.3 : "Notre système de santé est un bien commun qu'il faut financer, quitte à repense rl'économie de nos prélèvements obligatoires pour les rendre plus progressifs, donc plus justes. La CFDT revendique une augmentation progressive des ressources destinées à la croissance maïtrisée et régulée des dépenses de santé. Par son assiette, la CSG est une ressource adaptée. La CFDT veillera à sa bonne affectation et à ce qu'elle ne soit pas source d'inégalité lors de sa mise en oeuvre."

Article 2.2.14.2 : "Au sein de la zone euro, il faut développer une capacité budgétaire propre, permettant de mener des politiques de convergence économique et sociale"(souligné par moi) (...)

Article 2.2.1.5.3 : "La CFDT revendique un plan d'investissement européen pour la transition écologique, énergétique et technologique. L'objectif est de développer des réseaux européens en matière de transport à faible émission de carbone, d'énergie propre, de communications, mais aussi la rénovation thermique des bâtiments, la coopération transfrontalière en matière de recherche et développement, etc" (...)

Article 2.2.2.2.1 : "Les bénéfices des entreprises doivent être imposés là où les activités économiques sont réalisées, donc là où la valeur est créée."

Article 2.2.2.2.3 : "Au niveau européen, la Commission européenne a proposé en 2016 un "paquet contre l'évasion fiscale" (...) La CFDT continuera, avec la CES, à faire pression sur les institutions européennes et les Etats membres pour faire aboutir cette législation."

Article 2.2.2.2.5 : "Pour que la société civile puisse agir, il convient d'améliorer la transparence et de rendre publiques les contributions acquittées par les entreprises (...) La CFDT continuera à travailler avec la Plateforme paradis fiscaux et judiciaires pour obtenir des avancées "(...)

 

 

Ainsi, le mouvement syndical prend conscience des enjeux et met en place des revendications en rapport avec cette financiarisation. Il serait bon que cette démarche se généralise, et , surtout, se concrétise. Car la dénonciation morale, sur fonds de surenchère verbale, ne suffit pas.

 

 

Publié dans syndicalisme

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