Elizabeth von Arnim Christopher et Columbus

Publié le par Henri LOURDOU

Elizabeth von Arnim

Christopher et Columbus

10-18 n°3313, 2001,

traduit de l'anglais par Alain Defossé.

 

Je dois à Anne-Yes, ma partenaire de lecture préférée, la découverte de cette auteure épatante.

Voici une adaptation résumée de la notice biographique qui introduit ce volume. Cousine de Katherine Mansfield (la seule écrivaine jalousée par Virginia Woolf), elle est née Mary Beauchamp en 1866 en Australie, où elle ne séjourne que trois ans. Elle passe sa jeunesse à Londres, où elle fait des études de musique. Elle fait ensuite un "grand tour" en Europe en compagnie de son père, où elle rencontre, en Italie, le comte Henning von Arnim-Schlagenthin, qu'elle épouse un an plus tard, en 1889, à Londres. Les deux époux s'installent à Berlin, le temps de faire cinq enfants (un par an), après quoi ils s'installent à la campagne, au domaine familial de Nassenheide en Poméranie (Prusse orientale). C'est là qu'elle écrit l'ouvrage qui la fait connaître, en 1898, "Elizabeth et son jardin allemand", "sorte de journal intime dans lequel elle confie ses réflexions sur la rudesse de cette Allemagne du nord et ses tentatives de création d'un jardin à l'anglaise", selon sa notice wikipédia. Suivent 21 ouvrages jusqu'en 1940, alternant entre le roman et l'écrit intime. "En 1908, des problèmes financiers obligent la famille von Arnim à déménager à Londres où le comte meurt deux ans plus tard. Elizabeth reste en Angleterre pendant encore deux années avant de s'installer en Suisse dans le Canton du Valais. Près de Randogne, dans son «Chalet Soleil», elle devient le centre d'une vie mondaine et entretient une liaison amoureuse tapageuse avec H.G. Wells". Elle épouse fugitivement le comte Francis Russell (séparation au bout d'un an en 1917, suivie d'un divorce). Elle quitte la Suisse pour les USA en 1939, où elle meurt en 1941.

 

Ce roman est le 8e publié en 10-18. Il est présenté, dans la version ici achetée d'occasion, comme "épuisé". C'est donc une auteure à redécouvrir. Et il semble que ce soit en cours, car ses romans sont réédités par différents éditeurs depuis 2011, souvent en format de poche.

Christopher et Columbus, publié en 1919, se passe aux États-Unis. Plus exactement dans un paquebot faisant le voyage entre l'Angleterre et New York, puis en Nouvelle Angleterre et en Californie. Ceci en pleine Grande Guerre, en 1916, alors que les États-Unis s'apprêtent à entrer dans cette Grande Boucherie.

D'un humour très fin et ravageur, c'est une critique, implicite mais d'autant plus ravageuse, des conformismes anglais et américain de l'époque. Ceci à travers les personnages naïvement cultivés de deux jeunes jumelles orphelines de 17 ans, dont le charme irrésistible révèle à la fois l'hypocrisie des sociétés et les aspirations cachées au bonheur de ceux qui en sont les victimes. A commencer par celui qui les prend sous sa protection dès la traversée, un self-made man resté tardivement célibataire de Nouvelle Angleterre, en voie d'émancipation de l'emprise tyrannique de sa mère.

Ayant la troublante particularité d'être nées d'un couple mixte (père aristocrate prussien et mère anglaise : on songe aux propres enfants de l'auteure...), les jumelles, élevées en Poméranie, n'ont rejoint l'Angleterre qu'à la mort de leur père. Éduquées par leur mère dans le culte de l'indépendance et de l'égalité des sexes, elles mettent à dure épreuve les préjugés de leur entourage.

Leur cohérence intellectuelle et leur naïveté les placent sans cesse en porte-à-faux, mais leur optimisme, leur courage et leur intransigeance, joints à leur charme, leur font passer tous les obstacles.

Outre celui des conventions sexistes, celui du nationalisme guerrier n'est pa sle moindre.

Sans apparemment y toucher, l'auteure nous livre la plus noire critique de cette Grande Guerre qui n'était pas encore la Première Guerre Mondiale.

C'est ainsi que nos jumelles entretiennent une correspondance avec un jeune officier anglais, suite à une annonce parue dans le "Times" (p 27-30). Sa première réponse suscite leur perplexité et leur malaise : il ajoute en effet, à la fin de sa lettre, le commentaire suivant : "C'est pour les braves petites Anglaises comme vous que nous combattons. Dieu vous bénisse. Écrivez-moi vite."

Elles lui écrivent donc en expliquant que "si on ne pouvait pas vraiment dire qu'elles étaient anglaises, on ne pouvait pas en revanche prétendre qu'elles fussent totalement allemandes. "Nous serions très contentes en fait d'être quelque chose" (en Français dans le texte), concluaient-elles.

"Mais leur lettre était partie depuis quelques jours à peine quand elles découvrirent dans le "Times", en consultant la liste des pertes humaines, que le capitaine John Desmond avait été tué."

Cette chute dit tout de l'absurdité inacceptable de cette guerre.

 

Mais ce n'est qu'un aspect mineur de ces aventures avant tout marquées par l'optimisme et l'appétit de bonheur de cette jeunesse irrésistible, confrontés à une mesquinerie et à une hypocrisie joyeusement défaites.

Une lecture revigorante.

Publié dans Histoire

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