Faire front (3) comment faire de la politique autrement ?

Publié le par Henri LOURDOU

Comment faire front face à Macron et à l'extrême-droite (3)

 

Comment "faire de la politique autrement" ?

 

 

Tentatives de réponses adultes au malaise démocratique

 

Je découvre dans le bulletin national du Sgen-CFDT de juin 2018, "Profession éducation", à travers une interview de Mathieu Niango, l'existence de l'association "A nous la démocratie" (https://anouslademocratie.fr/).

Cela traduit bien la profusion d'initiatives pour faire face positivement au malaise démocratique. Pour mémoire, j'avais déjà relevé en 2013 la tentative de Jo Spiegler et ses amis pour faire (re)naître la démocratie.

Tout cela n'a rien pour étonner un lecteur assidu et ancien de Gérard Mendel, et un lecteur plus récent des "Pathologies de la démocratie" de Cynthia Fleury.

Le "dégagisme" récent des élections législatives de 2017 a clairement illustré la force de ce malaise.

Mais sur le mode négatif : les électeurs ont à la fois repoussé la reconduction des mêmes, et les alternatives que représentaient respectivement le FN et LFI, plus qu'ils n'ont adhéré à un programme, celui de LREM...

Faire déboucher ce malaise sur des réponses largement partagées reste donc un défi à relever.

Pour cela, nous devons à la fois partir du constat de l'éclatement du champ politique, et des aspirations participatives encore diversement et inégalement exprimées des citoyen.ne.s.

 

La nature du malaise démocratique

 

Poser le bon diagnostic est déterminant pour le traiter. Or, en ce domaine, trop de militants politiques négligent ce temps nécessaire et vont directement à la "solution immédiatement disponible" qui leur semble la meilleure, en se persuadant que c'est "la bonne solution".

Nous avons là une des multiples causes du discrédit des partis dans notre pays.

Non qu'adhérer à un parti soit une erreur : loin de moi cette idée, moi qui adhère depuis maintenant 28 ans à un parti ("Les Verts" puis "EELV").

Mais adhérer ne suffit pas. Encore faut-il; à l'intérieur du parti, réfléchir et agir pour faire évoluer les pratiques de façon à rencontrer les nombreux militants syndicaux et associatifs, et les simples citoyens, dont les préoccupations sont en résonance avec le projet politique du parti.

Il faut donc interroger ce qui, dans nos pratiques, stoppe ou dissuade le processus d'adhésion de ces militant.e.s ou citoyen.ne.s.

 

Rapport au Pouvoir et "magouilles politiciennes" : diagnostic et remèdes

 

On sait bien que le rapport au Pouvoir est, dans les partis politiques, exacerbé. Il s'ensuit une concurrence pour les postes de pouvoir, proportionnelle aux chances de les occuper.

Ainsi, les candidatures à des élections où n'existe aucune chance de gagner ne connaissent généralement pas d'affluence. J'ai pu l'expérimenter à maintes reprises, ayant dû me porter candidat à de nombreuses élections locales ou nationales dans des circonscriptions où le scrutin majoritaire ne laissait aucune espoir à un candidat écologiste (élections cantonales ou législatives).

Par contre, les élections gagnables (scrutins de liste et proportionnel) voient une profusion de candidats où le choix doit être opéré entre les candidats (moins pour les candidates... mais ça évolue) à la candidature.

Ici se joue un jeu pas toujours clair et transparent pour les non-initiés. Ainsi, nous avons subi un lourd discrédit lors des élections régionales de 2010, lorsque notre tête de liste départementale s'est retrouvée non-éligible au profit du second de liste lors de la fusion des listes au 2d tour avec nos alliés de Gauche.

Cette "cuisine électorale" est assimilée à des "magouilles honteuses". Or, je puis témoigner qu'il n'en est pas toujours ainsi, même si ce n'est pas simple à expliquer.

L'explication, nous renonçons trop souvent à la donner au motif, qui me semble non satisfaisant, que la plupart de nos électeurs refuseront d'entrer dans cette complexité.

Il y a bien sûr une large part de vérité dans ce motif. Mais doit-on pour autant renoncer pour cela à notre engagement de transparence ?

Bien de mes amis me le concèderont, mais ils ajouteront un autre motif, qui pèse lourdement, je le vois tous les jours, sur les épaules des militant.e.s et surtout des élu.e.s : le manque de temps.

Ici l'argument est recevable. Et la réponse, me semble-t-il, est de démultiplier le nombre de nos militant.e.s et élu.e.s. Mais en attendant la mise en place de cette solution, et pour la hâter, que faire ?

Je ne vois guère d'autre solution que, comme je le fais dans ce texte à usage public, exposer aussi souvent et aussi clairement que possible la réalité de nos choix collectifs.

 

Sachez donc, amis lecteurs, que "Les Verts", puis "EELV", ont mis en place des procédures de désignation de leurs candidat.e.s aux élections qui se veulent démocratiques, car basées depuis longtemps sur la parité et la proportionnelle. Ainsi, en ce moment, les adhérents EELV ayant signé une motion d'orientation lors de notre dernier congrès sont en train de voter pour désigner des candidat.e.s à la candidature sur la future liste nationale EELV pour les élections européennes de 2019. Ces candidat.e.s seront ensuite soumis à un "comité du consensus" désigné par notre Conseil fédéral (élu au dernier congrès par les adhérent.e.s) pour constituer une liste complète comportant des candidat.e.s d'ouverture, issu.e.s de la "société civile", soumise à l'approbation du Conseil fédéral.

Pour les élections régionales évoquées précédemment, nous avons dû mandater une tête de liste pour négocier la fusion des listes entre les deux tours en tenant compte de tous les équilibres politiques au niveau régional, des exigences de nos partenaires majoritaires et des contingences électorales. C'est ainsi que notre tête de liste de 2010 s'est trouvée "éjectée" au 2d tour pour laisser la place à un homme du Partit Occitan...venu de Haute-Garonne.

En 2015, nous avons obtenu par contre l'élection de notre candidat, moyennant son expatriation au 2d tour dans la liste d'un département voisin. Tout bénéf pour nous, mais on peut comprendre la perplexité de certains électeurs de ce département...

 

La crise des partis et leur avenir

 

Donc, les partis ne font pas recette. Tous les sondages confirment cette méfiance généralisée.

Et certains ont commencé à mettre en place ce qu'ils considèrent comme des remèdes.

LREM : un mouvement "en marche" ?

A l'extrême-centre, le Président jupitérien a donc créé un "mouvement", "En Marche !" devenu depuis "La République En Marche" (LREM) : au départ club de supporters pour sa candidature, il est basé sur des comités locaux, accrédités par une direction nommée par le candidat. Porté par la vague présidentielle, il a vu élire de nombreux députés (plus de 300, dont beaucoup élus pour la première fois et issus de la "société civile") ce qui lui a apporté une manne financière considérable d'argent public. Car le financement public des "partis et mouvements politiques" est basé pour moitié sur le score de leurs candidats aux élections législatives, et pour moitié sur le nombre de leurs parlementaires (députés et sénateurs). Sa structuration et son fonctionnement ultérieur ont rejoint le fonctionnement classique d'un parti "présidentiel" : malgré le vernis moderniste (recours au numérique, tirage au sort d'une partie des responsables) il n'est guère sorti de son statut initial de "club de supporters", avec le corollaire obligé de "club de courtisans" pour ceux-celles qui visaient des postes...

LFI : activisme et syndrome sectaire

Le cas de La France Insoumise (LFI) est plus complexe. Lancée elle aussi comme un "mouvement" d'appui à la campagne présidentielle de Jean-Luc Mélenchon, elle s'est prolongée par un activisme débridé dans l'opposition à "Macron et son monde", en se pensant au départ comme "la seule vraie opposition" à la nouvelle majorité.

Cet espèce d'hubris (folie de la démesure selon les Grecs anciens) lui a joué quelques tours : ainsi en se posant comme l'organisatrice de l'opposition aux "ordonnances travail" à la rentrée 2017, puis en récupérant grossièrement la "fête à Macron" du 5 mai lancée par le député Ruffin, elle est apparue comme arrogante et sectaire aux yeux de beaucoup d'opposants à cette politique. Elle a corrigé tardivement le tir dans l'organisation plus ouverte de la "marée populaire" du 26 mai...mais en continuant à porter l'image ainsi créée. Ce qui a limité (mais d'autres facteurs sont aussi entrés en ligne de compte) la mobilisation.

Quand on parle avec certains de ses partisans, et qu'on lit ses publications, ou les déclarations de son leader (voir l'interview de Mélenchon au "1" du 18-10-17 ) on s'aperçoit qu'il s'agit de créer un espèce de "monde alternatif" qui aurait réponse à tout sans avoir besoin de s'allier à qui que ce soit : un mouvement "auto-suffisant"...qui débouche logiquement sur une mentalité sectaire.

Cela a beaucoup à voir avec que fut le Parti Communiste à l'apogée de sa puissance dans les années 50.

Et effectivement, malgré le contenu écolo du discours, on retrouve cette mentalité un peu parano de "forteresse assiégée", ce "serrage des coudes" autour du leader bien-aimé (culte de la personnalité mis à part : ce n'est plus de saison). Et cette même incapacité à penser la politique autrement qu'en termes guerriers : il y a Nous et l'Ennemi. Et donc tout ce qui se trouve entre les deux ou au-delà devient flou, voire disparaît. D'où un certain simplisme et une certaine agressivité latente...assez répulsifs pour tous les esprits réceptifs à la complexité et aspirant à la pacification des relations sociales.

Cependant, les militants LFI sont sur tous les fronts...et donc forcément obligés de constater qu'ils ne sont pas seuls à se battre, et qu'il faut composer avec d'autres.

C'est cet élément de la situation qui peut laisser espérer une évolution positive...pour peu que d'autres ne se laissent pas aller à les rejoindre dans la surenchère activiste et sectaire.

Par ailleurs, il faudrait en savoir plus sur le fonctionnement interne réel de ce mouvement et sur ses relations avec le Parti qui lui a donné naissance, le PG (Parti de Gauche), disparu le temps des élections, et qu'on voit réapparaître depuis peu. On pense aux pratiques trotskystes d'autrefois (Mélenchon et certains de ses proches sont issus de l'OCI, qui les a formés dans leur jeunesse) : l'avant-garde éclairée du Parti restait dans l'ombre derrière des "mouvements de masse" auxquels les militants du Parti soufflaient des orientations pensées et décidées en-dehors d'eux. Le modèle a-t-il vraiment disparu ? En tout cas, on peut raisonnablement penser que les militants du "mouvement de masse" ne se laisseront pas aussi facilement dicter leur conduite que "l'avant-garde" ne le souhaiterait. Ce qui n'est pas forcément rassurant, étant donné le caractère très hétéroclite et parfois ambigu des personnes rassemblées sous la bannière LFI.

Il y a donc autant de raisons de craindre que d'espérer dans l'avenir de LFI.

 

Les partis "traditionnels" de Gauche : PS, PRG, PCF, EELV

 

Commençons par le PS. C'est le plus "sonné" par la vague "anti-partis". Au pouvoir pendant 5 ans, il a littéralement implosé au printemps 2017, et perdu la plupart de ses députés, au point que les 30 survivants donnent l'impression d'être moins nombreux que les 17 nouveaux députés LFI.

Les dernières sénatoriales de l'automne 17 lui laissent 77 sénateurs qui composent le 2e groupe le plus important du Sénat, derrière LR (145 élus), et devant les Centristes(50 élus). Faut-il rappeler qu'il n'y a aucun sénateur LFI et que le groupe LREM n'en comporte que 21 ?

Il reste donc un tissu serré d'élus locaux PS qui n'ont pas rejoint LREM.

Que va-t-il en rester après les municipales de 2020 ? Il y a là un enjeu majeur pour ce parti. Or, il est pour l'instant inaudible et parasité par le retour médiatique de François Hollande autour de son livre-bilan/plaidoyer "Les leçons du pouvoir." Il lui faudrait, pour retrouver une audience, commencer par tirer lui-même collectivement ces "leçons" : donc se démarquer peu ou prou de son ex-dirigeant. Une tâche difficile, mais pas insurmontable, qui devrait l'amener à reconsidérer toute la séquence initiée en 1971 avec la "prise du pouvoir par Mitterrand".

 

Le PRG, butte-témoin indestructible du plus ancien parti politique français, le parti radical-socialiste, vient de se réconcilier avec son frère ennemi, le parti radical (dit "valoisien" car il avait gardé le siège historique du parti, rue de Valois à Paris), jusque-là allié à la Droite. C'est l'occasion de rappeler que ce parti de centre-gauche avait éclaté en 1972 autour de la question de l'alliance avec le PCF dans le cadre du Programme commun de la gauche, scellé par le nouveau PS de Mitterrand, qui avait (apparemment ) tout cédé, ou presque, au PCF.

Ainsi ce "nouveau" parti radical unifié a-t-il une vocation centriste, pour ne pas dire "macroniste", affirmée. Mais 50 ans de vie politique ne s'effacent pas aussi facilement d'une part, et d'autre part la politique centraliste, technocratique et jacobine, du Président ne s'accorde guère avec les gènes girondins et localistes de ce parti. Son caractère notabiliaire fait côtoyer le meilleur et le pire.

 

Le PCF, siphonné par LFI, lutte pour sa survie. Cela l'oblige à s'interroger sur son identité, avec une tentation de repli idéologique sur sa base marxiste et révolutionnaire, qui relève d'une forme de surenchère avec LFI. Une autre voie pour lui serait cependant de revenir sur sa mue ex-eurocommuniste inachevée, et de s'appuyer sur les nouveaux mouvements sociaux (féminisme, écologie, post-colonialisme...) dans ce qu'ils portent de critique radicale du capitalisme, tout en intégrant aussi la critique des échecs de la posture révolutionnaire avant-gardiste et la recherche d'une démocratie réelle préservant les libertés. Dans ce second cas de figure, il pourrait converger avec un PS rénové, la fraction restée de gauche du Parti radical, la base la plus politique de LFI et d'EELV sur un programme réellement commun de contrat législatif majoritaire.

 

EELV enfin est encore une fois à un tournant : ce parti peut régresser, comme le PCF, dans un repli identitaire, écolo-écologiste pour ce qui le concerne, ou bien s'ouvrir à une démarche d'alliance sans complexe avec une Gauche retrouvant le sens de ses valeurs fondamentales et approfondissant la démocratie.

 

Conclusion :

Quels que soient les partis, ils sont tous confrontés à la nécessité de sortir du court-termisme électoral et de la polarisation sur la seule élection présidentielle, qui l'un comme l'autre abaissent le niveau du débat politique jusqu'à le réduire à un pur spectacle.

Redonner du sens à la politique c'est se centrer au contraire sur le contenu des lois à promouvoir dans le sens d'un projet qui rencontre à la fois les vrais enjeux et les aspirations et intérêts de la grande majorité des citoyens. Cela passe par un refus total de la démagogie et une pratique sans concession du débat, mais aussi par un vrai travail de réflexion et d'information.

C'est cette façon de faire de la politique qui pourra réduire la part des ambitions personnelles à sa juste place. Cela suppose de l'investissement et de la persévérance de la part des citoyens de base, car cela ne tombera pas du ciel : comme le disait déjà une vieille chanson, dont on a eu trop tendance à oublier ce couplet, "il n'est pas de sauveur suprême, ni Dieu, ni César, ni tribun, producteurs sauvons-nous nous-mêmes"... Une autre, moins connue, précisait : "C'est le savoir qui forge la conscience" et "si l'énergie indique un caractère, la discussion en dit la qualité. Entends, réponds, mais ne sois pas sectaire, ton avenir est dans la vérité." Plus d'un siècle après, cela reste parfaitement valable.

N'attendez pas tout des partis, et en particulier pas un "candidat providentiel", mais n'en attendez pas rien car ils sont le levain indispensable à la pâte démocratique, apportez leur votre énergie et votre réflexion puisés dans l'action syndicale et associative, en vous souvenant qu'il s'agit de faire des lois dans un cadre démocratique en gagnant une majorité électorale,  et ne renoncez pas à vous faire entendre en écoutant aussi les autres.

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