Le Pouvoir est-il une drogue dure ?
Pour une politique de désintoxication des personnalités trop exposées
"Seldon hocha la tête. "Je suis toujours étonné
qu'on veuille devenir Empereur. - Aucun individu sensé
ne le voudrait mais la "pulsion impériale", comme on l'appelle,
est analogue à une maladie faisant perdre la raison à ses victimes."
Isaac ASIMOV, "Prélude à Fondation", p 367.
Je suis tombé sur l'article suivant concernant l'ancien Président Hollande, mais il fait écho à des réflexions concernant d'autres personnalités, plus ou moins retraitées (en principe ) de la politique : Manuel Valls, avec l'annonce surréaliste de sa candidature à la mairie de Barcelone, Daniel Cohn-Bendit et son irrépressible tendance à répondre à tous les micros qui se présentent, au risque de l'overdose de l'auditeur ou du lecteur...
Derrière tous ces cas se pose la question de fond de l'addiction à la célébrité, et au Pouvoir qu'elle donne : cet histrionisme ne serait-il pas le résultat d'une accoutumance pathogène ? Le Pouvoir est-il donc une drogue dure ? Et comment s'en émanciper ?
En tournée dans les librairies française depuis le 14 avril, François Hollande s'est arrêté chez Privat à Toulouse ce samedi 19 mai. Il fait la promotion de son livre "Les leçons du pouvoir" publié chez Stock mais c'est aussi l'occasion de rencontrer en plus des lecteurs, des amis et des sympathisants. A son arrivée environ 80 personnes étaient déjà présentes à la librairie.
Baisers, roses et selfies
En région toulousaine, les amis socialistes sont nombreux. Avant d'entrer dans la librairie pour dédicacer son ouvrage, l'ancien président reçoit baisers et roses et se prête volontiers aux selfies.
Il le reconnaît : "ici, il y a une tradition d'amitié, d'hospitalité et de socialisme".
On sent que cet accueil lui plaît et à la question d'une journaliste il explique " je l'ai dit dans le livre je ne me suis pas retiré de la vie politique". "C'est important qu'un ancien président continue à éclairer d'une réflexion ou d'une expérience ce qui se passe notamment dans la vie internationale".
Toulouse avant la Chine
Dans l'après midi François Hollande est attendu à la fédération socialiste à Toulouse.
La semaine prochaine il sera reçu par le président chinois Xi Jinping à Pékin, dans le cadre d'une visite en Chine de cinq jours. L' ancien chef de l'Etat se rendra jeudi 23 mai à Tianjin (nord-est) où il visitera notamment la chaîne d'assemblage final d'Airbus.
Dans cet édifiant article, on peut déjà relever quelques éléments d'analyse.
Tout d'abord, le syndrome histrionique (le sentiment d'être le centre d'attention) repose sur l'existence de "fans" en nombre suffisant pour se sentir "entouré".
Ensuite, il y faut des "relais institutionnels" : ici la fédération locale du PS, et des chefs d'Etat étrangers prestigieux (à défaut d'être fréquentables...).
Pour le reste, il y a à la base le "relais médiatique" qui officialise tout cela en lui donnant la consistance d'un "récit".
Ce "récit", quel est-il ? Cet homme (vous remarquerez qu'il y a peu voire pas de femmes dans ce genre d'histoires : voir la difficulté de Ségolène Royal ou de Cécile Dufflot à exister médiatiquement dans "l'après" pouvoir...et ce n'est pas faute d'avoir essayé) n'est pas "fini" : il rebondit après ses échecs ou perpétue un genre (cf Cohn-Bendit le sentencieux grand frère de tous les post-soixantehuitards).
Ainsi, ces "grands hommes" ont l'éternité (médiatique) devant eux. Dès lors, tout devient possible...en théorie du moins.
Par exemple, Hollande candidat réélu en 2022 ?
On est clairement ici dans le délire de toute-puissance. Un délire qui se voit aussi à l'oeil nu, malgré la moindre complaisance des médias -c'est normal, il construit son "histoire" sur leur dénonciation acrimonieuse- chez un Mélenchon. Car il se voit déjà, comme Mitterrand son modèle, vainqueur à sa 3e candidature...
Comment désintoxiquer les junkies du "Pouvoir" ?
1- Nous recentrer sur les questions de fond :
A notre niveau à nous, "les petits les obscurs les sans-grade", il y a un premier geste qui sauve : c'est celui d'arrêter de jouer les fans un peu jobards, toujours bien disposés à accueillir la parole du "grand homme", à venir le voir, à acheter ses livres, à commenter la moindre de ses prises de position...
Difficile, surtout quand il vous agace, ou qu'il vous fascine, mais pas impossible.
Faisons ensemble une cure d'abstinence des "célébrités politiques" et concentrons-nous sur le collectif....
Nous y découvrirons le plaisir que le bavardage autour des "petites phrases" de l'un ou de l'autre nous avait ôté. Celui d'une réflexion de fond sur la démocratie et son avenir.
2- En finir avec le modèle de la "Cour" :
Ce qui entretient, à un deuxième niveau, tous ces "grands hommes" dans leur délire est un entourage composé d'arrivistes pensant pouvoir bénéficier des retombées éventuelles de l'aura du "grand homme" : notoriété, prébendes et nominations éventuelles.
Dans sa dimension matérielle (les prébendes et nominations), cela repose sur le caractère centralisé et monarchique de la décision. C'est donc un effet du "présidentialisme" à la française, héritage frelaté de la monarchie absolue.
Rompre avec cet héritage, c'est militer pour une réforme radicale de la Constitution en faveur d'une République parlementaire digne de ce nom; où le chef du gouvernement procède d'une coalition parlementaire et donc de négociations et de compromis, et non de Dieu tout-puissant, si déguisé soit-il en suffrage populaire.
Il semble que Mélenchon par exemple, et quoi qu'il en dise, ait quelque peu oublié la priorité de ce combat. Et qu'il se complaise quelque peu à entretenir cet entourage de courtisans.
3-En finir avec l'histrionisme médiatique :
Enfin, concernant les "grands hommes" eux-mêmes, on ne peut que les inciter à réfléchir (pour les plus honnêtes d'entre eux, du moins, et je pense ici à Daniel Cohn-Bendit) aux effets collatéraux de leur exposition médiatique.
Je sais bien que d'autres ont déjà dû attirer leur attention là-dessus (j'ai encore relu récemment les remarques de ses camarades du Mouvement du 22 mars à Dany dès Mai 68, dans l'excellent livre de Patrick Fillioud "Le roman vrai de mai 68", Lemieux, 2016, 390 p).
Mais il n'est pas inutile à mes yeux de leur rappeler que leur propre exposition médiatique a pour prix le passage dans l'ombre d'autres personnes qui auraient aussi peut-être quelque chose d'intéressant, voire de plus intéressant, à dire qu'eux.
Ainsi leur sobriété médiatique aurait potentiellement pour effet d'enrichir le débat auquel ils prétendent croire.