Ecologiser et rassembler la Gauche ? Oui mais comment ?
Contribution au WE de réflexion stratégique d'E.U.R.O.P.A. (courant d'EELV dont je fais partie) des 2 et 3 juin
Je ne pourrai participer à ce week-end, mais je souhaite faire partager ma réflexion personnelle.
Vous trouverez donc ci-après un texte d'octobre dernier sous le titre "Ecologiser la Gauche, un défi impossible", suivi d'un post-scriptum visant à concrétiser la démarche qu'il définissait à la lumière des développements récents. Merci d'avance à toutes les personnes qui auront la patience de me lire jusqu'au bout.
Écologiser la Gauche, un défi impossible ?
La conférence de Christelle de Crémiers (Capitalisme et changement climatique : une société post-croissance) aux Journées d'automne d'EELV Occitanie, le 15-10-17, m'amène à me poser la question. Et donc à y chercher une réponse.
QUATRE POSTURES DE CRITIQUE DU CAPITALISME
Ce qui amène la question est la typologie qu'a faite Christelle, et qui est à mon avis fort juste, des différents types de critique du capitalisme.
Elle en relève 4, qui constituent tout l'arc représentatif de la Gauche.
-La critique conservatrice : on laisse le capitalisme faire son boulot, qui est de produire, et on se contente de peser sur la redistribution de ce qu'il a produit pour la rendre moins inégalitaire. Cette posture caractérise la social-démocratie.
-La critique artiste : on refuse à titre personnel de se laisser formater par les impératifs du capitalisme : productivisme, standardisation, consumérisme, destruction du capital naturel. C'est la posture anarcho-individualiste, qui caractérise par exemple le mouvement des Colibris, et un certain nombre d'écologistes refusant la "politique".
-La critique communiste : on se repose principalement sur la lutte des classes. On cultive donc le protestataire et la conflictualité, censés produire par eux-mêmes le dépassement du capitalisme, à travers "l'accoucheuse de l'Histoire" que serait la violence.
-La critique écologiste : on remet radicalement en cause la dynamique du capitalisme à travers trois questions qui obligent à le dépasser. Celle de l'irréversibilité des dégâts qu'il commet, celle de l'interdépendance des sociétés humaines entre elles et avec la Nature, celle de l'impossibilité d'un avenir soutenable pour l'humanité dans son cadre (perspective de l'effondrement mondial). Ce qui oblige à penser une transition consciente et pacifique au niveau mondial.
Or, si l'on passe à la traduction politique de ces critiques en restant dans le cadre démocratique et donc pacifique, la question qui est posée , et à laquelle nous devons impérativement répondre, est celle des majorités à construire.
Comment rendre possible la coexistence, au sein d'une même majorité, de ces 4 postures qui semblent a priori inconciliables ?
Ce qui rend possible de se poser la question, est à la fois la crise dans laquelle sont entrées les 3 premières postures et qui les rend réceptives à la 4e, et le caractère encore problématique et ouvert qui caractérise celle-ci.
En effet, la social-démocratie est en crise, et cela dépasse le seul cas du PS français. Partout le "modèle fordiste", qui fut son "Âge d'or", à l'époque des "Trente Glorieuses" (1945-1975), ne fonctionne plus. Car le capitalisme, spécialement dans les pays occidentaux, ne produit plus assez (de croissance du PIB) et génère de plus en plus d'inégalités.
Le communisme est en crise, matérialisée par l'effondrement du monde soviétique et le ralliement des survivants, spécialement la Chine, au capitalisme. Mais aussi de par la prise de conscience massive des impasses de la violence, et le ralliement de fait au modèle démocratique et pacifique du changement.
La critique artiste du capitalisme semble en plein essor, mais elle se heurte régulièrement à ses limites : l'absence de prise sur les décisions politiques qui brident son déploiement.
TROIS RÉPONSES à la question "COMMENT CONSTRUIRE UNE SOCIÉTÉ ÉCOLOGIQUE" ?
C'est ainsi que David Cormand, secrétaire national d'EELV, a tenté, dans le débat qui a suivi la conférence de Christelle, de construire une réponse à la question posée.
Rien, dans ce qu'il a dit, ne m'a choqué : ce qui montre bien que je ne me suis pas trompé de Parti en adhérant à EELV. Mais cela demande, bien évidemment, approfondissement et prolongements, dont je propose, ci-après quelques éléments.
Par ailleurs, Claire Dujardin, qui représentait La France Insoumise, et Salah Amokrane, qui représentait le M1717( aujourd'hui rebaptisé Génération.s) créé par Benoît Hamon, ont également montré où en étaient la partie la plus écologiquement consciente des héritiers de la posture communiste (LFI) et de la posture social-démocrate (M1717). En cela, ils nous donnent aussi des pistes pour répondre à la question.
La réponse de David CORMAND est d'à la fois assumer les conflits et de garder un climat démocratique bienveillant pour construire une alliance majoritaire. Et pour ce faire, articuler trois leviers :
-Celui des résistances aux dégâts du capitalisme
-Celui des alternatives concrètes
-Celui des régulations institutionnelles.
La réponse de Claire DUJARDIN est de pousser les conflits jusqu'au bout en construisant une alternative "systémique". Ce dernier adjectif a été récurrent dans son propos. C'est ainsi que si elle crédite le Revenu de Base d'être "une bonne idée", elle ajoute aussitôt qu'il n'est "pas applicable dans le système actuel." Il faut donc une offre politique radicale devenue majoritaire à elle seule pour mettre en oeuvre la moindre avancée.
La réponse de Salah AMOKRANE est d'investir davantage le terrain sociétal pour rendre accessible à tous le modèle écologique de société. En particulier le terrain des inégalités , à travers la question des quartiers populaires ethnicisés et de l'héritage post-colonial qui pose également la question de l'accueil des exilés qui arrivent en masse sur le continent européen.
COMMENT ALLER PLUS LOIN
Il me semble que nous pouvons trouver une clé opérationnelle pour rassembler toutes ces postures dans un pacte majoritaire qui ait du sens.
Cette clé me semble être la mise au centre de la question des droits et de la démocratie.
Cela passe par un petit détour sur le diagnostic de la situation politique.
Qui ne voit qu'aujourd'hui les 4 crises qui se conjuguent (crise financière, crise de la mondialisation, crise écologique et crise de la démocratie) convergent dans l'émergence d'une "grande régression" identitaire national-populiste ou religieuse et autoritaire, qui affecte tous les courants politiques.
Ainsi, dans le levier des "résistances", posé par David CORMAND, la question de la défense des libertés, de l'État de droit, et des droits humains est de plus en plus centrale.
Or, tel est le ciment qui peut unir les différentes postures critiques du capitalisme qui constituent la Gauche. Car ce n'est pas la seule dimension économique qui définit celle-ci.
L'Histoire nous montre que le moteur commun de ses différentes composantes est la double quête de la Justice et du Progrès.
Ce ciment "droit-de-l'hommiste" est opérant, comme on le verra plus loin à propos d'un sondage d'opinion. Mais il le sera d'autant plus qu'il sera revendiqué en commun.
Pour qu'il le soit pleinement, il faudra cependant dépasser le "luttisme de classe" de la tradition communiste en assumant la "bienveillance démocratique", ce qui signifie poser des limites à la conflictualité par la pratique du compromis institutionnel qui évite la violence. Mais il faudra également dépasser le productivisme de la tradition social-démocrate, ce qui signiifie cesser de sacraliser la croissance et le pouvoir d'achat, en acceptant des formes de décroissance et de remise en cause du mode de vie consumériste.
Ce qui permettrait à un "programme commun", bâti à partir de la question démocratique, de réunir ces 4 courants de la Gauche d'exister sur le terrain économique serait le compromis suivant.
Il s'agirait d'assumer ensemble la coexistence provisoire des règles du capitalisme encore dominant et d'un nouveau système économique encore minoritaire, voire marginal, auquel on concède un espace institutionnel lui permettant de vivre et de se développer. A travers la notion de "transition", la traduction politique de ce "programme commun" consisterait dans la mise en place de lois de "régulation" du capitalisme (qui resteront précaires, provisoires et conflictuelles), tout en permettant aux alternatives locales de vivre et de se développer (relocalisation de l'économie autour des trois enjeux alimentaire, énergétique et monétaire).
Mais, j'insiste, le moteur premier du rassemblement doit être la question des droits et de la démocratie, autour des différentes "résistances" à la "grande régression" en cours.
Ainsi le rassemblement s'articulerait bien autour des 3 leviers proposés par David Cormand. Mais de la façon suivante : d'abord sur la question des droits et de la démocratie à partir des "résistances" sur ce terrain; puis sur la question des "régulations" pour limiter les inégalités et les dégâts environnementaux; et enfin sur la question des "alternatives concrètes" permettant aux utopies de se concrétiser localement.
Dans ce schéma, disons-le clairement et assumons-le, les écologistes ne peuvent occuper le devant de la scène, mais doivent avoir toute la place nécessaire pour développer prioritairement le 3e volet : la mise en place des alternatives locales.
Car, on l'a compris (en tout cas j'espère), le capitalisme est au bout du rouleau, et l'on n'a pas d'énergie à perdre pour essayer de le sauver, comme l'a fait jusqu'à présent une social-démocratie qui est partout en crise. Mais on ne peut l'achever par une "lutte finale", comme le croient parfois encore (à tort) certains héritiers du communisme. Et il va falloir dépasser ces deux illusions...
POURQUOI POSER LA QUESTION DE LA DÉMOCRATIE ET DES DROITS COMME CENTRALE ?
Le pouvoir macronien a une apparence : celle d'un jeune homme omni-présent et dynamique, ayant un avis et la main sur tout. Il s'appuie sur un discours vantant la "verticalité jupitérienne" supposée répondre à la nostalgie des Français pour la monarchie absolue.
Mais il a une réalité : celle d'une Autorité en crise. Une crise profonde, née d'une dynamique double et contradictoire.
Tout d'abord la dynamique du Capital, productiviste, mondialisé et financiarisé, qui dissout tous les liens traditionnels de subordination, en imposant une accélération du rythme de vie et une marchandisation croissante de toute chose, tout en détruisant la biosphère et en déréglant le climat.
Mais parallèlement la dynamique démocratique de recouvrement du pouvoir sur leur vie de citoyens mus par l'idée de l'égalité des droits, mieux informés, mieux soignés et vivant plus vieux, et disposant potentiellement de plus de temps.
Le résultat est une opinion divisée, troublée et incohérente, mais dotée d'aspirations positives avec un réel potentiel majoritaire pour une Gauche rassemblée sur le terrain de la démocratie et de la promotion des droits humains.
Mon hypothèse est que la division actuelle de la Gauche sur le terrain économique nourrit le trouble et alimente les incohérences. Et que c'est en se rassemblant sur le terrain de la démocratie et des droits qu'elle pourra dépasser ses divergences sur les autres terrains.
Je m'appuie, pour affirmer cela, sur une des enquêtes les plus sérieuses sur les opinions politiques, "L'enquête électorale française" du Cévipof, portant sur près de 15 000 personnes inscrites sur les listes électorales, et dont la 15e vague de fin mai 2017, dans son "module attitudes", montre un libéralisme culturel majoritaire et bien ancré et des crispations autoritaires liées à la situation sociale. Mais également une bipolarisation Gauche/Droite très claire sur ces sujets sociétaux.
https://www.enef.fr/donn%C3%A9es-et-r%C3%A9sultats/
Il apparaît en particulier, à la lecture de ce sondage, que l'électorat LFI est bien plus proche des électorats PS ou EELV que de l'électorat FN...et notamment sur l'immigration et sur l'UE. Ainsi, la théorie des "deux Gauches irréconciliables" en prend un sacré coup.
Il apparaît également que le pari mélenchonien de "récupérer" l'électorat populaire parti au FN est perdu. Tous les signaux subliminaux de type nationaliste du candidat JLM (la mise en avant du drapeau tricolore et l'exécration du drapeau européen; la mise au second plan de la question de l'accueil des exilés et la dénonciation ambigüe du statut de travailleur détaché) ont été vains : les électeurs populaires du FN sont restés au FN.
Il faut donc que la Gauche affirme clairement ce qui l'unit : la défense intransigeante des libertés et l'affirmation des droits de toutes les minorités opprimées; mais également -plus difficile sans doute pour qui se pense en futur Président de la République- son choix radical en faveur de la République parlementaire et donc son refus de cautionner le présidentialisme en se présentant aux élections présidentielles (plutôt que d'appeler à leur boycott ou plutôt à l'appel à battre le pire des deux candidats du second tour : un enjeu nouveau qu'il va falloir affronter).
Face aux régressions autoritaires en cours (légalisation de l'état d'urgence permanent, nouvelle loi sur l'immigration en gestation et pratiques restrictives et violentes déjà à l'oeuvre) la Gauche peut et doit se rassembler. Ce premier pas est indispensable pour aller plus loin : vers un programme commun vraiment assumé par tous les partenaires, dans le cadre d'un pacte de législature pour 2022.
Texte de fin octobre 2017, relu et corrigé à la marge.
Post scriptum du 20 mai 2018 :
Comment se rassembler à gauche ?
La mise en place d'une manifestation quasi-unitaire le 26 mai ("La marée populaire") pose la question des modalités du rassemblement.
Alors que les protestations et les résistances se multiplient contre la politique gouvernementale, la tentation est grande de "globaliser" le mécontentement en additionnant tous ces mouvements sociaux.
Mais cette volonté se heurte à une difficulté : celle du refus de la majorité des organisations syndicales (dont 4 des 5 confédérations représentatives) d'entrer dans une logique de partis politiques, et aussi de nombreuses associations regroupées dans les "Etats généraux des migrations".
Ce constat amène à s'interroger sur l'opportunité de cette manifestation : va-t-elle renforcer et élargir les mouvements sociaux ou les affaiblir en les cantonnant au périmètre actuel de ce qui reste de la gauche (moins le PS qui a refusé, paraît-il, de s'y associer au niveau national, et n'est donc pas invité au niveau local,... ce qui semble satisfaire les autres participants) ?
Cette question trouvera rapidement sa réponse. Qui sera le recul global ou non du gouvernement sur la plupart des réformes en cours...
En attendant, le groupe local EELV 65 a choisi de décliner l'invitation après débat collectif, contrairement à EELV au niveau national, qui ne communique cependant pas sur cette initiative (voir son site www.eelv.fr).
En effet, la méthode consistant à agréger le maximum de composantes en juxtaposant leurs spécificités peut-elle produire des effets attractifs ?
On a déjà connu cela dans le passé. On pense par exemple au rassemblement sur le Larzac de l'été 2003. Celui-ci, peut-on penser, a nourri la dynamique du "non" au Traité Constitutionnel Européen de 2005, et donné naissance aux "comités unitaire anti-libéraux" dont on connaît le destin politique : deux candidats différents aux présidentielles de 2007 (Marie-Georges Buffet et José Bové : moins de 2% des voix chacun).
On m'objectera que la situation politique a radicalement changé : explosion du PS, émergence de LFI. Mais quelle analyse peut-on faire de ce changement ?
Si l'on s'en tient au résultat des dernières élections (présidentielles et législatives de 2017), on doit constater que l'émergence de LFI n'en fait pas pour autant un parti aussi rassembleur que le fut le PS.
Ainsi, avec 19,58% des voix au 1er tour, JL Mélenchon n'est arrivé qu'en 4e position, alors que Hollande en 2012 en avait rassemblé 28,63% et était arrivé en tête du 1er tour.
Certes ce score reposait sur bien des flous, des ambiguïtés et donc des malentendus, dont le président Hollande a fini par payer le prix. Mais le candidat Mélenchon en était-il totalement exempt ? Et n'est-ce pas au fond aussi le prix à payer pour faire un score aussi élevé ?
Plus inquiétant, le total des voix de gauche n'a jamais été aussi bas. La raison en est, bien entendu, le détournement d'une partie de l'électorat PS par le candidat Macron.
Cela pose la question de fond, qui ressurgit pour ce 26 mai 2018 : La gauche anti-PS peut-elle rassembler la gauche et au-delà une majorité à elle seule ?
Quel que soit l'état lamentable dans lequel se trouve aujourd'hui le PS, il me semble clair qu'on ne peut faire l'économie de son ralliement pour opérer un véritable rassemblement.
Mais, au-delà de cette question, qui n'est pour moi que seconde, la capacité d'une démarche de type protestataire à produire une alternative politique en amalgamant actions syndicales et associatives à une offre proprement politique censée les prendre automatiquement en compte constitue un sujet de réflexion majeur.
Il est temps de rompre avec cette vision des choses venue des traditions social-démocrate et communiste et basée sur le concept marxiste de la lutte des classes comme seul moteur de l'Histoire.
Il est temps de distinguer la dynamique propre des mouvements syndicaux, ou associatifs de celle des partis politiques dans une démocratie. Et de penser leur articulation autrement que par le seul concept de "convergence des luttes".
Ce que les Etats généraux de la transformation écologique devraient mettre en oeuvre, c'est une claire distinction des rôles entre partis et syndicats ou associations et une prise en compte proprement politique des apports du mouvement syndical et associatif à une définition démocratique de l'intérêt général. Autrement dit, une mise en évidence du rôle spécifique des institutions politiques, qui réhabilite la place des partis dans une démocratie.
Il en découle une démarche de rassemblement politique centrée sur les discussions programmatiques entre partis sur la définition d'un contrat de législature (qui aille bien au-delà du pseudo-accord EELV /PS de novembre 2011, bricolé en quelques mois par des discussions au sommet entre quelques dirigeants, et désavoué, à peine conclu, par le candidat PS aux présidentielles).
Cela suppose de redonner aux élections législatives la première place dans notre stratégie politique et de laisser de côté les présidentielles et le serpent de mer de la primaire unitaire, et a fortiori d'une primaire écolo.
En ce qui concerne les Européennes de 2019, la même logique doit nous conduire à une stratégie de rassemblement de toutes les forces qui peuvent tirer dans le même sens au PE (défense des droits humains et fédéralisme) tout en gardant notre ancrage propre au sein du PVE : cela pourrait se traduire par une campagne en partie commune sur certains thèmes à identifier (je pense en particulier à la question clé de la politique migratoire), en fonction du programme des uns et des autres. Et ce serait une façon intelligente de gérer le passage d'une élection à l'autre, en construisant les convergences progressivement.