Les limites de l'écologie intégrale
Les limites de l'écologie intégrale.
L'excellent Nicolas Truong, animateur des pages débats du "Monde", nous propose deux pages plus ou moins stimulantes dans le n° daté du 13-4-18, consacrées à ce courant d'origine catholique traditionaliste baptisé "écologie intégrale", sous le titre accrocheur "L'écologie intégrale, nouveau concept de la droite" .
Passons rapidement sur le moins stimulant, la (trop) longue interview d'Elisabeth Badinter dénonçant "La sainte alliance des réactionnaires". Celle-ci nous a énervés quant elle a commencé à alimenter le moulin des néo-réac; aujourd'hui elle nous fait rire quand elle découvre soudain le monstre qu'elle a contribué à enfanter : c'est le gag inusable de l'arroseur arrosé... Passons.
Plus stimulant est le défi intellectuel lancé par Mariane Durano, "philosophe, membre fondatrice de "Limite, revue d'écologie intégrale" et auteure de "Mon corps ne vous appartient pas" (Albin Michel)." Son texte, intitulé "Pour une alternative radicale au monde des technosciences", pourrait quasi intégralement être signé par l'écologiste de gauche que je suis.
En effet, la critique de la pseudo-neutralité de la technique est au fondement de nos engagements. Sauf que la critique ne s'exerce pas ici au nom de la défense des droits humains en tant que projet d'émancipation, mais au nom d'une "nature humaine" supposée invariante et éternelle, car découlant de la création divine.
Et c'est ici que surgit le débat entre deux visions antagoniques de l'écologie. La vision progressiste et égalitaire-libertaire, qui est celle de la gauche; et la vision traditionaliste patriarcale-autoritaire, qui est celle de la droite.
L'invocation du texte du pape François "Laudato si" sert de caution religieuse à une vision politique au service d'un "ordre social" conçu comme "naturel". On passe ainsi de l'écologie naturaliste, science des interactions entre les éléments naturels et les espèces vivante, à une écologie politique qui prétend fonder l'ordre social sur des hiérarchies naturelles et des limites biologiques justifiant ces hiérarchies. Une écologie politique de droite.
Encore une fois, le clivage Gauche/Droite, que tous les populismes prétendent jeter aux oubliettes, montre sa pertinence.
Et c'est bien sur les questions liées aux identités de genre que ce clivage est le plus manifestement opérant.
En particulier sur la question de la Procréation Médicalement Assistée (PMA) et de la Gestation Pour Autrui (GPA, rebaptisée ici Gestation Par Autrui).
Il est hautement significatif de constater que ces pratiques ou techniques sont condamnées soi-disant au nom d'un refus de la "marchandisation du vivant", donc sur un argument apparemment de gauche.
Et cela entretient en effet une confusion qui a conduit certaines personnalités de gauche à prendre publiquement partie contre.
Or, ce faisant, ces bons esprits, comme on l'a déjà souligné ici, opèrent deux impasses.
La première est de postuler implicitement que la soumission des pratiques sociales aux lois du capitalisme serait une fatalité. Ce qui est faire l'impasse sur toute l'histoire du mouvement ouvrier.
La seconde est d'omettre que ces pratiques ou techniques sont indispensables aux couples homosexuels désireux d'enfanter, ou aux couples stériles pour d'autres raisons. Autrement dit qu'elles peuvent et doivent avoir pour finalité d'établir une égalité des droits de tous les couples devant la parentalité.
Ce qui rejoint le débat plus ancien sur le droit à l'IVG en établissant que la relation parents-enfants ne repose pas sur la "nature" mais sur un libre engagement fondant des liens affectifs autrement plus solides et plus sains que la seule contrainte "naturelle".
Si la question des "limites" est en effet une question centrale de l'écologie, elle ne saurait être étendue au-delà de ses propres limites. A savoir celles des ressources non renouvelables qui conditionnent la vie humaine, et celles du respect du droit de chacun à choisir son chemin de vie sans attenter à celui des autres.
En posant un soi-disant "ordre social naturel" qui attente à ce respect, "l"écologie intégrale" franchit une limite où nous refusons de la suivre.
Enfin, pour éviter le reproche, parfois fondé, d'un "manichéisme" opposant une Gauche par essence vertueuse à une Droite par définition porteuse de turpitudes, j'ajouterai qu'il est clair pour moi, et qu'il devrait être clair pour toute personne se disant de Gauche, que notre histoire politique porte sa part d'ombre, tout comme l'histoire de la Droite.
De la Terreur aux crimes du stalinisme et ses divers rejetons en passant par les errements anti-sociaux ou coloniaux de la social-démocratie, et le techno-productivisme des deux, nous avons de quoi nous poser à nous-mêmes quelques questions.
Cela n'invalide pas pour autant la visée progressiste, égalitaire et libertaire qui fonde l'existence d'une Gauche structurant le débat démocratique face à une Droite basée sur la tradition, la hiérarchie et l'autorité.