Nouvelle de printemps : Un premier succès de la police de proximité
Je dédie ce petit travail d'écriture
à Sara Lövestam, écrivaine suédoise.
Un premier succès de la police de proximité et du quotidien (PPQ).
"Mais où est passé mon vélo ?", avait dû se dire (en Langage Des Signes ?) le plaignant auquel Magret était à présent confronté.
En cet été toulousain étouffant, il eût été pourtant hautement improbable qu'un demandeur d'asile afghan sourd et muet puisse être présenté comme plaignant au fameux commissaire Magret.
Mais un ensemble de circonstances avait concouru à cet événement.
Tout d'abord, le plaignant, un certain Kouplan, s'était trouvé fort contrarié de ne pas retrouver le vélo qu'il avait garé en face de la gare Matabiau, devant justement la "Maison du vélo". Venu déposer officiellement sa demande au Guichet Unique des Demandes d'Asile depuis Séméac (Hautes-Pyrénées), il avait emprunté le vélo communautaire, offert par un membre du "collectif des Séméacais pour l'accueil", aux résidents de l'ancien Formule 1 transformé depuis l'été 2017 en foyer d'hébergement "low cost" pour demandeurs d'asile. Ceci afin d'économiser sur les frais de transports en commun dans la ville rose.
C'était donc pour lui une question d'honneur de retrouver à tout prix ce véhicule.
Venu au Commissariat central, accompagné de son interprète bénévole en Langage des Signes de la Cimade, il avait provoqué d'autant plus d'émoi dans la maison qu'une délégation officielle, venue promouvoir la nouvelle "police de proximité et du quotidien", était dans ses murs. L'affaire était donc remontée au plus haut niveau.
Et c'est ainsi que Magret, conseiller spécial du Président, s'était emparé du sujet.
Un vol de vélo, quoi de plus banal ? Même pas de quoi enregistrer une main-courante...
Mais quand le plaignant est un demandeur d'asile, quoi de plus tentant, pour un conseiller spécial féru de communication, que de vouloir montrer la double sollicitude du gouvernement envers les victimes des incivilités quotidiennes, et envers les"vrais demandeurs d'asile" dont ce même gouvernement est accusé de ne pas suffisamment prendre en compte la situation précaire ?
Magret se lissa pensivement la moustache. Il était un peu déstabilisé par l'absence de son inséparable adjoint, Decanard. Mais les vieux réflexes reprirent le dessus.
"Allons d'abord voir sur le terrain, sur les lieux du délit", lança-t-il, sous les flashes des photographes.
La gare Matabiau n'était pas loin du commissariat. Et, compte tenu des problèmes de stationnement, c'est à pied que Magret, le plaignant, son interprète, et la nuée de journalistes et photographes qui suivaient, se rendirent sur les lieux.
Et Magret eut tout de suite l'intuition géniale qui accompagnait sa carrière depuis le début.
Scrutant la façade de la Maison du Vélo, il demanda au plaignant : "Dîtes-donc, ce vélo incrusté dans le mur, ce ne serait pas le vôtre, par hasard ?"
Éberlué, celui-ci s'exclama par force gestes, aussitôt traduits par son truchement : "Ça alors ! Mais oui, c'est bien lui, je reconnais le panier avant et la sonnette !"
Un artiste de "street art" venait en effet de mettre en place ce nouvel opus. Induit en erreur par le lieu de stationnement du vélo, il l'avait confondu avec celui que la Maison du Vélo devait mettre à sa disposition.
Le quiproquo ne fut pas long à lever. Kouplan put récupérer son bien.
Magret reçut les félicitations personnelles du Président.
"Encore une affaire rondement menée", se dit-il en pensant à son adjoint, dont c'était la phrase-fétiche.
Pendant ce temps, les vols de vélo et les expulsions de demandeurs d'asile continuaient, comme si de rien n'était...
(Nouvelle envoyée pour le concours de la Maison du vélo de Toulouse : www.maisonduvelotoulouse.com )