La fin annoncée des hommes de pouvoir et de la culture du viol
A propos de l'affaire Hulot
La fin annoncée des hommes de pouvoir
et de la culture du viol.
L'onde du Weinsteingate continue donc de s'étendre, et la panique gagne tous les mâles blancs dominants qui n'ont pas su remettre en cause leur formatage par le système patriarcal-autoritaire en crise.
Dans ce cadre global d'accélération de la crise de l'Autorité, différentes réactions de déni se font jour, notamment du côté masculin, au nom de considérations diverses. Je me propose ici d'en analyser quelques-unes à partir des échanges sur une liste de discussion interne du parti EELV auquel j'appartiens.
1- Corpus :
n° 1 ( met en pj un scan de la Une, de l'édito, et de l'article de Ebdo) A chacun de se faire son opinion,
> pour ma part, je suis embarassé par le fait que tout cela ne soit basé que des témoignages anonymes.
> Il faut certes sans conteste que la parole se libère,
> mais c’est aussi la porte ouverte aux accusations anonymes, plus ou moins motivées, plus ou moins manipulées.
N°2 il faut cesser de relayer cette presse d'inquisition , de rumeurs , de buzz, de réseaux asociaux qui n'est pas LA JUSTICE , tout en se disant scandaliser par ces médias .
N°3 (seule femme à avoir réagi) la seule question est : quelles conséquences pour l’écologie ?
et on ne peut pas applaudir les témoignages des femmes dans l’affaire Weinstein et s’offusquer ici pour Hulot ...
N°4 Il n'y a pas de doute qu'on va voir arriver toutes sortes d'informations, dans ce contexte. Certaines fondées, d'autres animées de vents mauvais : sur ce plan on peut être assurément égalitaire entre hommes et femmes.
On ne peut finalement que s'en remettre au sérieux de la procédure judiciaire. Et à la décision politique de révoquer un ministre mis en examen.
Cette dernière suppose qu'un juge discerne dans les faits de l'enquête des " indices graves et convergents " de commission d'un délit, en l'occurrence. On y est pas, et d'ici là gardons notre sang-froid.
Je lis que la plainte pour viol qui avait été déposée par (il donne le nom de la personne, que je refuse ici de reproduire ) en 2007 a été classée sans suite par le parquet au motif que " les faits n'étaient pas établis ".
A noter qu'à l'epoque Hulot était connu comme journaliste et pour sa fondation, mais n'était pas encore une personnalité politique.
N°5 D 'autant plus d accord pour s'en remettre à la justice qu 'en l 'espèce elle n est pas saisie , un dossier vide de tout contenu et une plainte ayant abouti à un classement sans suite il y a dix ans
A ce stade il n y a pas d 'affaire Hulot mais que des rumeurs .. D 'habitude on est plutôt indulgents avec les nouveaux organes de presse, mais l 'Ebdo ne donne pas là particulièrement envie de lui souhaiter bonne chance .
N°6 J'avoue que j'avais envie de m'abonner à Ebdo...Mais si c'est pour y lire des trucs comme ça...
Publier des trucs quand la personne concernée et interrogée veut ne pas en parler, prétendre préserver l'anonymat alors que France Inter sort à 13h le nom de famille déjà sorti par d'autres...
Bravo la déontologie...
J'ai vu le gars de Ebdo hier soir sur la 5, pas fier et y a de quoi...
Demain samedi 10 février je vais à NDDL et ça me fait d'avance "ch..." qu'une partie des conversations portera forcément là-dessus...
Ebdo avait probablement mieux à faire pour faire un article sur Hulot et les écologistes !
N°7 Ebdo doit faire le buzz pour se relancer après avoir mis la clé sous la porte.
N°8 Commencez donc par lire l'article d'Ebdo, un journal respectable et qui a fait très honnêtement son boulot. Je constate que quand ça arrange certains la parole de la victime et son ressenti sont systématiquement niés au nom de considérations hautement politiques...
Suit un échange personnel :
N°6 bis Entre nous, Ce qui me dérange, c'est que justement la victime ne souhaitait pas que son nom soit étalé...sachant que juridiquement c'est prescrit, donc il ne se passera rien sur ce plan...
Ben comme ratage des voeux de la victime c'est génial...
Toujours Entre nous, à part ça tout le microcosme parisien devait le savoir puisque moi-même j'avais été informé que la raison de la non candidature de Hulot était lié en 2016 à la volonté d'une femme ( je savais pas qui )...
Je ne vois pas pourquoi Ebdo sort ça en prétendant cacher le nom qui sort le lendemain par ailleurs...
Ceci dit, ça va en calmer quelques uns des "séducteurs foireux"!
N° 8 bis
Mon sentiment sur Ebdo : ils ont refusé toute considération d'opportunité politique et s'en sont tenus à leur éthique journalistique. Cela dit ils ne sont pas maîtres du système médiatico-politique qui ne respecte pas cette éthique. La question est toujours : doit-on s'adapter et jusqu'où à l'absence d'éthique des autres ? Une question qui nous est posée en permanence, et à laquelle il n'existe aucune réponse automatiquement juste...
Autrefois on tuait les "porteurs de mauvaise nouvelle". On n'en est plus là, mais certaines réactions contre Ebdo me font penser à ça. D'autres relèvent du déni de réalité pur et simple : notamment celles qui s'abritent derrière la procédure judiciaire....pour une affaire qui est prescrite ! Ce qui ne rime à rien.
Il y a juste, comme le dit Ebdo, deux paroles face à face.
Moi j'ai tendance à écouter d'abord la victime, sans pour autant porter un jugement définitif. Il y a cependant tout un faisceau de faits troublants sur la sincérité des dénégations d'Hulot.
2-Analyse des réactions :
Il me semble qu'elles tournent autour de deux questions :
-Faut-il prendre ou non en considération la parole de la victime ?
-Ebdo a-t-il fait ou non un vrai travail d'information ?
Prendre ou non en considération la parole de la victime ?
Je note pour commencer que sur 8 contributeurs, 1 seule est une femme.
Ensuite, seuls 3 intervenants sur 8 prennent position en faveur de l'écoute de la victime : le premier avec des restrictions ("mais c’est aussi la porte ouverte aux accusations anonymes, plus ou moins motivées, plus ou moins manipulées." ), les deux autres de façon plus affirmée ("on ne peut pas applaudir les témoignages des femmes dans l’affaire Weinstein et s’offusquer ici pour Hulot ..." et "Je constate que quand ça arrange certains la parole de la victime et son ressenti sont systématiquement niés au nom de considérations hautement politiques...").
Pour les cinq autres, soit cette parole n'existe pas, soit elle est minorée.
On note les mots " inquisition , rumeurs , buzz, réseaux asociaux" , "un dossier vide de tout contenu et une plainte ayant abouti à un classement sans suite il y a dix ans, il n y a pas d 'affaire Hulot mais que des rumeurs", "Je lis que la plainte pour viol qui avait été déposée (...) en 2007 a été classée sans suite par le parquet au motif que " les faits n'étaient pas établis "."
Dans ce festival de négations, la Justice sert de faire-valoir. Elle serait le seul régulateur possible de toute vérité. A cette aune, le capitaine Dreyfus est toujours coupable (il n'a jamais été reconnu judiciairement innocent : vous pouvez vérifier juristes sourcilleux! ) Et sans recourir à cet argument massue, il suffit de rappeler, ce que tous les féministes conséquents savent, que dans les affaires de viol la parole des victimes a toujours été suspectée jusqu'à une date récente.
On sait pourtant bien (ou l'on devrait savoir) que la condition de victime d'un viol (et de victime en général) n'est pas celle d'un témoin distant, froid et objectif.
Le fait que la victime en question soit porteuse d'aspirations contradictoires, voire incohérentes, est utilisé contre elle de façon systématique.
Ainsi de son souhait d'anonymat et de son affirmation que tout cela est "derrière elle", alors qu'elle dépose son témoignage en gendarmerie onze ans après les faits (juste après la prescription) et accepte de témoigner longuement devant les journalistes d'Ebdo vingt ans après les faits.
Et cela donne les commentaires tels que " la personne concernée et interrogée veut ne pas en parler," "accusations anonymes, plus ou moins motivées, plus ou moins manipulées."
Alors que dans "Ebdo", elle affirme "Je n'ai pas voulu déposer plainte. Mon but n'était pas de le faire juger, mais de le mettre devant sa conscience" et "J'ai tenu à ce qu'il sache la façon dont j'avais vécu les choses, et je lui ai fait savoir", certains commentateurs continuent à parler de "la plainte pour viol qui avait été déposée par (il donne le nom de la personne, que je refuse ici de reproduire ) en 2007 a été classée sans suite par le parquet au motif que " les faits n'étaient pas établis ". Donc rappelons qu'il n'y a pas eu dépôt de plainte, et que l'affaire a été classée sans suite pour motif de prescription (dépassement du délai légal d e 10 ans après les faits pour ouvrir une action judiciaire...en l'occurrence de la part du parquet et non d'une partie civile).
Je crois qu'on peut arrêter là le constat du déni. Une femme victime d'un viol à vingt ans, continue, vingt ans après, à en porter les stigmates, mais tous ces gens ne veulent pas l'entendre. Car sa parole pèse moins que celle de son agresseur, qui nie tout en bloc.
La personnalité de "grand séducteur" du personnage semble en particulier être un argument en sa faveur : s'il "les tombe toutes", pourquoi aurait-il eu besoin de faire du "forcing" ? Prétendre le contraire, n'est-ce pas avouer une forme de jalousie ? Parce qu'on n'en serait pas capable quand on est un homme, ou parce qu'on n'aurait pas eu la chance d'être choisie quand on est une femme ?
Qui ne voit la pauvreté et la fausseté d'un tel argument ? C'est bien au contraire parce qu'il était un "grand séducteur" qu'il a pu s'installer dans une illusion de "toute-puissance"qui lui a fait perdre tout discernement sur la notion de consentement. Et de dérapage en déni, la route était toute tracée pour l'effacement de cet épisode honteux. D'autant qu'un tel dérapage est inscrit dans ce qu'il faut bien appeler la culture du viol. La question du consentement est bien une question-clé, qu'il faut aborder sous un nouveau jour : celui de rapports équilibrés et égalitaires entre les sexes.
La fameuse "galanterie à la française" derrière laquelle certains s'abritent, n'est qu'un piteux paravent à la flagrante dissymétrie aujourd'hui remise en question dans les relations entre sexes.
C'est bien de Pouvoir qu'il s'agit, et, avec la fin de la culture du viol, de celle des Hommes de Pouvoir qui tenaient tout entre leurs mains au nom d'une conception patriarcale de l'autorité.
Ebdo a-t-il fait ou non un vrai travail d'information ?
Alors que la lecture attentive du dossier d'Ebdo donne le sentiment d'une recherche équilibrée au plus près des faits (avec en particulier une interview de Hulot qui donne sa version) et explicitant la volonté des témoins, on assiste à des réactions pour le moins disproportionnées.
" il faut cesser de relayer cette presse d'inquisition , de rumeurs , de buzz, de réseaux asociaux qui n'est pas LA JUSTICE"; "D 'habitude on est plutôt indulgents avec les nouveaux organes de presse, mais l 'Ebdo ne donne pas là particulièrement envie de lui souhaiter bonne chance."; "Publier des trucs quand la personne concernée et interrogée veut ne pas en parler, prétendre préserver l'anonymat alors que France Inter sort à 13h le nom de famille déjà sorti par d'autres...Bravo la déontologie... J'ai vu le gars de Ebdo hier soir sur la 5, pas fier et y a de quoi..."; "Ebdo doit faire le buzz pour se relancer après (sic : je suppose qu'il faut lire "avant d'") avoir mis la clé sous la porte."
Reprenons un par un tous ces reproches.
-Presse "d'inquisition , de rumeurs , de buzz, de réseaux asociaux" ?
La lecture attentive des 5 n° parus d'Ebdo, me semble invalider ce jugement. Je n'ai présentement sous les yeux que les n° 2 à 5 : ils tiennent tous la même ligne éditoriale de raconter l'histoire de gens ordinaires témoignant de l'évolution de notre société et d'enquêtes approfondies sur des sujets négligés, qui a fait le succès de la revue-livre XXI dont Ebdo est le prolongement. Ce qui donne les deux principales rubriques "Reportage" et "Enquête". Sujets retenus : "Ils réinventent le travail. Artisans, PME, grands groupes : partout en France des entreprises se transforment." - "Le mystère du nuage radioactif. Fin 2017, du ruthénium 106 était détecté au-dessus de l'Europe. Ebdo a remonté la piste jusqu'en Russie." (n°2); "itinéraire d'un enfant du djihad. Le Belgo-Tunisien Farouk Ben Abbes, qui visait le Bataclan dès 2009, devrait rendre des comptes à la justice pour la première fois." - "Bombe anatomique. Le clitoris se dévoile au grand jour. Les femmes reprennent le contrôle de leur corps." (n°3); "La fabrique des forts. Les écoles de Saint-Cyr, des Arts et Métiers ou des Mines perpétuent des traditions archaïques. Parfois l'initiation tourne au drame." - "Brexit blues. Retour à Clacton, la ville britannique qui a voté à 70% pour sortir de l'UE en 2016." (n°4) ; "L'affaire Nicolas Hulot. Ebdo révèle le secret, enfoui depuis vingt ans, d'une femme et ses proches. Le ministre de la Transition écologique et solidaire répond." - "Paris-Brazzaville, très chers amis. Le président congolais a ruiné son pays et fait enfermer ses opposants. Mais il garde le soutien d'un allié historique : la France." (n°5)
Dans tous ces sujets, et dans la façon de les traiter, je ne relève rien qui soit de l'ordre de "l'inquisition", de la "rumeur" ou du "buzz" et encore moins des "réseaux asociaux" (la consultation de sa page Facebook ( @ebdolejournal) montre qu'elle est très peu utilisée...).
-"Publier des trucs quand la personne concernée et interrogée veut ne pas en parler, prétendre préserver l'anonymat alors que France Inter sort à 13h le nom de famille déjà sorti par d'autres.."
Il y a dans ces deux affirmations, tout d'abord une outrance manifeste : "la personne concernée" tout en revendiquant anonymat et volonté d'oubli a au contraire choisi de parler longuement avec les deux journalistes d'Ebdo, et son entourage également : elle ne s'est de toute évidence pas opposée à la publication, moyennant l'anonymisation de son témoignage, respectée par le journal. Double injonction contradictoire ? Fausse naïveté du journal ?
C'est là qu'on en vient au dévoilement de l'anonymat : de qui est-il le fait, et pourquoi ? D'une presse qui a voulu rajouter sa touche pour, justement, "faire le buzz" en faisant "monter la mayonnaise" pour accrocher du public. Faut-il donc rappeler que ce n'est pas le fait d'Ebdo, mais de ses collègues...et concurrents ? D'où la "gêne" relevée par n°6 du journaliste d'Ebdo invité à la télé. Donc, à qui reprocher un manque de déontologie ? La réponse me semble évidente.
Reste la question de la "fausse naïveté" d'Ebdo. Sa rédaction ne pouvait ignorer les moeurs en usage dans la profession. Pourquoi a-t-elle donc pris le risque de cette rupture du pacte d'anonymat ?
A cela deux réponses possibles.
1-Il y avait un "coup éditorial" à ne pas manquer et susceptible en effet d'attirer l'attention sur un nouveau titre en phase de lancement et qui n'a pas fait l'objet jusqu'à présent d'une publicité démesurée. Cette réponse semble tout-à-fait plausible. Et elle pose en effet un problème déontologique.
Mais elle n'épuise pas le sujet, et ne dispense pas d'examiner la seconde réponse, plus honorable.
2-Taire une telle information, n'est-ce pas faire perdurer une "loi du silence" de vingt ans sur une plaie à l'évidence non refermée du côté de la victime présumée ? Or l'enquête montre tout un tas de raisons de prêter attention à sa parole : éléments biographiques montrant la rupture qu'a été cet épisode dans sa vie, témoignages de la victime présumée et de ses proches, éléments avérés sur la personnalité de l'agresseur présumé et les circonstances favorisant l'agression.
Fermer le dossier eût été nier tous ces éléments en donnant foi à la seule parole de l'aggresseur présumé.
Ebdo a fait le choix de donner la parole aux deux protagonistes, et son cofondateur Laurent Beccaria, (victime à son tour d'une campagne de rumeurs sur les réseaux sociaux...qui renvoie curieusement à sa notice wikipédia, laquelle ne nous apprend rien de répréhensible à son sujet...) résume bien la problématique dans son éditorial intitulé "Parole contre parole" : "Les deux récits sont là : d'un côté l'honneur d'un homme et sa conscience, de l'autre la douleur d'une femme et de sa famille."
En ce qui me concerne, je n'irai pas plus loin.
Vers la fin des hommes de pouvoir et de la culture du viol ?
Les réactions à cette affaire, comme aux précédentes en France sur le même sujet, montre une résistance spécifique du vieux monde patriarcal-autoritaire, plus ancré chez nous que dans le monde anglo-saxon et d'Europe du Nord.
Il est en effet à noter, qu'à l'exception de DSK, et seulement pour sa candidature aux primaires du PS, ou de Denis Baupin, aucun des hommes de pouvoir impliqués dans ce genre d'affaire n'a renoncé à ses postes de pouvoir. De plus, tous ces messieurs ont bénéficié de solidarités exemplaires de leurs pairs, voire de certaines femmes, avec des prétextes divers allant du bénéfice du doute à la minoration des actes dénoncés.
Cette emprise persistante de la domination masculine dans les lieux de pouvoir est une limitation évidente à l'éradication complète de la culture du viol.
Alors que certains se complaisent à désigner les immigrants de religion musulmane comme les principaux porteurs de cette culture, il ne seront véritablement crédibles que lorsqu'ils s'attaqueront également à celle qui persiste dans nos lieux de pouvoirs, peuplés de bons "Français de souche d'origine catholique". A cet égard, la persistance des rites de bizutage dans nos Grandes Ecoles (voir Ebdo n°4) ne va pas dans le bon sens... Car cette culture misogyne est aussi et d'abord une culture de la violence et de l'humiliation des faibles.