Ce qui nous sépare de l'extrême-gauche
Ce qui nous sépare de l'extrême-gauche
"Le Monde des Livres", vendredi 19 janvier 2018, p 7 :
"Didier Fassin passe à côté de la vie", article de Florent Georgesco.
Rendant compte du dernier livre de Didier FASSIN "La vie. Mode d'emploi critique" (Seuil, 192 p.), Florent Georgesco pointe bien le défaut de la démarche corsetée par des a priori idéologiques quand elle s'émancipe des faits pour être "plus démonstrative".
En l'occurrence, il s'agit de la politique migratoire de la France et des pays occidentaux en général.
Voulant démontrer que, dès les années 1970, les "démocraties contemporaines (sont) incapables de se hisser à la hauteur des principes qui fondent leur existence même", D.Fassin affirme que la France a "commencé à fermer ses frontières" "par des limitations touchant y compris le regroupement familial. Une référence est donnée sur ce point : Histoire de l'immigration en France, de Ralph Schor (Armand Colin, 1996). Si l'on consulte ce manuel aux pages indiquées, on a la surprise de découvrir que l'auteur dit tout autre chose. Certes, les gouvernements de Valéry Giscard d'Estaing entravèrent l'immigration légale et suspendirent le regroupement familial mais les résistances empêchèrent ces mesures de s'inscrire dans la durée. En 1978, le Conseil d'Etat reconnut le regroupement familial comme un principe général du droit; c'est en outre, depuis 1993, un principe constitutionnel." (article cité)
Ainsi, la réalité dément la thèse initiale : les démocraties sont donc parfois capables de se hisser à la hauteur des principes qui fondent leur existence.
Il aurait été intéressant, pour un penseur critique, de chercher la réponse aux questions : "comment cela s'est-il opéré ?" et "pourquoi ?".
Mais cela aurait supposé de remettre en question cette pétition de principe de l'incapacité des démocraties à être démocratiques dans le cadre capitaliste.
Et donc d'admettre la pertinence d'une démarche de type réformiste ("horresco referens").
De la même façon, l'auteur de l'article remarque que le livre de Fassin "consacre huit mots en tout à la récente politique allemande d'accueil des réfugiés."
On ne peut donc que conclure avec lui que la réflexion de tels intellectuels n'apporte rien à la réflexion nécessitée par l'urgence croissante "de dénoncer la brutalité envers les migrants", car elle consiste en un "exercice d'évitement du réel".
Pour agir efficacement, nous avons au contraire besoin d'aller au plus près du réel. Mais cela suppose également d'accepter l'idée de combats partiels et de victoires petites, qui vont à l'encontre du romantisme révolutionnaire de la "lutte finale".
Cela entraîne également l'idée, longtemps combattue par toute la tradition "économiste" du marxisme, du rôle non déterminant en dernière instance de l'infrastructure économique, et de l'efficacité propre des idées et des sentiments sur l'évolution de la société, et notamment des idées juridiques , si souvent moquées par cette tradition.
La question des droits, et donc du Droit, est donc bien un moteur puissant de l'Histoire. Et la question de la violence, qui lui est liée, est bien un facteur discriminant entre partisans de la Force, basée sur l'arbitraire, et partisans du Droit, basé sur le principe de l'égalité des droits.
C'est en nous appuyant sur ce second principe que nous ferons, pas à pas, progresser l'égalité réelle et la liberté de tous.tes.