Sortir du triangle des Bermudes de l'immobilisme politique

Publié le par Henri LOURDOU

Sortir du "triangle des Bermudes" de

l'immobilisme politique.

 

David CORMAND, secrétaire national d'EELV, a eu cette image très juste pour qualifier la situation politique de la France en cette fin 2017.

Il la développe en disant que tous ceux qui s'approchent d'un des trois côtés de ce triangle du populisme que forment LREM, LFI et LR-FN sont aspirés dans un espace où, comme dans le vrai triangle des Bermudes, plus aucun vent ne souffle et où tout mouvement disparaît : plus rien ne se passe et rien de vraiment nouveau n'advient, en sorte que tout espoir de vrai changement disparaît.

Le paradoxe est que ces trois pôles du populisme développent, chacun à leur manière, un discours du changement radical, voire révolutionnaire.

Mais en réalité, au-delà de cette apparence, on pourrait résumer leur posture par les trois formules suivantes, qui remettent à leur place leurs prétentions révolutionnaires.

Pour LREM, "il faut que tout change pour que rien ne change", comme le disait cet aristocrate sicilien de l'époque du "Risorgimento" (la révolution de l'unité italienne du XIXe siècle) dans le roman de Giuseppe Tomasi di Lampedusa, "Le guépard". Leur révolution est une révolution conservatrice, visant à maintenir le pouvoir de ceux qui l'ont déjà.

Sa célébration de la"société civile", opposée à la "classe politique", montre son vrai visage avec ces nouveaux députés déplorant leur perte de revenu et le caractère excessivement prenant de leur mandat : ces privilégiés inconscients de leurs privilèges découvrent que la fonction de représentant politique n'est pas la sinécure que le poujadisme ambiant, dont ils sont partie prenante, postulait.

 

Pour LFI, "il faut que tout change pour que la moindre chose change", et donc ne rien entreprendre ni attendre de décisif avant la survenue du Grand Soir.

Après avoir tenté en vain la voie de "l'insurrection citoyenne" (sous la direction éclairée bien sûr de l'avant-garde du peuple qu'est LFI) contre les "ordonnances travail" de Macron, il n'y a plus d'espoir que dans le Grand Soir électoral qui donnera la majorité absolue à LFI (et LFI seule, toute alliance avec les vieux partis honnis étant exclue).

 

Pour LR-FN, "il faut que tout change pour revenir au monde d'avant", et donc recréer de toutes pièces la société patriarcale dans un cadre national-chrétien d'avant la modernité égalitariste et mondialiste : avant les Droits de l'Homme, avant le féminisme et la décolonisation, avant l'immigration extra-européenne et l'écologie, avant les LGBT et le mariage pour tous...

L'élection de L.Wauquiez à la tête de LR, tout comme la marginalisation de F.Philippot au sein du FN vont dans le même sens d'un repli sur ce discours réactionnaire au sens strict.

 

Et le fait est que la solidification du populisme de gauche de LFI et du populisme de droite de LR-FN conforte, de par leurs caractères simplificateurs et outranciers, la place majoritaire du populisme centriste de LREM. Ce qui conduit à un immobilisme désespérant.

 

Retrouver le chemin du changement politique suppose donc de bouleverser ce jeu de rôles où chacun des trois acteurs se confortent mutuellement en se renvoyant indéfiniment la même balle.

Cela commence par le refus de cautionner leur discours faussement révolutionnaire.

Puis de se situer non dans le discours et l'image, mais dans les actes.

Agir pour que quelque chose change, même de façon minime, est la meilleure façon de s'éloigner de ce "triangle des Bermudes" politique.

Cela peut se passer à différents niveaux et de différentes façons.

-En soutenant des initiatives de transition écologique : dans l'alimentation, l'énergie, les transports. Ce que D.Cormand appelle, dans son discours évoqué plus haut au Conseil Fédéral de début décembre d'EELV, "les utopies concrètes".

-En s'opposant aux mesures réactionnaires du gouvernement : reculs des droits et garanties collectives, projets et mesures anti-écologiques. Ce que D.Cormand appelle "les résistances".

-En construisant des alliances à vocation majoritaire dans les institutions sur des mesures allant dans le sens de l'égalité et l'universalité des droits et de la transition écologique. Ce que D.Cormand appelle "les régulations".

Dans cette triple perspective, dont nous avons la responsabilité d'articuler et de mettre en cohérence les trois aspects, il faut concurremment affirmer et concrétiser nos positions, et mener la bataille des idées contre les trois côtés du triangle populiste. Et prioritairement contre celui qui occupe la position aujourd'hui majoritaire : le "macronisme".

 

Pour en finir avec l'illusion "macroniste" : traiter la névrose française.

 

Il y a un bon usage de l'Histoire pour mieux comprendre et affronter le présent.

C'est de dégager le noyau "névrotique" qui fait répéter indéfiniment certaines erreurs du passé.

Ainsi, ce que nous percevons de "névrotique" dans la geste macronienne consiste en une forme répétitive de rapport à l'Autorité basée sur la peur des conflits et le recours à un "Homme fort", occupant la position de monarque.

Ce type de réflexe collectif s'est exercé à diverses reprises dans notre Histoire nationale. Et notamment au XXe siècle, où j'ai retenu deux épisodes qui rappellent à bien des égards ce que nous vivons aujourd'hui.

Pour bien en mesurer la portée, il faut commencer par rappeler la différence des enjeux entre ces trois situations. C'est indispensable pour éviter les malentendus et les faux débats, et bien se centrer sur le véritable débat et son objet.

Qu'il soit donc clair dès le départ, pour tout lecteur de bonne foi, que nous ne sommes pas aujourd'hui, comme nous l'étions en 1938, confrontés à un risque de guerre avec un Etat voisin de type totalitaire et expansionniste, ni, comme nous l'étions en 1958, confrontés à une guerre coloniale politiquement à contre-courant de l'Histoire.

Les enjeux aujourd'hui sont autres : faire face aux conséquences de la mondialisation et à la crise écologique planétaire.

 

Une fois cela rappelé, il faut souligner, au contraire, la répétition des mêmes symptômes névrotiques :

 

-La négation du clivage Gauche/Droite est le premier. Après une période où celui-ci s'était au contraire affirmé et exacerbé, avec une progression inhabituelle et une position provisoirement majoritaire de la Gauche.

Ainsi, en 1938, le "daladiérisme", qui met fin au Front Populaire, prétend dépasser le clivage Gauche/Droite par une majorité de "concentration républicaine" réunissant le Centre Gauche et le Centre Droit autour d'une politique économique libérale, d'une mise en place, hélas bien oubliée, y compris par de nombreux historiens, de mesures de contrôle des "étrangers indésirables" sous couvert de préservation de "l'ordre public", et d'une politique extérieure d'union nationale alliant politique "d'apaisement" de Hitler au côté de notre allié britannique (accords de Munich) avec un réarmement accéléré pour faire face à une guerre redoutée mais inévitable .

De fait, on l'aura noté, ce "dépassement"du clivage Gauche/Droite se fait très clairement par la Droite, avec notamment une épreuve de force victorieuse contre les syndicats en novembre 1938, face à leur refus des décrets-lois Reynaud : libération des prix, suppression massive de postes dans les services publics, remise en cause de fait des 4Oh.

De la même façon, l'avènement en 1958 du "gaullisme", prétend, là aussi, dépasser le clivage Gauche/Droite en mettant, lui aussi,en place une politique économique libérale ("l'ardente obligation du Plan" n'étant là que pour amuser la galerie), en relançant la "sale guerre" en Algérie pour négocier l'indépendance inéluctable en position de force, et en méprisant souverainement le contre-pouvoir syndical et tous les "corps intermédiaires"(ce qui provoqua entre autres la "radicalisation" de la minorité CFTC, devenue majoritaIre en 1964 sous le nom de CFDT).

 

Est-il utile de rappeler ici ce que la politique du "macronisme" a de commun avec ces deux précédents ? Libéralisme économique, prise en compte cynique des préjugés xénophobes par une bouc-émissarisation des "étrangers/colonisés", mépris des "corps intermédiaires" et de la négociation sociale... On peut dire que tout y est.

 

Ce qu'il faut par ailleurs souligner, est la façon dont ces trois pseudo-synthèses politiques se sont constituées.

A chaque fois c'est par un ralliement de la partie la plus "modérée" de la Gauche, issue à chaque fois d'une Gauche jusque-là majoritaire, mais de plus en plus paralysée par ses divisions.

En 1938, c'est un Parti radical qui penche de plus à Droite dans ses débats internes, jusqu'à passer en bloc "de l'autre côté." En 1958, c'est une SFIO clivée par la "sale guerre" d'Algérie, et dont les éléments anti-colonialistes l'ont quittée pour fonder dès 1960 le PSU. Elle mettra plus de dix ans à s'en remettre... En 2017, le "macronisme" apparaît par la fissure des "deux gauches irréconciliables" théorisée par Manuel Valls, qui donne de plus en plus de gages à une conception autoritaire, xénophobe et néo-libérale du pouvoir. Les deux épisodes calamiteux en 2016 de la "déchéance de nationalité" et de la "loi Travail" symbolisent cette dérive.

Cette incapacité à débattre au sein de la Gauche se traduit par la recherche de "l'homme fort". Et c'est là le second aspect de cette "névrose française".

 

-Le recours à "l'homme fort" : On a oublié l'exceptionnelle popularité et le pouvoir concentré entre les mains d'Edouard DALADIER en 1938-1939. Or, ils sont en tout point comparables à ceux de DE GAULLE en 1958, et MACRON en 2017.

Dans ces trois cas de figure, le Parlement abandonne tous ses pouvoirs entre les mains d'un seul homme, censé dépasser à lui tout seul tous les conflits que connaît le pays, et faire face, à lui tout seul, aux arbitrages nécessités par des enjeux difficiles et complexes.

Autant dire un retour de fait à la monarchie absolue, dont d'ailleurs E.Macron a confié qu'il pensait que le peuple français avait la secrète "nostalgie".

Dans cette fuite en avant vers la centralisation et la verticalisation du pouvoir, tous les lieux et occasions de débat sont vidés de leur substance, puisque la décision finale est toujours ramenée à un arbitrage d'en haut. La prime est ainsi donnée à l'irresponsabilité d'un côté, et aux phénomènes de Cour de l'autre. A l'opposition stérile parce qu'impuissante, et à l'anticipation obséquieuse du désir du Prince à travers des rivalités d'ambition étrangères aux enjeux et à l'intérêt général, que pourtant tout le monde a à la bouche...

 

 

Le premier résultat de cette pratique "supra-partisane" et autoritaire du pouvoir est une division et une minoration exceptionnelles de l'influence de la Gauche.

Et la réaction de cette Gauche n'est pas à la hauteur de la situation. En 1945, la stérilisation du capital de la Résistance par les caciques staliniens et SFIO dans le cadre de la "guerre froide" a coupé court à l'élan pourtant exceptionnel de la Libération. En 1965, la captation du désir d'unité par un aventurier politique appelé Mitterrand, a fourvoyé les espoirs autogestionnaires et anti-autoritaires nés en mai 68 dans l'impasse d'un présidentialisme conforté, qui s'est avéré à terme mortifère pour toute la Gauche.

 

Or l'enjeu de sortir de la "névrose française" est celui de faire advenir une véritable culture du débat démocratique qui, loin d'occulter les conflits, permette de traiter collectivement leurs enjeux au lieu de les confier à un "leader charismatique" qui les écrase de façon autoritaire.

Quand a-t-on véritablement débattu des choix faits à la Libération en matière de mise en place de la Sécurité sociale, des nationalisations et des services publics ? Quand a-t-on véritablement débattu du contenu d'un"programme commun de gouvernement" conclu sur un coin de table en 1972, puis agité comme un totem et abandonné progressivement à l'épreuve du pouvoir ?

 

Cette culture du débat passe par la réhabilitation du clivage Gauche/Droite, sans en faire une obsession identitaire débouchant sur des conflits à mort, mais une boussole des choix collectifs à arbitrer par le vote.

Par la promotion des alliances politIques autour d'un programme de gouvernement négocié et assumé collectivement. Par la pratique permanente du compromis négocié entre alliés.

Et donc par celle d'une République parlementaire rompant clairement avec la monarchie présidentielle.

 

Et cette perspective est incompatible avec la posture adoptée aujourd'hui par les "trois côtés du triangle des Bermudes populiste".

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