Sortir du gaullo-mitterrandisme pour reconstruire la gauche

Publié le par Henri LOURDOU

Pour reconstruire la gauche

Sortir du gaullo-mitterrandisme.

 

La lourde défaite électorale de 2017 oblige chacun à gauche à réfléchir profondément sur les causes de cet échec historique.

 

On ne peut s'arrêter pour cela à la séquence 2012-2017. L'échec à l'évidence vient de plus loin.

 

Il faut donc revenir sur l'Histoire de la Ve République, pratiquement depuis ses origines.

 

Un étiage historique pour la gauche

 

J'avais déjà évoqué la troublante ressemblance entre la situation de 2017 et celle de 1958 : deux moments d'étiage pour la gauche prise dans son ensemble.

Car il faut raisonner sur des majorités potentielles, non sur des factions limitées.

Et c'est là la tentation à laquelle doivent échapper nos amis de la France Insoumise, tout réjouis - on le comprend : on l'a déjà vécu - de leurs 17 députés, là où ils n'en avaient précédemment aucun.

Jamais depuis 1958, la gauche n'avaient eu aussi peu de députés : même en 1968 (après la plus grande grève générale de notre Histoire, soit rappelé en passant pour ceux qui ne jurent que par le "pouvoir de la rue"), l'Assemblée comportait, après les élections de juin, 34 députés communistes et apparentés, et 57 députés FGDS, soit 91 députés de gauche sur 487.

En 1958 elle comptait 39 députés radicaux, 10 communistes et 44 socialistes et apparentés, soit 93 députés de gauche sur 552.

En 2017, on est rendu à 17 députés LFI, 16 députés communistes et apparentés et 31 députés socialistes, soit 64 députés de gauche sur 577.

 

Un recul dû à l'échec présidentiel ?

 

C'est ce que suggère une analyse superficielle. Il aurait fallu, continue-t-on souvent à penser, se mettre d'accord pour un candidat unique de la gauche pour l'emporter à la présidentielle. Et les résultats aux législatives s'en seraient suivis.

N'est-ce pas d'ailleurs ce qui s'est produit pour le parti "macroniste" ?

Et cela ne s'est-il pas régulièrement produit à chaque fois qu'une élection législative suivait immédiatement une présidentielle ? En 1981, en 1988 (là ça n'a pas tout-à-fait bien marché...) et surtout en 2002, 2007 et 2012 ?

 

Je prétends que cette analyse à courte vue est fausse, car elle passe à côté du vrai problème de fond.

Un problème que la gauche avait bien identifié en 1962, mais qu'elle a rapidement perdu de vue en raison de la stratégie imposée par Mitterrand dès 1965, et poursuivie aveuglément depuis.

J'ai découvert récemment l'ouvrage rédigé par celui-ci pour se lancer et s'imposer comme le "candidat unique de la gauche" aux premières élections présidentielles au suffrage universel direct de 1965.

"Le coup d'Etat permanent" est un livre aujourd'hui illisible : un fatras d'insinuations polémiques, parfois très violentes, dirigées contre la personne du général De Gaulle. Plutôt mal écrit, dans un style boursouflé et vieillot, il ne contient aucune vraie orientation politique, sinon un coup de chapeau appuyé aux communistes, visant à obtenir leur soutien, mais n'engageant politiquement à rien.

Pour le reste, de creuses généralités, et des accusations de mise en place d'une véritable dictature totalitaire qui apparaissent, avec le recul, surréalistes.

La raison de ces outrances nous est donnée au passage : "Il n'y a d'opposition qu'inconditionnelle" (p 239). Quant aux intellectuels qui prétendent construire une "République moderne", leur travail est sans doute intéressant, mais ils feraient mieux de s'accorder sur "quelques idées simples" que de débattre des bonnes institutions (ibidem).

Ce que certains appellent encore aujourd'hui "des débats ésotériques" en prétendant que la seule urgence est de s'opposer en descendant dans la rue.

On ne pourrait donc à la fois s'opposer et réfléchir ? L'action s'opposerait-elle par définition au débat ?

 

La source du mal

 

J'ose prétendre que non. Et je vais donc pour commencer par me référer à un de ces "intellectuels ésotériques", un certain Pierre MENDÈS-FRANCE, qui écrivait en 1962, dans un livre intitulé "La République moderne" :

 

"l'objection de principe la plus grave à faire à ce régime, c'est que, sous la façade démocratique du double suffrage populaire, il risque en réalité d'anémier dans le pays l'esprit et l'activité démocratique.

Les citoyens qui élisent une Assemblée votent pour des partis dont les doctrines sont connues, au moins quant à leur orientation générale, ils se prononcent sur des programmes, sur des propositions. Par contre lorsqu'un homme est porté à la tête de l'Etat par le suffrage universel, c'est essentiellement sur sa personne que l'on vote.

En fait, "on lui fait confiance", "on s'en remet à lui", et parfois sur la base de promesses plus ou moins démagogiques. A cet égard, les campagnes électorales présidentielles aux Etats-Unis sont d'une médiocrité que l'on n'est guère tenté de transposer ici.

Un tel mode d'élection ne peut offrir un élément de contrôle politique sérieux; il tend même à dépolitiser le corps électoral, il le pousse à démissionner, à prendre l'habitude d'aliéner sa souveraineté, à se désintéresser des affaires du pays." (collection "idées", nrf, n°18, p 57 )

 

Je pense aujourd'hui, compte tenu de l'expérience historique depuis cette date, que Mendès avait parfaitement raison.

La question de l'élection du Président au suffrage universel direct doit revenir au centre de nos préoccupations. Et voici pourquoi .

 

Les effets pervers de l'élection présidentielle au suffrage universel

 

Le premier et principal effet est un effacement artificiel du pluralisme par la promotion d'un "parti présidentiel" à vocation hégémonique et soumis au pouvoir sans contrôle du président élu. Celui-ci, oint du suffrage universel, est vécu comme la source de tout pouvoir : son entourage proche vit dans une ambiance de Cour, où chacun recherche la faveur du Prince et sonde ses intentions cachées pour aller à leur devant.

Ce renforcement sans pareil du pouvoir exécutif, qui s'est traduit par l'abaissement des prérogatives du Parlement, a mis en route le phénomène pervers du cumul des mandats : pour peser un élu doit s'appuyer sur un maximum de mandats électifs. C'est depuis l'avènement de la 5e République que ce phénomène s'est développé. Parallèlement les parlementaires se sont construit tout un tas d'avantages annexes leur permettant en particulier de peser auprès des élus locaux, avec un manque de transparence avantageant les élus du groupe majoritaire : ce fut le cas d e la "réserve parlementaire" jusqu'à ce que certains citoyens demandent des comptes et finissent par obtenir transparence et retour à un minimum d'équité entre élus.

L'effet en cascade du cumul et l'effet pervers des tentatives pour en limiter les effets, comme l'écrêtement des indemnités perçues par un élu, fut la constitution de véritables pyramides féodales par les "grands élus", arrosant les "petits élus" de leurs bienfaits (réserve parlementaire, reversement d'indemnités "écrêtées") en échange de leur fidélité inconditionnelle.

C'est ainsi que de fil en aiguille, des partis de militants, comme le PS, se sont transformé en féodalités d'élus, avec mobilisation des différents grands fiefs dans la course à la désignation du candidat pour les présidentielles, "la mère de toutes les élections". Le débat d'idées a été peu à peu vidé de sa substance au profit de cette lutte des fameux "éléphants".

 

La prise de conscience des effets du système a conduit à prendre des mesures : parité, limitation du cumul, transparence sur le patrimoine, les conflits d'intérêts et la réserve parlementaire. Et, bien sûr, la mise en place de "primaires"pour désigner le candidat à la présidentielle.

Mais ces mesures, tardives, ne portent que sur les conséquences, non sur la racine du problème. Et elles n'en traitent qu'une partie, voire en exagèrent les effets délétères, comme on l'a vu pour la primaire.

 

Les primaires : solution ou problème ?

 

Ayant moi-même milité fin 2016 pour une unique "primaire des gauches et des écologistes" avec l'insuccès que l'on sait, je me dois tout particulièrement de tirer les leçons de cet échec.

La suite a en effet montré que les trois candidats ayant viré en tête au premier tour de la présidentielle avaient tous trois la particularité commune d'avoir refusé de passer par cette procédure en apparence la plus démocratique.

Parallèlement, les trois vainqueurs des trois primaires organisées, celle des écologistes, celle de la Droite et celle du PS, n'ont jamais été les "favoris" de départ à ces primaires.

On sait par ailleurs que le candidat écologiste s'est retiré au profit du candidat PS.

 

Tout cet embrouillaminis n'a fait que démontrer ce que disait déjà Mendès en 62 : on a voté sur des personnes, non sur des programmes.

Le débat politique a été réduit au strict minimum.

 

Mais revenons sur l'échec des primaires uniques de la gauche : il a montré le refus croissant de s'aligner derrière une tête unique. A partir du moment où un seul remporte la mise, il n'y a plus, comme dit Mendès, de "contrôle politique sérieux" : l'élu a les mains libres, il ne dépend plus de personne, il fait ce qu'il veut. Dès lors comment s'étonner de la méfiance des potentiels futurs perdants ?

Cette primaire était d'avance, et pour des raisons structurelles, impossible.

 

Le cas Mitterrand

 

Contrairement à la légende, Mitterrand est le vrai fossoyeur de la gauche. En investissant l'élection présidentielle d'une légitimité que la gauche aurait dû continuer, à la suite de Mendès, de contester, il l'a amenée où elle est aujourd'hui.

Son action a toujours visé à éviter les débats de fonds au profit de l'activisme oppositionnel et électoraliste. Sa conversion au "programme commun", négocié en trois coups de cuillère à pot, n'était qu'une astuce tactique visant à rallier le PCF à son "panache blanc". Dès qu'il n'a plus eu besoin de ce "cache-sexe", il s'en est débarrassé sans état d'âme.

Cet homme sans scrupules avait cependant quelques convictions : il l' a prouvé sur la peine de mort (ce qui était aussi une forme de "rachat" sur son autorisation de l'exécution de Fernand Iveton); et le sens des symboles (abandon de l'extension du camp militaire du Larzac et du projet de centrale nucléaire de Plogoff).

Mais cela ne saurait l'exonérer de sa faute principale : avoir entraîné toute la gauche dans l'ornière du présidentialisme où elle a fini par s'embourber définitivement.

 

Il est temps d'en sortir. Si la gauche veut renaître, elle doit impérativement relancer la critique radicale du présidentialisme. Et ne s'inscrire que dans la perspective de législatives où elle peut pleinement déployer sa pluralité tout en construisant son rassemblement sur un vrai programme commun.

Cela suppose en corollaire un boycott explicite de la présidentielle. La république parlementaire que nous voulons ne peut se gagner que par une majorité parlementaire.

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