Dépenses militaires : un monde plus complexe et plus dangereux
Un monde plus complexe et plus dangereux :
effort relatif et dynamique selon les pays des dépenses militaires.
Parmi les nombreuses séries statistiques mises à la disposition du public par le Sipri (Stockholm International Peace Research Institute), l'une m'a paru particulièrement intéressante.
Il s'agit de la série mesurant, pays par pays, la part en % de la production nationale (PIB) consacrée aux dépenses militaires.
Bien que les chiffres collectés soient assortis de nombreuses restrictions sur leur exhaustivité, ils n'en montrent pas moins des différences très significatives entre pays. Ils montrent également des évolutions (la série porte sur la période 1988-2016).
Ainsi, le pays qui en 2016 consacre la plus grosse part de son PIB aux dépenses militaires avec 16,7% est le sultanat d'Oman. Ceux qui en consacrent le moins avec 0,2% sont l'île Maurice et la Guinée Equatoriale -si l'on excepte le Costa Rica qui donne lieu à la note suivante : Costa Rica has no armed forces. Expenditure for paramilitary forces, border guard, and maritime and air serveillance is less than 0.05% of GDP. Et, en effet, le Costa Rica est le seul pays a ne pas avoir de forces armées, mais seulement une police des frontières dont le coût, comme il est indiqué est inférieur à ...0,05% du PIB.
Mais quelle est la moyenne mondiale des dépenses militaires et quels sont les champions mondiaux de ces dépenses au regard de la richesse nationale ?
Et, surtout, quelle est la dynamique de l'évolution récente ?
Une moyenne mondiale de 2,2% du PIB ...
et des différences régionales marquées
Ce chiffre de 2016 est décliné par grandes régions du monde et met en cause certains préjugés :
Afrique 1,99%
Amériques 1,29%
Asie-Océanie 1,81%
Europe 1,61%
Moyen Orient 6,01%
Ainsi apparaît-il que globalement les pays dits du "Nord" (Europe et Amériques) consacrent moins de leur richesse nationale aux dépenses militaires que ceux dits du "Sud" (Afrique, Asie et surtout Moyen-Orient, très loin devant les autres).
Cela étant dit, l'analyse plus fine par pays fait apparaître d'autres éléments.
Pays militaristes et pays pacifistes
En effet, à l'intérieur de ces grandes régions du monde apparaissent de fortes différences entre pays.
Dans les Amériques, il n'y a pas de commune mesure entre les USA (3,3%... du plus gros PIB mondial) ou la Colombie (3,4%) et le Brésil (1,3%), le Canada (1%) ou le Mexique (0,6%)...sans reparler bien sûr du Costa Rica. A noter que Cuba se situe à 3,1% (chiffre de 2015). La plupart des autres Etats se situent entre 0,5% et 2%.
En Europe, les champions de la dépense militaire sont la Russie (5,3%), l'Arménie et l'Azerbaïdjan (4%) et l'Ukraine (3,8%)...loin devant la Grèce (2,6%), la France (2,3%), la Géorgie (2,2%) et le Royaume Uni (1,9%).
Les pays européens les moins militaristes étant l'Irlande (0,3%), la Moldavie (0,4%), le Luxembourg (0,5%); Malte (0,6%) et l'Autriche et la Suisse (0,7%).
Les autres pays se situent tous entre 1 et 2% (plus souvent près de 1 que de 2).
En Afrique, l'Algérie se détache de tous les autres pays avec 6,7%, (mais la Libye se situait en 2014-dernier chiffre connu- à 7,8%), loin devant la Mauritanie (4,1%) et la Namibie (3,9%), suivis par le Sud-Soudan, l'Angola et le Botswana à 3,7%.
Les pays les plus économes de leurs ressources pour la guerre sont, outre l'île Maurice et la Guinée Equatoriale déjà signalés, le Ghana et le Nigéria (0,4%).
Certains pays sont au-dessus de la moyenne, comme le Mali et le Maroc (3,2%), le Soudan (3,1%), le Tchad et le Zimbabwe (2,6%), la Guinée (2,5%).
Tous les autres se situent entre 0,5% et 2%.
En Asie et Océanie, un Etat ne fait l'objet d'aucun chiffre : il s'agit de la Corée du Nord, "en l'absence de données économiques permettant de mesurer le PIB"... Un autre Etat, le Myanmar (Birmanie) n'a pas de chiffre pour 2016 après avoir culminé à 4,8% en 2015...mais sur la foi de données "hautement incertaines".
Par contre les 3 "champions" asiatiques officiels de la dépense militaire sont Brunei (3,8%), le Pakistan et Singapour (3,4%);
Les autres Etats à fortes dépense militaires relatives sont le Kirgizistan (3,2%), la Corée du Sud (2,7%), l'Inde (2,5%) le Sri Lanka, et le Vietnam (2,4%) .
Les autres Etats se situent entre 1 et 2%.
Au Moyen Orient on trouve un maximum d'Etats consacrant aux dépenses militaires bien plus que la moyenne mondiale de 2,2% de leur PIB : c'est le cas explicite de 8 des 15 Etats de la région, auxquels il faudrait peut-être ajouter les 5 Etats pour lesquels aucune donnée n'est fournie pour 2016.
Seuls 2 Etats, l'Egypte et la Turquie (1,6% et 2%) se distinguent (très relativement) par leur sobriété militaire.
Dans la catégorie la plus militarisée, outre Oman déjà cité (champion du monde avec 16,7%), il faut compter dans l'ordre décroissant l'Arabie Saoudite (10,4%), le Koweit (6,5%), Israël (5,8%), Bahrein et l'Irak (4,8%), la Jordanie (4,5%) et l'Iran (3%). Mais il faut y ajouter sans doute les "absents" : la Syrie (dernier chiffre donné 4,1% en 2010), le Liban (estimation 2015 : 4,4%), les Emirats Arbes Unis (estimation 2014 : 5,7%), et le Yémen (4,6% en 2014).
Seul le Qatar (dernier chiffre connu : 2010 avec 1,5%...) semble faire exception.
Dynamique 1988-2016 : un rattrapage des pays émergents
Si l'on considère l'évolution sur cette moyenne durée de "l'effort militaire" des différents pays, on constate un relâchement certain des pays dits du "Nord" et une nette progression des pays émergents du "Sud".
Ainsi les USA passent de 5,7% en 1988 (apogée de la "nouvelle guerre froide") à 3,3% en 2016 (avec un creux en 1999-2001 à 2,9%, un regain de dépenses apès le choc du 11 septembre 2001 jusqu'à 4,7% en 2010, suivi d'un nouveau recul depuis).
En Europe de l'Ouest, les 3 principaux Etats (France, Allemagne et Royaume Uni) ont nettement (Allemagne et RU surtout) "baissé la garde" depuis 1988 : avec 3,6%, 2,8% et 3,8% à cette date, ils sont passés depuis à 2,3%, 1,2% et 1,9% en 2016 !
Face à cette évolution, la montée en puissance relative des "pays émergents" est impressionnante.
La Chine (dont le PIB a été multiplié par plus de 30) maintient un effort militaire à 2% du PIB, soit une multiplication par 30 de ses dépenses militaires.
L'Inde malgré son recul de 3,7% à 2,5% entre 1988 et 2016, a connu, avec un PIB multiplié par 7, une multiplication par 5 de ses dépenses militaires.
La Russie, après l'effondrement des années 1990 (estimation à 3% du PIB en 1998) a connu depuis un net regain de ses dépenses militaires avec une progression du PIB dû aux prix du gaz et du pétrole et un effort militaire porté à 5,3% en 2016 et en progression constante depuis 2012.
Une première conclusion :
Le résultat est une nette inflexion de la répartition mondiale des dépenses militaires entre 2001 et 2015 :
2001 2015
Afrique 1,66% 2,37%
Amériques 44,30% 40,55%
dont USA 38,4% 35,6%
Asie et Océanie 18,29% 26,07%
Europe 26,65% 19,91%
Moyen Orient 9,10% 11,10%
Même si les USA dominent de très loin le paysage, ils sont de moins en moins dans le quasi monopole de la force armée, et leurs alliés européens aussi.
Cette dissémination de la force militaire ne peut qu'avoir des effets déstabilisateurs sur un ordre mondial de plus en plus complexe et mouvant.
Dans ce contexte nouveau, continuer à ne lire le monde qu'avec la clé de lecture d'un impérialisme américain qui expliquerait tout semble une fausse facilité qui explique de moins en moins de choses.
Il devient vital pour les pacifistes de sortir des vieux schémas en analysant les nouveaux dangers de guerre à la lumière de la complexité des enjeux.
En particulier, le rôle des nouvelles "paniques identitaires" comme (fausses) réponses à la mondialisation ne saurait être rabattu à leur "instrumentalisation" par un impérialisme américain supposé tout-puissant.
On le voit bien dans le cas du conflit Syrien (où, comme l'a fait remarquer un observateur, on cherche en vain où est l'enjeu pétrolier...) : dénouer la crise ici suppose de faire droit aux revendications démocratiques de la majorité du peuple syrien contre le confessionnalisme cultivé à la fois par le pouvoir dictatorial d'Assad et par les courants djihadistes, donc éviter de favoriser l'un ou l'autre de ces deux acteurs.dans des négociations qui s'annoncent délicates.