Pierre ROSANVALLON et la "démocratie d'exercice" : une critique de gauche du populisme ?
Pierre ROSANVALLON et la "démocratie d'exercice" :
une critique du populisme ?
On connaît la répulsion qu'inspire Rosanvallon à tous ceux qui ne lui pardonnent pas d'avoir validé intellectuellement le "tournant de la rigueur" de 1983, marquant l'abandon progressif de tous les marqueurs "de gauche" par un PS devenu gestionnaire et sans imagination. Jusqu'au naufrage du quinquennat Hollande, accouchant d'un "progressisme" invertébré à connotation populiste, le "macronisme".
Il n'en reste pas moins qu'il a par la suite heureusement abandonné la posture du "militant" pour se consacrer à la réflexion historique.
Cela nous a valu de solides ouvrages sur les différents aspects de la démocratie, aboutissant au constat d'une "démocratie inachevée", ce qui renouait avec son inspiration première des années 70 de penseur de "l'autogestion".
Il intervient aujourd'hui sur les développements de la campagne présidentielle (entrevue au "Monde" daté 3-3-17, sous le titre : "Nous vivons un basculement démocratique".)
Quelques idées majeures qu'il exprime méritent à mon avis d'être notées.
Refus de la confusion entre "peuple arithmétique" et "légitimité démocratique"
Dans le droit fil de son ouvrage "Le peuple introuvable" (1998), il rappelle que "la majorité électorale ne représente pas toute la société. D'où la nécessité de ne pas limiter la démocratie à l'expression électorale d'un "peuple arithmétique". Car "la démocratie doit aussi faire vivre des pouvoirs neutres sur lesquels personne ne peut mettre la main, y compris la majorité. C'est la raison d'être des autorités judiciaires et des autorités indépendantes." Et "les régimes populistes se caractérisent par le refus de cette pluralité : ils veulent mettre à leur botte les cours constitutionnelles, supprimer les organismes indépendants, et considèrent comme ennemis les pouvoirs d'analyse, de jugement et d'investigation qui sont ceux de la presse."
Besoin d'instances citoyennes "post-électorales"
Sans les remettre en cause, il pointe les insuffisances des "primaires" : "au-delà du fait que leur organisation aurait dû intégrer une instance de contrôle des candidats (...) elles ont fait oublier le besoin essentiel de définir aujourd'hui les termes d'une démocratie post-électorale qui superpose aux élections d'autres instances citoyennes."
Besoin d'une intelligence critique du "populisme"
"il faut défendre l'idée que la démocratie, ce n'est pas que le peuple électoral, mais aussi ses contre-pouvoirs. En un mot, il faut davantage avoir l'intelligence de son indignation."
Or, "Marine Le Pen, Emmanuel Macron ou Jean-Luc Mélenchon ne se fondent pas sur un principe de représentation (quoi qu'il prétendent dans leur discours)(...) (mais sur) un principe d'identification. C'est l'inverse de la représentation. C'est leur personnalité qui crée la base sociale, comme le montre le succès de leurs apparitions publiques ou médiatiques. Le coeur de leur campagne, ce n'est plus le programme, mais leur personne."
Cet essor du populisme plébiscitaire repose sur la crise des partis : ceux-ci ne représentent plus le creuset social dans lequel se construisent une culture politique et un programme politique exprimant les aspirations et besoins de la société.
Besoin d'une refondation des partis politiques
Ceux-ci doivent abandonner, avec leur rôle passé se limitant à soutenir ou critiquer le gouvernement en place, le cumul des mandats qui les a réduits à des féodalités de grands élus, en se ressourçant dans la société et ses débats pour animer à leur tour un vrai débat politique portant sur les enjeux majeurs : "redéfinir la démocratie, l'Europe et le contrat social". Autant d'enjeux aujourd'hui raptés par une extrême-droite intellectuellement conquérante sur les thèmes de l'identité nationale-chrétienne et de l'autorité.