Union des gauches : un éternel débat, une constante nécessité !

Publié le par Henri LOURDOU

Photo prise au  Miam (Musée international des arts modestes) de Sète : exposition temporaire sur les Shadoks (automne 2016). Le dessin de l'affiche est de Jacques Rouxel, immortel inventeur des Shadoks. Celle-ci date du début des années 70.

Photo prise au Miam (Musée international des arts modestes) de Sète : exposition temporaire sur les Shadoks (automne 2016). Le dessin de l'affiche est de Jacques Rouxel, immortel inventeur des Shadoks. Celle-ci date du début des années 70.

Union de la gauche : un éternel débat,

une constante nécessité !

 

"La gauche est née de la rencontre de deux grandes idées, l'idée de progrès, l'idée de justice".

(Jacques JULLIARD,"Les gauches françaises. 1762-2012 : Histoire, politique et imaginaire", Flammarion, 2012, p 29)

 

Dans cet ouvrage qui fait déjà référence et se veut le pendant pour la gauche de ce que René Rémond avait fait pour la droite (en dégageant ses 3 tendances : légitimiste, orléaniste et bonapartiste), Julliard propose une typologie des gauches autour de leur rapport respectif à l'individu et à l'Etat.

Il dégage donc 4 gauches :

-gauche libérale, attachée aux droits de l'individu et à l'équilibre et la séparation des pouvoirs;

-gauche jacobine, attachée au rôle de l'Etat central au service d'un volontarisme politique;

-gauche collectiviste, issue du mouvement ouvrier et attachée à la propriété collective des moyens de production, aux services publics;

-gauche libertaire, attentive à tous les courants d'émancipation et à l'expérimentation sociale venue d'en bas.

Ces 4 gauches formeraient la Gauche française d'aujourd'hui, au-delà des apparences partisanes.

 

Une diversité problématique

 

A la typologie de Julliard, on pourrait aussi opposer les 4 sources de la gauche selon Edgar Morin, rejoint par Stéphane Hessel : "la source libertaire, qui se concentre sur la liberté des individus; la source socialiste, qui se concentre sur l'amélioration de la société; la source communiste qui se concentre sur la fraternité communautaire. Ajoutons-y la source écologique, qui nous restitue notre lien et notre interdépendance avec la nature et plus profondément notre Terre-mère, et qui reconnaît en notre Soleil la source de toutes les énergies vivantes." (in "Le chemin de l'espérance", fayard, 2011, pp 59-60).

Leur contribution a d'autant plus de prix pour moi qu'elle se situe d'un autre point de vue que Julliard, qui a rejoint la tribu néo-réactionnaire :

"Nous souhaitons que les partis politiques actuels, dont les ressourcements sont taris et se sont de surcroît fossilisés, acceptent de se décomposer pour une recomposition qui puiserait conjointement aux quatre sources." (p 60)

 

Décomposition

 

Nous y sommes fin 2016 en plein. La perspective des élections de 2017 voit les différents partis déchirés (à l'exception du petit PG, rangé comme un seul homme derrière son chef providentiel, mais qui a la particularité d'avoir très peu d'élus...ce qui favorise le sectarisme et le solipsisme nombriliste).

Le PCF et Ensemble ! , deux des trois principales composantes du Front de Gauche, avec le PG, viennent de se prononcer à une courte majorité pour le ralliement à la candidature auto-proclamée de Jean-Luc Mélenchon.

EELV a désigné son candidat lors d'une primaire ouverte à laquelle ont participé 15 000 personnes, soit 3 fois plus que ce le parti compte encore d'adhérents (il en avait 14 000 en 2012), mais 2 fois moins que les votants de la primaire de juin 2011 qui avait désigné Eva Joly comme candidate.

Si Yannick Jadot est un candidat beaucoup plus consensuel que Cécile Duflot (éliminée, comme Sarkozy à droite, dès le 1er tour), son maintien jusqu'au bout et quoi qu'il arrive à gauche ne fait pas l'unanimité.

La composante libérale-libertaire a trouvé en Macron son candidat...à la nuance près qu'il apparaît beaucoup plus libéral que libertaire, malgré le soutien des frères Cohn-Bendit. De fait il chasse sur les terres de Bayrou, plus que sur celles de José Bové ou de Stéphane Hessel...

Enfin, côté socialiste, la primaire annoncée des 22 et 29 janvier semble plus ouverte que jamais avec le désistement de Hollande. Les "frondeurs" semblent incapables de s'unir sur une candidature commune, ce qui ouvre un espace à Valls et son national-sécuritarisme productiviste (on ne discerne plus très bien où sont ses marqueurs de gauche en-dehors d'un credo moderniste encore plus vintage que celui de Macron, car son discours sur la laïcité peine à se distinguer de celui du FN). La seule candidature un peu rafraîchissante est celle de Pierre Larrouturou, de Nouvelle Donne, mais que peut-elle peser ? Et nous ne parlerons pas des "écologistes de gouvernement" issus de différentes scissions d'EELV...Ni de la candidate annoncée hors primaire du PRG qui vise à faire monter les enchères pour les investitures aux législatives.

 

Face à cette foire d'empoigne, le peuple de gauche est réduit soit à regarder le spectacle, soit à se saisir de l'ultime occasion de peser sur ce paysage éclaté : la primaire des 22 et 29 janvier.

 

Recomposition ?

 

Dans l'immédiat, deux scénarios s'offrent à nous : celui d'une dispersion et d'une défaite historique des gauches aux présidentielles, puis aux législatives de 2017; celui d'une candidature sinon commune du moins rassembleuse aux présidentielles, créant une dynamique mobilisatrice pour les législatives.

 

Le premier scénario est le plus probable. Il ouvrirait une période plus ou moins longue d'introspection (qui a déjà commencé depuis longtemps pour certains) des gauches, marquée par un débat ouvert sur les causes des défaites et les conditions d'un rassemblement efficace et suffisamment crédible pour devenir majoritaire.

Ce débat comporte notamment la question de la restauration du lien entre les élus et les électeurs, la prise en compte du malaise social et de son détournement identitaire, la prise en compte de l'enjeu écologique et donc des questions internationales à l'aune des valeurs de gauche, la remise en débat du réformisme comme méthode de prise en compte de tous ces enjeux : à savoir débat démocratique et pratique du compromis pour faire évoluer la société sans violence.

Ce débat implique impérativement la fin de la "guerre des gauches" cultivée à la fois par les nostalgiques de la radicalité (version Mélenchon) et les obsédés de l'ordre et de l'autorité (version Valls). Il faudra donc pour le mener expérimenter, peut-être longuement, l'impasse politique où nous conduisent ces deux postures symétriques.

 

Le second scénario, improbable, est celui d'une candidature rassembleuse des gauches aux présidentielles. Une candidature qui ringardiserait, à défaut d'éliminer, les 3 candidatures déjà annoncées (Mélenchon, Macron, Jadot).

Je ne vois guère que Christiane Taubira pour accomplir ce prodige. Car elle a l'équation personnelle permettant de rassembler une bonne partie des gauches dispersées ou démobilisées par le spectacle de la division.

Je sais bien qu'elle est très critiquée par certains cénacles d'initiés pour ses compromissions passées avec Tapie (liste européenne de 1994...pilotée par Mitterand pour torpiller Rocard soit dit en passant), ou avec le PRG (candidature aux présidentielles 2002 qui, arithmétiquement, a empêché Jospin d'accéder au 2d tour : mais cet accident démocratique a plus fondamentalement été créé par les millions d'abstentionnistes supplémentaires que Jospin n'a pas su mobiliser), voire la façon fantasque dont elle aurait géré son ministère de la Justice...

Il n'en reste pas moins qu'elle est associée à une certaine idée de la gauche : celle de l'égalité des droits et de la lutte contre toutes les discriminations. Et cela pèse bien peu en face de ceci.

Face aux discours identitaires qui vont envahir la campagne, elle constitue un puissant contre-poison fédérateur de toutes les gauches.

Si d'aventure cette candidature s'imposait, elle permettrait aux différentes forces de gauche de négocier des accords de désistement pour les législatives. Pour mémoire, l'avènement du scrutin uninominal majoritaire à deux tours en 1958 pour les législatives a été une hécatombe pour une gauche alors divisée au maximum.

Cela ne garantit en rien une victoire aux présidentielles, mais permettrait au moins de créer les conditions d'une meilleure résistance à la réaction qui s'annonce. Et, au-delà, celles du nécessaire débat de fonds évoqué plus haut.

 

"L'effet TRUMP" : un révélateur de la rhétorique dangereuse

des romantiques de la table rase à gauche.

 

A quelque chose malheur est-il bon ? L'élection surprise de Donald Trump aura au moins permis à Slavoj Zizek, qualifié par "Philosophie magazine"(novembe 2013, p 29) de "pape du néocommunisme" qui "inspire aujourd'hui une grande partie de la jeunesse contestataire du monde entier" (ibidem, p 28) de nous livrer le fond de sa pensée sur l'avenir de la gauche dans une tribune du "Monde" ("Une chance de recréer une gauche authentique", dimanche13-lundi14 novembre 2016, pp 22-23).

 

Disons tout de go que le fond de cette pensée nous inquiète fort. Car il constitue plus qu'un pari dangereux : une faute politique grave, basée sur une forme de légèreté narcissiste, "eurocentrique et coloniale" que d'autres avaient déjà relevée.

 

Ajoutons que cette faute politique est aujourd'hui partagée par la plupart de ceux-celles qui ont accepté de suivre l'orientation donnée par JL Mélenchon à sa campagne présidentielle.

Cette faute est très bien résumée par Slavoj Zizek lui-même lorsqu'il écrit : "N'oublions jamais (...) que la colère populaire est, par définition, flottante, et qu'elle peut être réorientée."

Un tel jugement dénote une totale méconnaissance du peuple et de l'Histoire.

 

J'ajouterai même une forme de mépris élitiste du peuple, qu'il serait si facile de manipuler !

Rien d'étonnant alors qu'il soit fait référence en conclusion à Mao, dont la manipulation du peuple reposait sur une politique d'encadrement policier et de terreur.

 

Heureusement, Slavoj Zizek ne dispose pas des mêmes instruments. Sa rhétorique n'a donc d'effet que sur ceux-celles qui partagent sa vision romantique de la politique (ce que montre sa citation finale de Mao : "Sous le ciel tout est grand chaos, la situation est excellente.")

 

Un romantisme politique bien léger

 

Il suffirait donc de profiter du "grand chaos" pour construire une vraie alternative de gauche. Car, une fois la "fausse gauche" détruite ou disqualifiée, tout devient possible.

C'est l'arrière-fond de la campagne de "la France insoumise" de JL Mélenchon. Le discrédit de F Hollande serait une chance et non un boulet pour toute la gauche.

Bien sûr les têtes pensantes de cette campagne (et donc JL Mélenchon lui-même) n'y croient qu'à moitié.

Et c'est certainement la raison pour laquelle ils ont choisi d'ôter tous les marqueurs de gauche de leur matériel de campagne : choix des couleurs, des sigles et des slogans visant à faire croire que celle-ci est en-dehors du clivage traditionnel gauche/droite et en-dehors des partis.

L'objectif, on l'a compris, est de réorienter cette colère prétendument flottante d'une partie du peuple égarée du côté du Front national.

Les sondages hélas ne montrent aucune inflexion de ce côté-là : les intentions de vote donnent invariablement Marine Le Pen à 29% (sondage Ipsos-Cevipof des 8-13 novembre publié dans "Le Monde" du 18-11, p 11) : le seul scénario où elle perd 2 points (à 27% donc) est celui d'une candidature Macron...qui prend des électeurs partout, même à Mélenchon qui passerait de 14 à 13%.

De fait, le succès (tout relatif) de la candidature Mélenchon s'appuie essentiellement sur la "fidélisation" de l'électorat Front de Gauche de 2012 (12%) et une captation très partielle des "déçus du PS" (2 points sur une perte de 14 à 18 selon les scénarios...).

En réalité, Mélenchon est bien identifié à gauche. Et même à l'extrême-gauche. Et c'est bien pour cela qu'il plafonne dans les intentions de vote.

 

Réorienter la colère du peuple ?

 

D'abord, bien identifier de quel peuple on parle. Car ce terme fourre-tout recouvre bien des réalités contradictoires.

Si l'on raisonne sociologiquement, avec les CSP de l'Insee, on sait aussi qu'il y a des tendances différentes selon le niveau scolaire, l'insertion géographique, les traditions historiques locales, etc.

En sorte que l'on peut quasiment parler d'un "peuple de gauche" et d'un "peuple de droite".

Donc parler de "colère flottante" est bien léger.

De fait, la "flottaison" ne s'exerce que sur une fraction périphérique de ces deux "noyaux durs" inscrits dans l'Histoire et la géographie de notre pays.

Et ceux-ci sont structurés sur des systèmes de valeurs extrêmement polarisés : autorité/liberté; fermeture identitaire/ouverture à l'autre; individualisme/solidarité; hiérarchie/égalité.

La tendance observée sur la longue durée à l'affaiblissement des cadres d'engagement collectif, au bénéfice d'un individualisme généralisé, ne supprime pas ces héritages.

De là le maintien, malgré tout, d'intentions de vote à gauche pour 31% des électeurs , dans le pire des cas, alors que la meilleur hypothèse porte ce vote à 38% (sondage cité). Inversement, le vote de droite se situe de 35% à 40%, et celui d'extrême-droite semble bien fixé à 27-29%.

La question étant de savoir si le vote d'extrême-droite n'est qu'un égarement passager ou une tendance forte basée sur une adhésion à des valeurs.

Autrement dit, l'extrême-droite est-elle plus près de la droite que de la gauche ?

Nous avons de fortes raisons de penser que la continuité droite/extrême-droite est de plus en plus marquée, et s'appuie bien, en effet, sur le système de valeurs polarisé opposant la gauche à la droite.

Droite et extrême-droite partagent en effet un même goût pour l'autorité, la fermeture identitaire, l'individualisme et la hiérarchie.

Dès lors, conquérir des électeurs-trices pour la gauche suppose de les gagner aux valeurs opposées de liberté, d'ouverture à l'autre, de solidarité et d'égalité.

 

Mener la bataille des valeurs

 

Pour la mener il faut d'abord être au clair sur elles, et savoir les incarner par l'exemple. Ce n'est pas sur des discours que nous la gagnerons, mais sur des pratiques.

Car c'est par la distorsion entre les discours et les pratiques que la gauche de gouvernement s'est déconsidérée.

De ce point de vue, Nadjeda Tolokonnikova a eu raison d'interpeller Slavoj Zizek depuis sa colonie pénitentiaire en 2013 : "Les pays européens et les Etats-Unis collaborent volontiers avec la Russie qui adopte des lois moyenâgeuses et jette en prison les opposants politiques (...) La question se pose : quelles sont les limites admissibles de la tolérance ? Et à quel moment la tolérance se transforme-t-elle en collaborationnisme, en conformisme et en complicité ? (...) Mon idée est très simple : je pense que les théoriciens européens devraient mettre de côté leur orientation eurocentrique et coloniale pour passer en revue le capitalisme global dans toute sa plénitude, dans toutes les régions du monde." ("Philosophie magazine", novembre 2013, p 36).

Et elle a joint le geste à la parole, moins de deux ans plus tard : "12 juin 2015, nous sommes allées, costumées en prisonnières, sur la place Bolotnaïa. J'ai enfilé le même uniforme que je portais à l'époque où je me bousillais les doigts à la colonie pénitentiaire (...)

La Russie ce n'est pas seulement l'heureux tchékiste Poutine et ses amis oligarques, c'est aussi 600 000 détenus. Nous cousons un drapeau russe sur la place Bolotnaïa, parce que c'est de cette place que des dizaines de militants ayant pris part à la marche d'opposition du 6 mai 2012, la veille de l'investiture de Poutine, sont partis pour les camps. Beaucoup d'entre eux cousent aujourd'hui des uniformes de police dans des colonies pénitentiaires.

Le Jour de la Russie, nous nous rendons place Bolotnaïa (...) Trois minutes plus tard, une patrouille nous entoure et nous demande de la suivre dans le fourgon." ("Désirs de révolution" de Nadejda Tolokonnikova, Flammarion, 2016, p 266).

 

La question qui nous est donc posé est simple : que faisons-nous, et nos partis avec, pour incarner les valeurs de liberté, d'ouverture à l'autre, de solidarité et d'égalité ? C'est la condition préalable pour réveiller le "peuple de gauche" et lui redonner le goût de se battre.

Il n'y a là rien qui consiste à "réorienter la colère flottante du peuple", juste un devoir de cohérence entre le dire et le faire. Et cela n'implique nullement d'effacer de la carte tel ou tel parti en tant que bouc-émissaire d'un échec qui va bien au-delà de lui.

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