Abdel Basset Sarout : portrait d'un révolutionnaire syrien

Publié le par Henri LOURDOU

 Portrait d'un révolutionnaire syrien

 

Dans "Society" n°46 de décembre 2016, sous le titre "Le gardien de la révolution", un portrait assez fouillé autour d'une entrevue, réalisée en novembre 2016 à Istanbul, de Abdel Basset Sarout. Article de Thomas PITREL, photos de Bradley SECKER.

Celui-ci était le héros de "Homs, chronique d'une révolte", documentaire de Talal Derki sorti en novembre 2013, qui nous avait fait forte impression.

Né le 1er janvier 1992 à Al Bayada, le quartier le plus pauvre de Homs, d'un père forgeron, il a six frères et trois soeurs.

Repéré lors d'un tournoi de football inter-écoles, il est retenu pour faire partie de l'équipe nationale lors de la coupe d'Asie des moins de 16 ans. Il s'envole alors vers l'Ouzbékistan. On est en 2008. Il y est classé 2emeilleur gardien de but de la compétition, bien que son équipe ne dépasse pas les quart-de-finales. Une carrière de footballeur s'offre donc à lui.

Mais il franchit la ligne rouge le 6 mai 2011 en participant à visage découvert à la première manifestation contre le régime à Homs. Ses motivations ? "Nous écrivons ensemble l'histoire de la nouvelle Syrie. Une nouvelle Syrie sans ce régime qui parle de guerre entre les sunnites, les alaouites et les chrétiens.Nous sommes tous syriens. Nous sommes tous égaux."(Déclaration du 2 janvier 2012)

Sur ces bases, il a animé pendant six mois les manifestations pacifiques dans sa ville de Homs. Mais dès début 2012, il prend les armes en créant dans son quartier la brigade des Martyrs d'Al Bayada pour résister à la reconquête militaire de la ville par le régime. Début mai 2014, après deux ans de résistance acharnée, affamés et à bout de forces les derniers combattants négocient leur évacuation en échange de la libération d'otages iraniens détenus à Idlib par l'ASL.

En décembre, le bruit se répand qu'Abdel Basset Sarout aurait rejoint Daech : des photos de lui circulent en tenue jihadiste (cheveux et barbes non coupés et bandeau noir sur la tête) avec le drapeau noir de l'EI.

Et puis,le voici qui ressurgit à Istanbul en novembre 2016.

Il s'explique sur cette "rumeur" de ralliement à Daech. Ce n'est pas entièrement une rumeur : il a effectivement envisagé de faire allégeance, mais il a reculé au dernier moment. "Je n'étais pas attiré par leurs idées mais par leur capacité à combattre le régime." Ceci dans un contexte ou l'ASL n'existe pratiquement plus, abandonnée par les Occidentaux et en proie à des divisions, et où au contraire le groupe jihadiste du Front (Jabhat) al-Nosra, affilié à al-Qaïda, est en plein essor : c'est avec lui en fait qu'Abdel Basset Sarout est entré en contact. Et beaucoup de ses combattants vont rallier Daech.

Il justifie son refus final d'allégeance par la prise de conscience que Daech combat autant les brigades rebelles n'ayant pas fait allégeance que le régime : "J'avais passé deux ans et demi dans le siège de Homs, je ne connaissais pas ces enjeux, je ne savais plus qui était avec qui. Ce que fait Daech n'est accepté ni par Dieu, ni par le prophète."

Mais pour autant, il refuse de se joindre au Front al-Nosrah pour combattre Daech. Traîné devant un tribunal dont le jury est constitué de plusieurs groupes rebelles pour cela, il affirme que, bien que non affilié au califat, il n'a pas non plus l'intention de verser le sang de qui que ce soit d'autre que les soldats du régime.

Condamné à rendre ses armes, il refuse, et la cour le juge alors coupable d'avoir prêté allégeance à l'Etat islamique. Cela n'empêche pas ce dernier de le considérer comme un renégat, car, en bonne logique totalitaire, qui n'est pas avec lui est contre lui.

S'il se réfugie en Turquie, au printemps 2016, dit-il, ce n'est pas pour cette raison : "(Sa) brigade est en conflit pour autre chose avec un groupe rebelle et avec Jabhat al-Nosra, le procès aura lieu dans un mois. Mais dans un mois, si Dieu le veut, tout sera réglé et je pourrai repartir au combat." (p 63)

 

Ce portrait montre bien la détermination sans faille de quelqu'un qui s'est totalement engagé dans la lutte contre le régime : un régime qui a dressé entre lui et ses opposants une barrière de sang. Sarout rappelle que "quatre de ses six frères sont morts, cinq de ses oncles, 30 personnes dans la famille de sa mère, d'innombrables amis proches..."(p 58).

D'où sa fixation sur Bachar el-Assad : "Même le pire homme sur terre est meilleur que lui. Ils ont massacré des civils à Karm el-Zeitoun (un quartier de Homs-ndlr), ils ont égorgé des enfants à Houla (un village au Nord de la ville -ndlr). Si je te montrais ces gens baignant dans leur sang, tu prendrais tout de suite une arme pour tuer ceux qui ont fait ça." (p 62)

Blessé plusieurs fois, il n'envisage pas de reprendre le foot... Mais il ne veut ni argent, ni responsabilités. Il pense qu'une fois la guerre terminée, il deviendra forgeron comme son père...

Il est immensément populaire dans la diaspora syrienne, car il exprime pleinement l'esprit de la révolution.

Publié dans Syrie

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