Leçons d'Histoire pour une Gauche aux abois
La leçon positive du Front populaire en 1934-36 :
Ce fut le leitmotiv de mon intervention au débat " favoriser l’irruption citoyenne et le rassemblement pour une alternative à Gauche pour 2017 et au-delà », à la Fête de l'Humanité 65 à Soues du 2 octobre 2016.
"Depuis 2012, j'ai souvent eu l'occasion d'être en colère. Je ne vais pas entrer dans le détail, mais je remarque que 90% des gens sont aujourd'hui en colère en France, et parfois pour des raisons diamétralement opposées.
J'en conclue déjà que la colère ne suffit pas à définir une politique.
Alors, sur quoi s'appuyer ?
Sur l'espoir bien sûr. L'espoir d'un monde meilleur, l'espoir d'une humanité apaisée : c'est cela qui a fait bouger les foules victorieusement dans le passé. Et c'est cela qui peut les faire bouger dans le présent.
Mais il y a à cela des conditions.
La première, c'est l'union des gauches.
Quand on lit récemment dans une chronique du "Monde" qu'on peut aujourd'hui compter 7 gauches différentes, toutes plus soucieuses de se différencier de la voisine. Quand on voit les derniers sondages sur les candidats putatifs aux prochaines présidentielles. On n'a qu'une envie, c'est de leur dire : dégagez tous ! Et c'est bien ce que leur disent à leur façon les électeurs en partageant leurs suffrages, ou en s'abstenant. Dans ce contexte je ne vois pas l'intérêt d'avoir chacun son petit candidat dans son coin.
En 1934, les gauches françaises étaient aussi divisées qu'aujourd'hui. Peut-être plus.
Il aura fallu le vent du boulet d'une tentative de coup d'Etat fasciste pour forcer les directions des partis à s'unir. Cela grâce à la poussée de la base qui le 12 février 1934 a fait converger deux manifestations appelées séparément pour protester contre la tentative de prise du pouvoir par la force du 6 février.
Et cela a donné le Front populaire, avec un programme commun improbable fourni par un groupe d'intellectuels marginaux, les planistes, qui a fourni le substrat intellectuel de la gauche pour 45 ans !
Aujourd'hui, bien des choses ont changé, mais le défi est le même : le peuple de gauche doit se mobiliser pour forcer les partis à l'union. Je ne sais pas encore comment, car le verrou de la présidentielle est un verrou puissant, qui pousse au ralliement derrière un homme providentiel sans vrai débat.
Mais les électeurs ont et auront le dernier mot, et je reste persuadé qu'eux veulent l'union face au danger fasciste qui nous menace à nouveau. Si les gauches sont incapables de s'unir, ils choisiront le moins pire des candidats de la Droite et du Centre : est-ce bien cela que nous voulons ?"
Mais à cette leçon positive, il faut ajouter d'autres leçons plus négatives, montrant que l'Histoire ne se répète pas. Et dont il faut aussi tirer des enseignements pour aujourd'hui.
Les leçons négatives de 1958 et 1969 :
Je me souviens de la "une" du Nouvel Observateur au lendemain du 10 mai 1981 : "23 ans après : la Gauche !"
C'était un utile rappel que la Gauche était restée dans l'opposition depuis 1958.
Et c'est bien ce qui nous menace à nouveau, face à une faillite morale et un éclatement maximal du camp de la Gauche.
1958 : an zéro pour la gauche
En 1958, la faillite morale était double. D'un côté celle de l'intervention soviétique en Hongrie et de la reprise en main en Pologne en 1956 contre des velléités de démocratisation et de libéralisation du modèle stalinien. De l'autre la honte de la sale guerre coloniale menée en Algérie, avec ses "corvées de bois", et sa pratique généralisée de la torture.
Ces deux tâches au front de la gauche communiste et de la gauche socialiste et radicale avaient donné naissance à une "nouvelle gauche" dont sortira en 1960 le PSU, formé de dissidents du PCF, de la SFIO et du MRP (parti catholique du centre) et de beaucoup de jeunes radicalisés d'origine catholique.
En 1958, l'arrivée de De Gaulle au pouvoir par un quasi-coup d'Etat, s'appuie sur le désarroi et la division de la Gauche. C'est ainsi qu'une bonne partie des parlementaires socialistes et radicaux lui votent les pleins pouvoirs.
La cause majeure de ce désarroi et de ces divisions, on l'a un peu oublié, a été le positionnement des uns et des autres face à ce qu'il était alors interdit d'appeler "la guerre d'Algérie".
Mutatis mutandis, on pourrait reproduire cela sur les réactions actuelles face au terrorisme jihadiste. Et j'y reviendrai plus loin.
Il n'est donc pas inutile de revenir sur ce passé.
Un article d'époque d'Albert MEMMI pour la revue "Arguments", revue de la "nouvelle gauche" créée par Edgar MORIN (qui ne rejoindra jamais à ma connaissance le PSU) est très éclairant.
Il est repris dans son recueil "L'homme dominé", repris en 1973 dans la Petite Bibliothèque Payot (n°223), pp 66-86, où je l'ai découvert.
Sous le titre "La Gauche et le problème colonial", MEMMI analyse la paralysie de la Gauche en 1958.
Son constat de départ aurait pu être écrit à l'automne 2016 :
"La gauche serait paralysée parce qu'elle n'a pas d'action commune. Je crois malheureusement le mal plus profond, plus grave et plus lointain. Elle n'a pas d'action commune parce qu'elle n'a pas de politique commune; et elle ne peut avoir de politique commune parce qu'elle n'a plus guère de doctrine commune.
Le résultat de cette carence est que la gauche a éclaté sur ce problème (le problème colonial). Les résolutions de gauche, si résolutions il y a, relèvent de l'émiettement; même à l'intérieur de groupes, quelquefois chez un même individu."
(p 71)
On est tout d'abord frappé par l'analogie de la situation, face au problème actuel des attentats, de la guerre en Syrie et du rapport général au monde islamique, qui me semble en grande partie un avatar du "problème colonial".
MEMMI distingue 3 types d'attitudes à gauche :
"-La réaction nationaliste
-le soutien inconditionnel au colonisé
-l'opportunisme" (p 71)
Dans la première, il situe "de nombreux enseignants socialistes" qui témoignent d'une "espèce de bonne conscience, de revendication éthique : celle d'un humanisme laïque désemparé, d'un universalisme qui se croit bafoué, et qui, d'une certaine manière, l'est. Les enseignants socialistes ont cru sincèrement que, tôt ou tard, à force de patience, de temps, d'éducation laïque et républicaine donnée par l'école, et de réformes obtenues par le parti socialiste, on arriverait à la grande fraternité humaine, en particulier entre Colonisateurs et Colonisés." (p 72)
Or le Colonisé se révèle comme une "espèce de fanatique sanguinaire, un agresseur revendicatif (...) un nationaliste ingrat !" (ibidem)
Ces enseignants socialistes "sont (donc) amenés à rouvrir le procès de la colonisation, et cette fois en appel (...) Engagés dans cette voie dangereuse, la guerre se continuant, un grief en amenant un autre, les attitudes se contaminant l'une l'autre, on va revoir un à un les attendus du procès (...) On peut (le) trouver dans la collection de la Revue socialiste dont la passion anti-colonisés a souvent dépassé celle des journaux de droite (...) Peu à peu, comme me l'a soufflé plaisamment E .Morin, nous passons du bon sauvage à l'affreux Papou." (p 72-73)
Résultats : confusion, contradiction, inefficacité, déshonneur.
Confusion : la gauche s'efface en tant que gauche derrière le discours nationaliste et colonialiste de la droite.
Contradiction : au nom de l'humanisme universaliste, de la paix et de la libération des peuples, on fait une guerre sale, basée sur le chauvinisme, le racisme et l'injustice.
Inefficacité : La gauche est toujours dépassée par la surenchère de la droite, car elle ne peut gagner cette guerre.
Déshonneur : La gauche perd toute crédibilité aux yeux du Colonisé, aux yeux du monde et même aux yeux de sa propre base la plus consciente et sensible à l'injustice.
C'est ainsi que la SFIO a perdu toute une génération de jeunes cadres : d'Alain Savary à Michel Rocard.
La deuxième attitude, à l'époque très minoritaire, est celle de la "nouvelle gauche", dans laquelle MEMMI distingue particulièrement le cas des "chrétiens progressistes". Dans leur posture de soutien inconditionnel et a-critique au FLN, MEMMI voit un abandon de tout dialogue avec le Colonisé. Et plus dramatiquement un relativisme culturel abandonnant les valeurs universalistes et laissant seuls les colonisés les plus politisés et critiques face aux régressions terroristes, nationalistes, autoritaires et xénophobes dans leur propre camp.
C'est dire que pour lui cette posture , même si elle est plus acceptable que la première, est fortement criticable.
Quant à la troisième attitude, qualifiée d'"opportuniste", elle caractérise selon lui le comportement du PCF. Et elle résulte de la contradiction entre la doctrine et la réalité. La doctrine voudrait que la lutte des classes passe au premier plan, devant la question nationale. D'où le soutien restrictif, et parfois contradictoire, à la lutte anticoloniale : "Le Parti français clame son indignation et vote les pleins pouvoirs aux partis qui font la guerre" (p 78).
Mais elle est aussi celle d'une "gauche libérale", du type Mendès-France, qui aurait souhaité concilier indépendance des colonies et "intérêts français" par la négociation (p 79-80).
Face à cette triple impasse, MEMMI préconise :
-Une prise de position claire contre le colonialisme basée sur l'universalisme des valeurs de gauche (égalité des droits et justice sociale);
-Une prise en compte non restrictive du nationalisme des colonisés, et un soutien à leur lutte pour l'indépendance, soutien critique basé toujours sur l'universalisme des valeurs.
-C'est seulement après ces deux prises de position argumentées sur le fond que devraient se poser les problèmes de tactique politique et non l'inverse (p 82-84).
En attendant une telle clarification, les résultats des élections législatives anticipées de 1958, faisant suite à l'arrivée au pouvoir de De Gaulle, sont désastreux pour la gauche.
Ils ont été précédés par ceux du référendum sur la nouvelle Constitution voulue par De Gaulle.
Seul le PCF appelle à voter "non". Il n'est pas suivi par tous ses électeurs : "le "non" n'obtient que 20,7%, soit 4,6 M de voix , c'est-à-dire environ 900 000 voix de moins que les candidats communistes (aux législatives) en 1956."(Pierre BRÉCHON, "La France aux urnes", La Documentation française, 1993, p 124).
Un mois plus tard, aux législatives de novembre 1958, bien que présentant des candidats dans toutes les circonscriptions, comme en 1956, le PCF obtient 1,6 M de voix de moins : il a perdu 1/3 de son électorat. Il reste cependant le principal parti de gauche avec 19% des voix (contre 25,9% en 1956) .
Quant à la "gauche non communiste", si la SFIO, avec 15,7% des voix, maintient ses positions (15,2% en 1956) , le parti radical très divisé (Mendès-France l'a quitté pour rejoindre le PSAutonome, qui avec d'autres va fonder en 1960 le PSU) descend à 7% (contre 11% en 1956).
Mais outre ce recul global (les voix de gauche passent de 52,1% à 41,7%), face au retour du scrutin majoritaire uninominal de circonscription à deux tours, la tactique électorale de refus de désistement réciproque du candidat de gauche le mieux placé aboutit à un laminage parlementaire de la gauche, qui ne compte plus que 83 députés sur 552 (Alain LANCELOT, "Les élections sous la Ve République", Que sais-je ? N°2109, 1983, p 22).
1969 : un raté historique de l'union
La période 1958-1964 est une période noire pour la gauche. Elle n'est rompue que par l'union laborieuse réunie autour de la candidature présidentielle de François Mitterrand en 1965. Avec 31,72% des voix, il contribue à mettre De Gaulle en ballotage, lequel n'obtient que 44,65% au 1er tour. Mais surtout, il se qualifie pour le 2d tour où il obtient le score honorable de 44,80%.
Mais cette union ne résiste pas au grand coup de vent de Mai 68.
En juin 1969, les présidentielles anticipées, suite à l'échec de De Gaulle au référendum sur la régionalisation et la suppression du Sénat, sont à nouveau catastrophiques pour la gauche, qui se présente à nouveau en ordre dispersé (4 candidats différents). Le total des voix de gauche au 1er tour descend à 30,95%; mais surtout, la gauche est absente au 2d tour qui voit s'affronter le centriste Poher et le gaulliste Pompidou.
Cet échec cuisant conduit à un examen de conscience collectif qui conduit en 1972 à la conclusion d'un "programme commun de gouvernement" entre le PCF et le PS refondé à Epinay en juin 1971, rejoints par le Mouvement des Radicaux de Gauche, issu d'une scission du Parti radical.
Il faudra cependant encore près de 10 ans pour que cette stratégie d'union, grevée de bien des ambiguïtés qui seront plus tard chèrement payées, porte un premier fruit avec l'élection de François Mitterrand, le 10 mai 1981.
Et aujourd'hui ?
Les ambiguïtés de 1981 n'ont toujours pas été levées, ce qui a conduit à une fracture croissante entre les différentes composantes de la gauche.
La division vient de loin
L'incapacité à débattre sur le fond s'est manifestée dès 2002 avec l'effondrement inattendu de la "gauche plurielle" réunie victorieusement par Jospin en 1997. Le ver était dans le fruit dès décembre 95, où les leçons du mouvement sur le plan Juppé pour sauvegarder la Sécu et réformer les retraites n'ont pas été tirées. La gauche est toujours en retard d'un débat sur le financement et l'avenir de notre protection sociale, à peine esquissé entre CFDT et CGT entre 1997 et 2001 (voir le livre commun sans lendemain de Jean-Christophe Le Diguou (CGT) et Jean-Marie Toulisse (CFDT) intitulé "L'avenir des retraites", Ed de l'Atelier, 1999). L'idée d'un "syndicalisme rassemblé", défendue par Bernard Thibault, a été victorieusement combattue au sein de la CGT par les partisans du repli identitaire et de la pureté radicale. Ce qui a conforté la fraction social-libérale au sein de la CFDT, jouant elle aussi le repli identitaire sur la "doctrine sociale de l'Eglise" laïcisée.
De cette incapacité à débattre a témoigné aussi le référendum sur la Constitution européenne de 2005, où les positionnements tactiques ou moralistes ont remplacé l'argumentation politique. La "démonisation" des partisans du "oui" à gauche a créé une fracture artificielle sanctifiant la victoire du "non" comme l'avènement d'un âge nouveau. C'est ainsi qu'est né le mythe d'une Gauche antilibérale qui s'est fracassé dès 2007 avec les candidatures concurrentes de Marie-Georges Buffet et José Bové. Parallèlement les "nonistes" du PS sont sagement rentré dans les rangs, montrant ainsi le positionnement purement tactique de leur "non".
Inversement les partisans de gauche du "oui" ont été longtemps tenus à distance comme des chevaux de Troie du néo-libéralisme. Empêchant ainsi des convergences naturelles de s'opérer.
Mais c'est en 2012 que l'ambiguïté atteint son sommet. La victoire de Hollande repose avant tout sur l'effet anti-Sarkozy. La gauche communiste, échaudée par les précédents épisodes de 1981-84 et 1997-2002, refuse toute participation gouvernementale, tout en permettant de fait à Hollande d'obtenir une majorité présidentielle et législative.
La gauche écologiste accepte de participer au gouvernement sans aucun contrat de législature, l'accord négocié en ce sens en novembre 2011 n'étant pas reconnu par le candidat Hollande.
La navigation à vue de l'exécutif tout au long du quinquennat ne révèle que progressivement un début de logique : il s'agit, par un choc fiscal qui n'épargne pas les classes moyennes, par des mesures de libéralisation et de cadeaux fiscaux, de reconstituer la compétitivité des entreprises françaises pour obtenir une croissance du PIB, tout en réduisant le déficit budgétaire par des mesures d'économie les moins voyantes possibles. Le but étant de contenir l'endettement du pays : préoccupation légitime, mais jamais affichée clairement ni débattue. L'engagement militaire de la France dans une lutte anti-terroriste improvisée et sans stratégie entraîne des redéploiements budgétaires pris sur les budgets sociaux et environnementaux. Les collectivités territoriales sont également bousculées par un ponctionnement de leurs ressources et une réforme de leur organisation territoriale menée à marche forcée.
Cette politique brouillonne et illisible n'est absolument pas compensée par les réformes sociétales bienvenues ("mariage pour tous") ou l'affichage de bonnes intentions écologistes (Cop 21, loi de transition énergétique, loi en faveur de la biodiversité) dont la traduction concrète est dévaluée par l'action acharnée des lobbies productivistes, malgré la vigilance parfois victorieuse des parlementaires écologistes, appuyés sur la mobilisation citoyenne.
L'orientation sécuritaire, subliminalement (et parfois explicitement) xénophobe, islamophobe, anti-syndicale et anti-écolo donnée par Manuel Valls a fini par dé-crédibiliser totalement F.Hollande auprès d'une partie sensible de l'électorat de gauche. Mais surtout elle a contribué à le fracturer, tout en légitimant de plus en plus le discours de la Droite et de l'Extrême-Droite.
On en vient au point où, comme en 1958, et ainsi que l'écrivait alors A.MEMMI : "les socialistes ont tant fait qu'il n'est pas difficile d'être plus à gauche qu'eux." (p 79)
Diagnostic et prescriptions
Il semble aujourd'hui acquis que le miracle unitaire pour la présidentielle n'aura pas lieu.
Dans le meilleur (?) des cas, la primaire socialiste de janvier donnera la victoire à Montebourg (sur un programme social-nationaliste et productiviste) et à un match acharné entre lui et Mélenchon pour la 3e place au 1er tour. Dans ce cas une candidature écologiste s'impose, car malgré la conversion de Mélenchon aux protéines végétales, à l'anti-nucléaire et aux énergies renouvelables, son ambiguïté sur la question des exilé-e-s (faut-il les accueillir ou non) et de la laïcité (faut-il cibler ou non les seules femmes musulmanes, comme on le fait en ce moment ?), sur le rapport à l'UE (faut-il en sortir ou la changer de l'intérieur ?), sur la Syrie (le régime du tortionnaire Bachar Al-Assad est-il légitime ?) et la Russie (faut-il ménager le brutal Poutine ?) ou la Chine (les Tibétains ont-ils droit à leur autonomie ?) le sépare des écologistes.
Les autres composantes du Front de Gauche et du PS sont confrontés à la question de leur ralliement à l'une de ces 3 candidatures annoncées, ou à la mise en place d'une 4e (Pc-Ensemble !) et d'une 5e candidature (Vallsistes), voire d'une 6e (Macron).
Le résultat prévisible est en tout cas une défaite historique de la Gauche, comme en 1969.
On comptera donc les points avant de relancer le jeu. A cet égard, mettons en garde sur l'illusion récurrente de la "table rase", portée par de nombreux activistes écolos ou militants des droits de terrain : imaginer que la reconstruction de la Gauche se fera totalement en-dehors des partis existants est une douce fable.
Cette illusion nous l'avons partagé au début des années 70 dans ce qu'on appelait alors le "gauchisme" : nous avions alors l'excuse de la jeunesse, de l'impatience et de la méconnaissance de l'Histoire. On peut toujours accorder cette excuse aux jeunes d'aujourd'hui, mais plus difficilement à de vieux militants parfois sexagénaires ou plus.
On peut toujours se raconter des histoires qui font plaisir, mais la réalité est que la solution est entre les mains des partis. C'est donc sur eux qu'il faut peser, de l'intérieur ou de l'extérieur, pour reconstruire des convergences réelles, et non se contenter de faux-semblants tactiques dictés par le seul souci de préserver des sièges.
Il s'agit là d'un travail de fond, qui n'a été que superficiellement mené entre 1972 et 1981, et pratiquement pas mené ensuite. Comme l'écrivait A. MEMMI dès 1958 : c'est d'une doctrine commune dont la Gauche a aujourd'hui besoin. Sur ce terrain, ce sont les écologistes qui sont les mieux armés : à eux prioritairement de mener le débat.
Et d'abord sur la question qui va phagocyter l'élection présidentielle de 2017 : la question "sécuritaire" et tous ses attendus et considérants.
L'analyse de l'origine et des causes des attentats de 2015-16 est primordiale.
Elle puise d'abord ses sources selon nous dans la situation postcoloniale et la mondialisation capitaliste néolibérale. Il faut prendre en considération un double mouvement d'exclusion sociale des personnes "racisées" et de peur de l'avenir qui génère tous les replis identitaires en cours, dont la version takfiriste de l'Islam n'est qu'un des aspects. Ce que, dès 2006, l'essayiste allemand Hans-Magnus Enzensberger a défini comme la figure du "perdant radical" constitue la base de recrutement, dans nos métropoles anonymes, de tous les réseaux terroristes. Aujourd'hui principalement dans la mouvance islamiste takfiriste, mais demain peut-être dans n'importe quelle mouvance identitaire (voir le cas encore isolé de Breivik, suprématiste Blanc alimenté à la théorie du "grand remplacement").
Si la figure du terrorisme islamiste occupe aujourd'hui le devant de la scène, c'est en raison de la politique d'abandon par les USA des démocrates syriens révoltés pacifiquement contre le despote sanglant Bachar Al Assad. En offrant aux djihadistes le rôle de seuls opposants militaires sérieux au despote, ils ont alimenté leur propagande et leur recrutement, ou leur "labellisation", parmi les "perdants radicaux" des métropoles occidentales.
Venir au secours de ce qui reste des démocrates syriens est donc plus qu'un devoir moral : une nécessité politique pour stopper la spirale infernale du recrutement djihadiste.
Plus profondément, combattre la peur qui alimente tous les replis xénophobes, passe par une politique d'accueil sans complexe des exilé-e-s : mais une vraie politique, pas une suite d'improvisations brouillonnes et peureuses. En expliquant sa nécessité pour mettre fin aux trafics des passeurs, des proxénètes et des marlous en tout genre qui prolifèrent autour de la clandestinité et des camps improvisés.
Ces pré-requis une fois établis, on peut argumenter sans angélisme la fin de l'état d'urgence et des législations d'exception et le retour à l'Etat de Droit qui devrait caractériser toute démocratie. Ce qui passe en France par le doublement du budget d'une Justice sinistrée; qui pourrait être gagé sur l'abandon d'une force de frappe nucléaire devenue inutile, en plus d'être moralement abjecte.
Les sujets ne manquent pas pour une reconstruction de la Gauche. Ce n'est qu'un début, pour une route qui s'annonce longue et ardue.