J.Julliard et le mélange indigeste des néo-réacs
Jacques JULLIARD et le mélange indigeste des néo-réacs
Récemment, rendant compte de la cérémonie de remise de grand-croix ou commandeur de la Légion d'Honneur à l'historien, et nouvel éditorialiste de "Marianne", Jacques Julliard, "Le Monde" a reproduit un propos qui m'a fortement impressionné.
S'auto-définissant, Julliard considérait son identité politique comme composée à 52% de social-démocratie, à 24% de pensée libertaire et à 24% de pensée contre-révolutionnaire.
Ce curieux cocktail a été pour moi une révélation.
Dans l'alliage des contraires la fausse monnaie chasse la bonne
En effet, ce curieux aveu explique bien la dérive à laquelle nous assistons depuis bientôt 20 ans, avec une accélération depuis 2002, signalée par le livre de Daniel Lindenberg, injustement alors mis en cause, "Le rappel à l'ordre" (réédité en 2015 avec une postface, Seuil).
Le passage de Julliard du "Nouvel Obs", journal de la social-démocratie libérale-libertaire, rocardo-mitterandiste, écolo-tiersmondiste et droitdel'hommiste, organe quasi-officiel des bobos, à "Marianne", journal nidroite-nigauche à tendance populisto-souverainiste et férocement anti-bobos, s'explique donc par ces 24% de pensée contre-révolutionnaire.
La pensée contre-révolutionnaire comporte dans son noyau dur une récusation des Droits de l'Homme, accusés d'universalisme abstrait, au profit des "communautés concrètes", ramenées en fait, et rétrospectivement depuis l'avènement du nationalisme au 19e siècle, à une Nation essentialisée et conçue comme éternelle et incréée.
De là un national-républicanisme identitaire qui constitue la marque de ce courant néo-réac venu de la Gauche, et qui fait penser à bien des égards au boulangisme des années 1880.
Avec la réhabilitation de la figure de "l'Homme providentiel" : d'abord Mitterrand, auquel les plus anciens de ce courant, Julliard et Debray, ont rendu un véritable culte, puis De Gaulle, auquel ils ont dressé rétrospectivement une statue, alors qu'ils s'étaient férocement opposés à lui dans leur jeunesse...
Le passage s'est fait à partir de la question de l'Ecole. Il n'est sans doute pas indifférent de constater que tous ces enfants de l'élitisme républicain se sont retrouvés pour la plupart, à la fois dans la dénonciation du "pédagogisme" qui prétendait démocratiser l'Ecole, et dans le refus radical du port du voile, refus qui portait atteinte à l'accès universel à l'Ecole des filles musulmanes.
Et ceci bien sûr au nom du refus du "communautarisme" et du "multiculturalisme" qui s'attaqueraient aux principes républicains.
La référence au chantre du nationalisme armé que fut Péguy (qui appela, et avec succès, faut-il le rappeler, au meurtre de Jaurès) est un dernier point commun entre Finkielkraut et Julliard.
Où se trouvent les 52% de social-démocratie et les 24% de pensée libertaire dans ces prises de position ? On a peine à le discerner.
On n'y voit en effet que nostalgie autoritaire et élitisme nationaliste et excluant.
De fait, la fausse monnaie contre-révolutionnaire a chassé la bonne, social-démocrate et libertaire.
"L'identité n'est pas un crime" (Elisabeth Lévy)
La directrice du magazine "Causeur" est venue comme à son habitude pleurnicher, dans "Le Monde" du 16-10-16, sur les "atteintes à la liberté d'expression" de ce courant néo-réac en plein avènement médiatique.
Ainsi, "la plupart des bons esprits et de la bonne presse (ce qu'on appelle le "politiquement correct") (n'auraient qu')un seul ennemi : les "néo-réacs", les identitaires, le populisme -et souvent le populo."
Dans cette seule phrase tout est dit de l'incroyable prétention narcissique et de la mauvaise foi de son auteure.
Tout d'abord la prétention à se construire soi-même un adversaire sur mesure : le "politiquement correct", qui n'est pas ainsi appelé par "on" mais par moi Elisabeth Lévy, vendeuse de soupe idéologique frelatée.
Ensuite l'auto-promotion victimaire : nous sommes les seuls ennemis de cet adversaire tout-puissant précédemment défini.
Enfin le recours à l'arme suprême : nous sommes les seuls vrais défenseurs du peuple, désigné de façon familièrement complice et démagogique comme "le populo".
Alors que tous ces bobos droitdel'hommistes vivent eux, "entre gens de bonne compagnie à l'abri des invisibles frontières culturelles fort bien décrites par Christophe Guilluy".
Et donc, tous ces affreux "politiquement corrects" n'auraient qu'une obsession : le refus de parler d'identité !
Or nous sermonne Elisabeth : "J'ai beau m'interroger, je ne vois pas en quoi il est condamnable qu'une collectivité se demande ce qui fait d'elle une collectivité, donc comme l'explique Régis Debray, ce qui la distingue des autres et parfois l'oppose à eux."
Fort curieusement sans doute pour elle, nous non plus.
De fait, notre amie Elisabeth, comme à son habitude, évacue le vrai débat : de quelle collectivité parlons-nous ? Implicitement elle postule qu'il s'agit de la collectivité national-étatique et d'elle seule. Or, comme l'a très justement noté Amin Maalouf (sans doute un affreux bobo droitdel'hommiste, bien que membre de l'Académie française, comme le très cher ami d'Elisabeth, Alain Finkielkraut), nous sommes tous composés de multiples appartenances identitaires. Et c'est quand on commence à n'en retenir qu'une seule que ça devient dangereux pour la paix civile...et pour la vie des individu-e-s.
L'identité, de fait, nous ne parlons que de cela, et singulièrement depuis que le brouillage des repères idéologiques Droite-Gauche est devenu un véritable brouillard, grâce en particulier à tous les petits amis d'Elisabeth, mais pas que, loin de là, n'en déplaise à leurs égos et à leur portefeuille.
Ce n'est ni dans Guilluy, ni dans Debray, ni dans Julliard (encore que ses "Gauches françaises" représentent une référence), ni dans Finkielkraut, ni dans Michéa, ni dans Houellebecq, ni dans Zemmour que nous chercherons des réponses à la crise identitaire.
Mais plutôt chez des gens moins médiatisés : Justine Lacroix et Jean-Yves Pranchère, Daniel Lindenberg, Etienne Balibar; ou des références plus ouvertes au monde tel qu'il est : Edgar Morin, Alain Touraine, Michel Wieviorka, Gérard Mendel. Aux historiens du post-colonialisme comme Frederick Cooper, du post-nationalisme comme Shlomo Sand, de l'interrogation sur les identités de genre comme Louis-Georges Tin ou John Stoltenberg, et bien sûr à ces humanistes modérés, mais non modérément humanistes, que sont Amin Maalouf ou Tzvetan Todorov.
Autant d'auteurs absents au Panthéon national-républicain, avec bien sûr tous les penseurs de l'écologie libertaire et social-démocrate à laquelle je me réfère avec, me semble-t-il un peu plus de cohérence que le mélange décidément indigeste de Jacques Julliard.