Interdire le burkini ? Et après ?

Publié le par Henri LOURDOU

Interdire le burkini ? Et après ?

Du danger de l'usage inapproprié des comparaisons historiques et des à-peu-près.

Mercredi 31 août : "Le Monde" publie dans sa page "Débats et analyses" une tribune de Nathalie HEINICH (sociologue, auteure notamment du "Bêtisier du sociologue", éd Klincksieck, 2009), sous le titre : Il faut combattre le prosélytisme extrémiste et le sexisme".

UNE COMPARAISON HISTORIQUE MALHEUREUSE

Cette tribune commence en s'attaquant au sociologue Michel WIEVIORKA qui, en publiant le 26 août une tribune intitulée Panique morale autour du burkini aurait posé le débat de façon à l'enterrer, comme tous les "fidèles des causes post-soixante-huitardes".

Ceux-ci seraient "en retard d'une époque et d'un combat" et "deviennent les premiers fossoyeurs des valeurs qu'ils croient défendre. Exactement (sic) comme les pacifistes des années 1930 qui, traumatisés par la guerre de 1914-18, préférèrent fermer les yeux sur le danger nazi plutôt que de renier leur cause."

On est un peu sidéré par une telle comparaison. Menons-la à son terme : ainsi le port du burkini est mis en parallèle avec la remilitarisation de la Rhénanie, le rétablissement du service militaire, et l'annexion successive de l'Autriche, des Sudètes et de la Bohême-Moravie par Hitler.

Qui ne voit la totale incongruité de la comparaison ?

UN ARGUMENTAIRE A BASE D'A-PEU-PRÈS

On pourrait en rester là, mais soyons beau joueur. L'argument ensuite développé par Nathalie HEINICH est que "dans le contexte actuel, l'affichage de comportements manifestant l'adhésion à une conception fondamentaliste de l'islam, tel que le port du burkini (sic), ne relève pas de l'exercice d'une religion (...) : il relève de l'expression d'une opinion, et d'une opinion délictueuse, puisqu'il s'agit d'une incitation à la discrimination sexiste, qui en outre banalise et normalise l'idéologie au nom de laquelle on nous fait la guerre."

De telles affirmations présupposent d'abord que le burkini est bien une façon avérée de manifester "une conception extrémiste et totalitaire de l'islam".

Il s'agit-là d'un inexcusable "a peu-près" : toutes les enquêtes réalisées auprès des intéressées montrent bien la diversité des motivations , dont le militantisme politico-religieux est loin d'être la principale. Et quand celui-ci est présent, il ne se ramène pas, loin s'en faut au soutien au projet du djihadisme armé. Lequel d'ailleurs ne préconise pas une telle tenue autant qu'on sache.

Par contre, la stigmatisation des malheureuses qui avaient choisi le port de ce vêtement pour aller à la plage comme tout le monde, est pain béni pour la propagande djihadiste qui vise à séparer la population musulmane des autres composantes de la société.

LA LOGIQUE D'UNE SURENCHÈRE

Ce type d'argumentation présuppose aussi que tous les musulmans affichant leur religion sont a priori suspects de complicité avec le terrorisme djihadiste.

Or ce présupposé ouvre un gouffre sans fond de surenchère dans lequel nous sommes en fait déjà entrés, sans nous en apercevoir, et sur lequel la journaliste du "Monde" Ariane CHEMIN attire notre attention.

Dans son enquête du supplément "Idées" du 3 septembre intitulée "Tenue correcte exigée", elle procède à un utile bilan.

En effet, les arrêtés anti-burkinis (et la prochaine loi les justifiant ?) viennent après deux premières lois qui ont rompu avec la loi de 1905 créant "la laïcité à la française".

Car ces lois visent à discriminer une seule religion : l'Islam. Et non à assurer la liberté des femmes comme le prétendent encore certain-e-s.

En 2004, l'interdiction du voile à l'Ecole s'appuie sur la protection des mineurs "plus facilement influençables" pour limiter pour la première fois depuis 1905 l'expression d'une conviction religieuse. On ne va pas refaire le débat : il suffit ici de noter que cette loi témoigne à la fois d'un manque de confiance dans la capacité d'intégration de l'Ecole et d'un paternalisme adressé à une seule catégorie de population, les filles de religion musulmane.

En 2010, l'interdiction de la burqa dans l'espace public s'appuie sur une conception de la "civilité" qui relève de "l'ordre public immatériel" (le "trouble à l'ordre public" n'est pas constaté, il est supposé). Ceci au détriment, là aussi pour la première fois depuis longtemps, du droit individuel à la libre expression.

Ainsi est introduit dans le Droit français (ce dont de nombreux juristes se sont alarmé) un nouvel "ordre moral" qui marque le déclin du libre-arbitre individuel au profit d'une adhésion obligatoire aux "valeurs culturelles et morales" définies par le pouvoir politique du moment.

C'est le début de la fin de l'Etat de Droit libéral construit depuis la Révolution française ( et même avant...).

C'est aussi le début d'une discrimination systématique envers une religion minoritaire; en attendant son extension à d'autres minorités non conformes ? (Certains parlent déjà des "islamo-gauchistes"...)

COMBATTRE LA PARANOÏA SÉCURITAIRE ET LE RACISME POST-COLONIAL

Nathalie HEINICH parle de "retour du refoulé obscurantiste". Nous pouvons lui retourner l'argument : le retour du refoulé que nous voyons s'exprimer aujourd'hui, et dont elle nous donne la version policée, est celui du racisme colonial anti-arabe, nourri aux souvenirs mal digérés de la guerre d'Algérie.

Mais ce racisme postcolonial s'exprime aujourd'hui partout en Europe face à une inversion apparente du cours de l'Histoire.

L'Europe conquérante et expansionniste des deux dernier siècles devient la cible de puissances émergentes exportant à leur tour leur trop-plein de population.

Continent riche et vieillissant, l'Europe a bâti son confort sur l'émission massive de gaz à effet de serre depuis 1850, dont les effets affectent prioritairement aujourd'hui les autres continents. Le traumatisme profond de la colonisation européenne n'est pas encore effacé.

Pour payer cette double dette, l'Europe doit construire des ponts plutôt que des murs qui en exacerbent le ressenti douloureux.

Ceci à l'opposé total du programme d'un Geert Wilders pour les élection de mars 2017 aux Pays-Bas : "fermer toutes les mosquées du pays, interdire le Coran et les écoles coraniques, empêcher l'entrée aux Pays-Bas de toute personne issue d'un "pays islamique". Au-delà , il veut fermer les centres d'asile, annuler les permis de séjour temporaires ou priver de leur nationalité néerlandaise, avant de les expulser, tous les délinquants ayant une double nationalité"." ("Le Monde" du 1er septembre).

Ce programme est bien sûr fortement mis en avant par le site de désinformation en français du gouvernement russe, "rt.com", à côté de toutes ses dépêches anti-migrants, islamophobes et anti UE et USA (son "post" le plus populaire du 4-9 à 15h02 : "Nancy : un sans-papiers viole une jeune femme en pleine rue").

La convergence de toutes les extrêmes-droites doit trouver en face d'elle une convergence de tous les démocrates pour défendre les libertés et droits fondamentaux.

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