Attentats : traiter les racines du mal
Attentats : traiter les racines du mal
Les auteurs des différents attentats ont 4 points communs : jeunes délinquants; ayant connu des périodes d'emprisonnement; reconvertis à l'Islam sous l'influence de gourous, d'un groupe restreint ou de l'Internet; touristes du terrorisme dans les zones de guerre du Moyen-Orient ou d'Asie centrale; "leur subjectivité est marquée par la haine de la société, le sentiment de rejet ou d'humiliation en tant qu'Arabe, Noir ou musulman, notamment en prison". (Patrick Weil, "Le sens de la République", Grasset, 2015, p 94)
Ils relèvent de la catégorie mise en lumière par l'essayiste allemand Hans-Magnus Enzensberger sous le nom de "perdant radical". Catégorie née de la mondialisation, son nombre a tendance à se multiplier : "Le raté peut se résigner à son sort, la victime peut demander compensation, le vaincu peut toujours se préparer au prochain round. Le perdant radical en revanche, prend un chemin distinct, il devient invisible, cultive ses obsessions accumule ses énergies et attend son heure. Le perdant radical est difficile à repérer, il se tait et attend. Il ne laisse rien paraître. C'est pour cela qu'on le craint.(...) La religion n'est pas la cause initiale, elle constitue le catalyseur d'une tension et d'une frustration latente." (in "Le perdant radical. Essai sur les hommes de la terreur." Gallimard, 2006, p 12 et 24).
Cette tension et cette frustration alimentant la haine de la France trouvent leurs racines dans des blessures historiques et des non-dits.
Blessure historiques et non-dits
Les blessures historiques sont la longue litanie des humiliations subies par les peuples colonisés et "racisés" (selon l'expression inventée par les héritiers révoltés de cette Histoire).
Les non-dits sont, en premier lieu, la persistance d'un racisme implicite qui explique largement la corrélation entre exclusion de l'emploi et couleur de peau et l'aliénation persistante des personnes "racisées" toujours soumises à une image dévalorisée d'elles-mêmes.
Un racisme qui affleure par exemple dans un épisode public tel que la "désinvitation" du rappeur Black M au concert prévu pour le centenaire de la bataille de Verdun au printemps 2016.
Un épisode analysé par le nouveau magazine "Négus" dans son n°1 de juillet 2016.
"On a reproché à Black M d'avoir il y a dix ans critiqué la France. Plus que d'autres satires de la République, le Noir ne peut se risquer à provoquer notre beau pays sous peine d'être poursuivi ou exclu. (...) Pourtant l'histoire de la chanson française et celle du pamphlet politique se sont souvent confondues, de Brassens à Renaud (...) - NB pour ceux qui ne voient pas l'allusion : La mauvaise réputation de Brassens et Hexagone de Renaud : relisez donc les paroles...- Donc, de courageux énervés sont allé chercher dix ans auparavant dans la littérature chansonnière de Black M des faux pas. Black M n'avait qu'à bien raser les murs !
Devant tant d'animosité, Black M a senti que sa carte d'identité française n'était pas convaincante. Il a alors choisi la carte de l'arbre généalogique. Son grand -père a fait la guerre pour la France dans ce qu'on appelle pompeusement la Seconde Guerre Mondiale. Certains passionnés se sont attaqués à cette déclaration en affirmant que c'était faux jusqu'à ce que le journal "Le Monde" fasse une enquête et retrouve dans les archives des anciens combattants la fiche d'Alpha Diallo, le grand-père en question (...) Il ne suffit pas d'être né en France ou d'avoir la nationalité française, il est demandé à l'homme de couleur un pedigree pour mériter une place dans cette brillante histoire française.
(...) L'histoire de France nous appartient, vous n'avez rien à y faire. Vous devez la connaître, mais surtout n'y participez pas, vous ne faîtes pas partie du tableau.
Faire l'histoire de l'Afrique sans les Africains et maintenant l'histoire de la France sans les Noirs." (Billet d'humeur, p 5)
De la même façon, la triste histoire d'Adama Traoré, 24 ans, mort le 19 juillet 2016, "au cours d'une interpellation par les gendarmes" ("Le Monde" du 22 juillet), et dont une 2e autopsie demandée par la famille a établi qu'il était mort d'asphyxie et non d'une "infection généralisée" comme la conclusion publique de la 1e autopsie l'avait affirmé, laisse entière la question des causes réelles de sa mort.
Cette "non-bavure policière", vient après bien d'autres, non comptabilisées par les pouvoirs publics, contrairement à la plupart des pays démocratiques, y compris les USA.
Elle explique pourquoi dans notre pays certaines populations n'aiment pas la police, ...et la majorité des élus qui la couvrent systématiquement. Et donc pourquoi ces populations ne votent plus...
Un second non-dit alimente également le ressentiment : c'est la honteuse politique de non-intervention occidentale en Syrie pour secourir les populations révoltées contre la dictature de Bachar Al-Assad et bombardées impunément depuis 2012, avec une férocité croissante et l'aide de la Russie. En témoigne cette lettre déchirante des "derniers habitants de Daraya assiégé" publiée par "Libération" le 20 juillet 2016 dans une indifférence quasi générale.
"Plus de 8 000 habitants vivent assiégés depuis 2012, aux portes de Damas, dans des conditions extrêmement difficiles. L'électricité, l'eau, les communications y sont totalement coupées. Cette situation s'est brutalement détériorée avec l'intensification des bombardements du régime ces dernières semaines, en flagrante violation de l'accord de cessation des hostilités conclu à Vienne en décembre 2015. Le "corridor humanitaire" aménagé par les forces révolutionnaires entre Daraya et la banlieue contigüe de Moadamiyeh a été détruit, ainsi que les terrains agricoles de la ville, privant la population de ses dernières ressources. Les habitants qui y avaient trouvé refuge ont été contraints de se retrancher dans les immeubles d'habitation en ruines du centre de la ville.(...) Daraya, qui a résisté au régime et aux extrêmistes de Daech, risque de subir un nouveau massacre, similaire à celui d'août 2012. En deux jours, plus de 641 civils avaient été tués par les forces loyalistes (...) Nous demandons une intervention urgente pour contraindre le régime à appliquer la résolution 2 254 du Conseil de Sécurité et l'accord de Vienne de décembre 2015. En plus d'un cessez-le-feu nous demandons l'établissement d'un corridor humanitaire , l'évacuation des victimes et leur protection et, enfin, la levée du blocus (...) En dépit d'une situation humaine et militaire dramatique, la ville de Daraya continuera à résister et à lutter en faveur d'une solution politique et pacifiste, comme elle le fait depuis quatre ans. Mais aujourd'hui, seule une intervention de la communauté internationale, des forces politiques et révolutionnaires, permettra d'empêcher l'annihilation totale de Daraya et de ses habitants. Vive la révolution, la dignité et la liberté."
En faisant une recherche sur Daraya, je tombe sur une pétition lancée par Letter4Syria il y a 3 semaines pour une intervention plus active de la France et de l'UE en faveur d'un cessez-le-feu et d'une solution négociée en Syrie : elle compte un peu plus de ...200 signataires !
Voici son texte :
Cette pétition est proposée par un collectif de citoyens, français principalement mais aussi étrangers résidant en France, indignés par l’indigence et l’indifférence de la Communauté Internationale devant les massacres commis en Syrie.
Dans la continuité des Printemps Arabes de 2011, ce que nous appelons aujourd’hui la « guerre civile en Syrie » a commencé comme la mobilisation spontanée d’un peuple, victime depuis 53 ans d’un régime oppresseur, qui n’avait pour aspiration que la Liberté et la Dignité.
Plus de 5 ans après, le constat est terrible pour un pays de plus de 20 millions d’habitants : 470 000 morts, 4,5 millions de réfugiés, 8 millions de déplacés internes, 500 000 personnes assiégées dans des villes sans accès aux soins et à la nourriture. A l’échelle des conflits qui ravagent notre planète, la Syrie est un désastre humanitaire et éthique sans précédent depuis la seconde guerre mondiale.
Il est terrible de constater que les populations civiles ne sont épargnées par aucun des belligérants de ce conflit, et ce depuis plus de cinq ans, et il est tout aussi terrible de constater que la communauté internationale semble complètement démissionnaire pour les protéger.
L’urgence aujourd’hui est que ce conflit destructeur pour la Syrie, et dont aucune sortie ne semble se profiler, s’arrête et que s’enclenche un processus de paix qui permette l’arrêt des combats et assure, à terme, la capacité de retour des Syriens déplacés et exilés.
Les négociations pour un accord de Paix engagées dans le cadre du processus dit de Genève sont aujourd'hui au point mort et les instances internationales semblent négliger les conséquences désastreuses du conflit sur les populations civiles que sont les bombardements incessants des zones civiles principalement par l’aviation du régime de Bachar Al-Assad soutenu par la Russie.
Aujourd’hui, le conflit syrien secoue et déstabilise tout le Moyen-Orient pour se répercuter, ensuite, sur l’ensemble de la planète. Des millions de réfugiés, que l’Europe refuse de voir et d’aider en leur offrant des visas, quittent leur pays pour des routes où ils sont victimes de nouvelles exactions.
En oeuvrant à une vraie résolution du conflit, nous pourrons apporter également une réponse à une partie de cette crise migratoire que traverse l’Europe. Par ailleurs, nous contribuerons ainsi à la diminution de ce scandale humain absolu et d’un autre âge que sont les innombrables noyades de migrants.
En tant que citoyens, l’indifférence générale de la communauté internationale, ajoutée à son impuissance vis-à-vis du conflit syrien, nous révolte mais aussi nous inquiète car elle crée un précédent dangereux.
C’est pourquoi, nous souhaitons nous tourner vers le Président de la République Française pour lui demander que la France s’investisse plus fermement dans la résolution définitive de ce conflit pour obtenir notamment :
L'accès aux zones assiégées garantis aux organisations humanitaires
La libération des détenus politiques, en premier lieu femmes et enfants
L'arrêt des bombardements et un cessez le feu entre toutes les parties
Le départ de Bachar Al-Assad avec la mise en place d’un processus de transition
La saisie de la Cour Pénale Internationale
Cette pétition sera remise à:
Président de la République M. François HOLLANDE
Et voici les "commentaires les plus populaires" postés par les signataires :
Je signe parce qu tout ces morts tout les jours c est insoutenable et assad ca suffisait pas la russie va l aider a tuer son peuple la communaute internationale est morte ONU les droits de l homme tout ca c etait du vent puisque ca est egal a tout le monde ce qui arrive aux syriens depuis 5 ans. Faites quelque chose svp
Sofiane EL HOCINE, France
il y a 3 semaines
Allons nous attendre la chute d'Alep et l'écroulement de tous ses édifices sur les 400.000 civils prisonniers des tueurs de Bachar et de Nasrallah pour pleurer sur "les sacrifiés d'Alep" ?
Les gouvernements européens devraient coûte que coûte se démarquer de la politique passive et laxiste d'Obama car la fin des espoirs du peuple syrien sera aussi la fin de la confiance des peuples du monde entier envers les discussions scholastiques sur la démocratie et le respect de la volonté des peuples à être libres que rabâchent les gouvernements Européens.
Issal SALEH, Beyrouth, Liban
il y a 3 semaines
Comment ne pas voir que cette indifférence alimente également un puissant ressentiment ?
Traiter les racines du mal
Il est illusoire de penser, comme l'a bien montré l'attentat de Nice, "ville la plus vidéosurveillées de France" comme s'en vantait (avant le 14 juillet) son ex-maire Christian Estrosi, que la prévention des attentats passe uniquement par des mesures de restriction des libertés et de contrôle.
Tout aussi illusoire est la supposée dissuasion de peines renforcées, et notamment le rétablissement de la peine de mort (peine rétablie de fait par les conditions d'intervention des forces de police lors de la traque des auteurs d'attentat...).
Traiter le mal à la racine passe d'abord par la réduction du foyer de guerre au Proche-Orient. Il y a là un enjeu majeur de crédibilité de nos institutions démocratiques et libérales basées sur les droits humains : ceux-ci doivent être défendus là-bas comme ici.
Ensuite un travail de fond, long et ardu, consiste dans le traitement du traumatisme colonial et ses séquelles racistes par la construction d'une mémoire partagée : elle passe par une désaliénation des descendants de ses victimes. La prise de parole des jeunes générations postcoloniales , à travers des groupes de parole non-mixtes, fait partie de ce processus (Voir "Débats sans blancs", , Le Monde-Idées du 30-7-16). Il est particulièrement mal venu de voir les réactions hystériques de condamnation venues même d'une ministre à ce type de pratique (réactions déjà observées lors de l'essor du féminisme dans les années 70 par rapport aux groupes non-mixtes de femmes).
Ce travail passe aussi par la prise de conscience par les dominants (les Blancs pour faire court) de la réalité et des effets de leur domination. La connaissance de la réalité du passé colonial est un élément déterminant de la question.
C'est à ces conditions que seront réduites effectivement les causes des attentats.
D'ici-là, nous devons veiller à la non-restriction de nos libertés et à la non-discrimination "au faciès" qui risquent de s'installer insidieusement ; tout en permettant bien évidemment à la police de faire son travail dans de bonnes conditions, ce qui n'est nullement contradictoire, bien au contraire, car seul un traitement strictement égalitaire et des mesures proportionnées permettront de maintenir la cohésion nécessaire à la résilience de notre société.