Jean-Christophe RUFIN réécrit l'Histoire coloniale

Publié le par Henri LOURDOU

Cher Pierre Fahys,

Des amis m'ont offert pour mon 62e anniversaire le N°1 de votre très belle revue.

J'y découvre en particulier l'interview de Jean-Christophe Rufin.

Il se trouve que je la lis juste après avoir lu les pages de l'autobiographie de François Maspéro ("Les abeilles et la guêpe", Seuil, 2002) consacrées à son engagement contre la guerre d'Algérie.

Je ne suis pas de ces "relativistes" qui courent les rues et estiment que finalement toutes les opinions se valent, au nom le plus souvent de la "complexité" (elle a bon dos).

Disons donc que je suis très choqué par les propos tenus par M.Rufin. Et, plus que choqué, indigné que vous l'ayez laissé s'exprimer sans le moindre contrepoint à ses théories réactionnaires et néo-coloniales.

Ceci n'est pas seulement un "a priori" moral, et s'appuie sur des arguments historiques et rationnels.

En effet, M Rufin malmène tout d'abord de façon éhontée la vérité historique.

Quand il affirme que "la colonisation a été faite par les socialistes au nom du développement de l'humanité" en enchaînant aussitôt que "Jules Ferry au fond est le premier architecte de la colonisation".(p 85 de "Reliefs" n°1)

Deux contre-vérités : l'une explicite. Non, la colonisation n'a pas été faite pas les socialistes pour la simple raison qu'ils n'étaient nulle part au pouvoir au moment de la colonisation (du XVIe siècle, où le socialisme n'existait même pas, à 1900 où aucun gouvernement socialiste, ni même à participation socialiste n'a existé.)

L'autre implicite. Non Jules Ferry n'était pas socialiste et n'avait rien à voir avec le socialisme.

Deuxième grosse contre-vérité : "si la colonisation a été faite par nous, la décolonisation a aussi été faite par nous".(ibidem)

On croit rêver. M Rufin n'a jamais entendu parler des mouvements anticoloniaux, ni des guerres coloniales. Ceci est plus que choquant : cela relève d'un mépris que l'on n'ose qualifier pour les peuples colonisés et tous les efforts et sacrifices que les meilleurs de leurs enfants ont dû consentir pour obtenir la rupture du lien colonial.

C'est une réécriture totale de l'Histoire relevant du révisionnisme négationniste.

A cela on doit encore ajouter cette vision totalement déresponsabilisante de l'Histoire qui transparaît dans l'affirmation "on ne peut pas réduire la France uniquement à ses tares, à ses crimes, d'abord parce qu'elle n'a pas été la seule à en commettre (sic : on se croirait dans une cour de récréation ! Et pourtant c'est un académicien français et ancien ambassadeur qui s'exprime...) et qu'ensuite il faut mettre tout ça dans un contexte, la colonisation." (ibidem)

On s'arrache les cheveux : mais qu'est-ce que ce "contexte" peut bien justifier ? Avec des arguments de ce niveau, le "contexte" de la 2de Guerre mondiale justifiait le génocide des Juifs ?

Mais le comble est atteint lorsque M Rufin nous expose sa thèse :"on voit bien en ce moment qu'il y a une volonté chez certains en France (des noms !) de faire de l'histoire un chemin de repentance, où l'on va de crime en crime, et qu'on apprend à genoux." (ibidem)

Hé bien non, M Rufin, vous ne nous ferez pas croire que rendre leur place aux colonisés dans notre Histoire est une action masochiste et anti-nationale. C'est tout le contraire. C'est votre déni qui alimente le ressentiment et divise les mémoires en imposant le seul point de vue du colonisateur satisfait de lui-même et subliminalement raciste.

Et j'ajoute, cher Pierre Fahys, qu'il est regrettable que cette pièce dans l'offensive idéologique actuelle d'une extrême-droite conquérante ait trouvé sa place dans votre revue.

Publié dans Histoire

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