Etre ou ne pas être Charlie : est-ce bien la question ?

Publié le par Henri LOURDOU

Etre ou ne pas être Charlie : est-ce bien la question ?

Six mois après les assassinats et la réaction qu'ils ont suscité, il est utile de faire un peu le bilan...

S'il fut pour moi évident de manifester avec un peu tout le monde ma volonté de défendre les valeurs de base de notre République (Liberté, Egalité, Fraternité : on n'a jamais dit mieux), il est bien évident que cet unanimisme de façade ne m'a jamais aveuglé sur un prétendu "esprit du 11 janvier".

Les motivations et les discours étaient, dès le 7 janvier au soir, différents et parfois antagonistes. Entre l'extrême-droite xénophobe et islamophobe et nous (les écologistes mondialistes et laïques), rien de commun dans nos projets.

Par la suite, les polémiques surjouées concernant la "solidarité" de certains pré-adolescents de banlieue avec les terroristes, ou à l'opposé la stigmatisation par l'ineffable Todd (un copié-collé inversé des thèses pseudo-géographiques de l'autre ineffable Guilluy) des manif du 11 janvier comme expression de "l'islamophobie des régions catholiques-zombies" m'ont plus attristé que vraiment concerné.

Je me suis réabonné à Charlie hebdo par solidarité, plus que par conviction, comme 70 000 autres "moutons de Panurge".

Et puis j'ai vu apparaître les ouvrages posthumes de Charb et de Bernard Maris.

Je n'ai même pas ouvert le premier, tant son contenu était convenu : "Nous avons défendu la laïcité quand d'autres, par trouille ou par électoralisme, se sont assis dessus. Nous n'avons aucune leçon à recevoir de personne." OK : n'en discutons pas, si tu y tiens !

J'ai acheté et lu le second, avec une certaine appréhension, je l'avoue : "Minute" ne proclamait-il pas, dès le 9 janvier, son quasi-ralliement à la "cause nationale", et le titre ("Et si on aimait la France") ne fleurait-il pas un peu son Barrès, chantre de la terre sacrée, et apôtre du nationalisme intégral ?

J'ai été à moitié rassuré : le contenu ressemble encore à ce que fut Bernard Maris dans sa période écolo.

Cependant le recours appuyé aux pseudo-analyses de Guilluy dans la seconde partie du livre crée le malaise : ainsi, il faudrait donc adhérer à cette "chasse au bobo", lancée par les Finkielkraut et Philippe Muray (p 115-116) ? Laquelle ne repose que sur une étroite vision germanopratine des choses : le petit monde de l'élite intellectuelle parisienne ne voit la société que de son point de vue limité.

La légitimation de ses préjugés par la soi-disant analyse socio-géographique de Guilluy a été réfutée par d'autres géographes plus rigoureux. Les bobos n'ont pas chassé les classes populaires françaises des centre-villes.

Ainsi Maris nous inquiète par sa stigmatisation des "émeutiers de Villiers-le-Bel, en novembre 2007" au motif que "jamais les violences urbaines ou les émeutes n'ont débouché sur une quelconque remise en cause du système économique" (p 123), qui s'accompagne d'un hommage appuyé à "la police républicaine" qui "une fois de plus (...) s'est remarquablement comportée" (p 122) car "un commissaire a été lynché en essayant de ramener le calme" (p 122-3). Et d'une dénonciation des "intellectuels" (les guillemets sont de Maris) qui prennent position pour les émeutiers qui passent en jugement (p 123).

La conclusion est de la même eau : "certaines mairies socialistes (...) gèrent en toute bonne conscience ce qu'il faut bien appeler du communautarisme, en autorisant par exemple des horaires de piscine réservés aux femmes musulmanes" (p 126-7).

Heureusement, l'analyse ne s'arrête pas là, et Maris convient tout de même que si la "politique de la ville" a été globalement un échec, le "séparatisme" ethno-culturel ne s'est pas imposé en France.

Et il termine par une question : "On est en république ! Ce cri plein de gaieté exprimait la fierté d'une génération dont les parents avaient été privés de liberté (...) Quel espoir donne aujourd'hui aux enfants et aux jeunes gens ce cri joyeux poussé par les générations de leurs parents et grand-parents ?..." (p 139-142)

Répondre à cette question est bien aujourd'hui l'enjeu majeur : quel espoir pouvons-nous donner à la jeunesse de ce pays en refusant les stéréotypes du séparatisme ethno-culturel ? Cela passe par la défense sans concession bien sûr des valeurs universelles d'égalité, notamment hommes/femmes, par le refus de tout amalgame d'inspiration raciste, mais aussi par la définition d'un horizon commun : la nécessaire transition écologique.

Définir et populariser cet horizon est la tâche de l'heure.

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