Le vote FN et "la gauche bien pensante"

Publié le par Henri LOURDOU

JP Le Goff et la « gauche bien-pensante »

D'un simplisme à l'autre

 

Gérard Mendel  , à qui je vantais le livre de JP Le Goff « La barbarie douce » (sur la « modernisation aveugle des entreprises et de l'école »), m'avait répondu, à sa façon lapidaire : « Bon dans l'analyse, mais faible dans la proposition ».

A lire le point de vue publié dans « Le Monde » du 27-4-12 (« Quand le Front national prospère sur l'aveuglement d'une gauche bien-pensante »), je dirais aujourd'hui : « Faible aussi dans l'analyse ».

Les « effets puissants de déstructuration et de désaffiliation » dus à « l'effondrement de la structure familiale » combinée à la « précarité socio-économique » ne jouent pas contre la gauche et l'extrême-gauche uniquement parce que « leur conversion au modernisme est largement apparue comme un rejet ou un abandon de la nation ».

Ou alors, il faudrait conclure que les seuls facteurs de « réafffiliation » résideraient dans l'identité nationale passée et la réhabilitation de la famille patriarcale traditionnelle. Donc que Marine Le Pen et ses amis ont raison.

Ce point de vue simpliste pèche d'abord dans le diagnostic : comment analyser ce que Le Goff résume à « l'effondrement de la structure familiale » ?

Il y a plusieurs dimensions à cette crise d'identité de notre monde post-moderne.

Tout d'abord ce que Gérard Mendel avait baptisé, dès 1969, la « crise de générations ». Autrement dit l'effondrement du modèle psycho-familial autoritaire et patriarcal. Celui-ci ne pourra être restauré , sauf très artificiellement et de façon violente : c'est cette fausse solution qui est portée, de façon illusoire, par l'extrême-droite et la droite « populaire ». Un nouveau modèle de transmission parents-enfants est en train de s'inventer dans les tâtonnements et la douleur : il faut l'aider à grandir.

Il y a ensuite la crise de l'Ecole et de la Culture, en partie liée à cette première crise, mais qui ne s'y réduit pas. Celle-ci est due surtout à la déligitimation de la Culture et de l'Ecole par les media marchands, au premier rang desquels la télévision. Celle-ci, dont l'emprise est croissante depuis 60 ans, constitue un instrument puissant de nivellement par le bas des exigences intellectuelle et culturelles de la population, en même temps qu'un facteur de violence et de risque sanitaire (voir Michel DESMURGET « TV lobotomie »).

Il y a enfin, et surtout, la dynamique de l'accélération sociale, faussement couverte du manteau de la modernité et du progrès, qui détruit toute possibilité de contrôle collectif sur nos conditions d'existence et nos destinées (voir Hartmut ROSA « Accélération »).

Face à ces 3 facteurs de crise, il est évident que le premier réflexe est bien celui du repli identitaire le plus archaïque avec l'attente du « sauveur suprême » qui va avec.

Rien d'étonnant donc à ce que le vote FN en soit boosté.

Par contre, celui-ci se heurte et se heurtera à tout un ensemble de contre-facteurs et de contre- forces que Le Goff néglige totalement :

-La mondialisation « d'en bas » par Internet et les technologies numériques : l'appropriation de toujours plus d'informations critiques face aux rumeurs et aux mensonges limite aujourd'hui leurs effets de nuisance ; les barrières nationales et culturelles sont abaissées par les flux numériques : les préjugés nationaux ou racistes perdent de leur emprise.

-Le refus de l'autorité patriarcale traditionnelle, qui est un phénomène de fond

-Les impasses du nationalisme avec leurs cortèges de violences et de destruction qui en font in fine un repoussoir

-Car au fond, et c'est là l'essentiel, le bonheur n'est plus une idée neuve, mais une aspiration universellement partagée, et chacun voit bien qu'elle est incompatible avec la violence et la haine.

 

Construire une politique du bonheur, c'est s'appuyer sur toutes ces forces positives, nées depuis 1968, et que Le Goff souhaiterait visiblement plutôt enterrer que leur donner davantage de lucidité, ce dont elles auraient pourtant parfois bien besoin.

 

Publié dans politique

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