Didier LESCHI Ce grand dérangement

Publié le par Henri LOURDOU

Didier LESCHI Ce grand dérangement

Immigration, enjeu majeur (1)

 

Didier LESCHI Ce grand dérangement L'immigration en face,

Tracts Gallimard n°22, novembre 2020, 56 p.

 

 

Confronté au refus de voir ou en tout cas de prendre réellement en compte cette question de la part de militants de grandes organisations auxquelles j'adhère, je me dois de revenir à la charge à l'occasion de la parution de deux ouvrages offrant sur la question deux points de vue informés, mais contradictoires.

Le premier est celui d'un haut-fonctionnaire de l'État français, Didier LESCHI, directeur de l'OFII (Office Français de l'Immigration et de l'Intégration) dont les services détiennent le rôle de "pilote" de la politique française d'immigration depuis la controversée loi "asile-immigration" portée par l'ex-ministre de l'Intérieur Gérard Collomb en 2018. Il prétend regarder, depuis son poste de gestionnaire, "l'immigration en face" en renvoyant dos à dos les "extrémistes" des deux bords "anti" ou "pro" immigration. On verra que cette position très commode est fondée en réalité sur un faux équilibre qui tord le cou à certaines réalités. Ce n'est pas nouveau : cela fait très longtemps que des politiques en réalité fort myopes et inutilement répressives et stigmatisantes s'abritent derrière ce pseudo-équilibre "centriste" érigé en système par le Président actuel.

Le second est un modeste et obscur sociologue de terrain, dont je n'ai découvert l'existence que grâce au journal en ligne "Courrier des Balkans", à l'occasion d'un compte-rendu de lecture récent. Son analyse, fondée sur une enquête de cinq ans en Afrique, au Moyen-Orient, dans les Balkans et en Europe de l'Ouest, bat en brèche le discours rassurant et apparemment "raisonnable" de Didier LESCHI : ce que la politique d'accueil très sélective de l'Europe alimente, c'est bien la montée en flèche de l'exploitation et de la traite d'êtres humains par le crime organisé, à l'extérieur comme à l'intérieur de nos frontières. J'en traiterai dans un second article.

 

Que nous apprend cependant Didier LESCHI ? Et en quoi biaise-t-il avec la réalité ?

Que les migrations en provenance en particulier d'Afrique ne sauraient qu'augmenter dans les années qui viennent, pour des raisons avant tout démographiques. La population de ce continent qui était de 300 millions (M) au début des années 1960 est aujourd'hui de 1,3 milliard (Md) soit plus de 4 fois plus. (p 8)

Ce qu'il omet cependant de rappeler, c'est que cette "explosion démographique" a précédemment eu lieu en Europe pour les mêmes raisons (une baisse de la mortalité alors que la natalité était resté transitoirement forte) : sa population avait également quadruplé de 1750 à 1950. Provoquant une émigration de masse : 50 millions d'émigrants européens intercontinentaux entre 1850 et 1940, qui ont bouleversé la démographie de deux continents au moins : l'Amérique et l'Océanie, dont les populations autochtones ont été spoliées, refoulées et massacrées, au nom de la supériorité de la " race blanche". Il revient cependant plus loin sur ce second aspect en faisant remarquer justement : "Comme nous sommes plus nombreux sur terre, les mouvements ont plus d'ampleur"(p9).

Deux différences sont ici à marquer : une différence de rythme tout d'abord, puisque la population européenne a mis deux siècles à quadrupler, contre moins d'un siècle pour l'Afrique; et une différence de modalité, puisque les Européens ont conquis militairement des territoires, en s'appuyant sur leur supériorité technologique et militaire, là où les Africains d'aujourd'hui arrivent pacifiquement et en demandeurs d'asile individuels.

Par contre, certaines similitudes sont également à relever. Tout d'abord certains progrès révolutionnaires dans les transports et les communications. LESCHI parle de l'avion pour les migrations intercontinentales, succédant au train et à l'automobile dans les migrations continentales entre le Sud et le Nord de l'Europe. C'est quand même l'occasion pour lui  de saluer le rôle des progrès de la navigation qui ont favorisé les migrations européennes vers l'Amérique au 19e siècle.

Le nombre et la provenance des migrants internationaux d'aujourd'hui sont également à relever pour redresser de fausses représentations.

Si leur nombre a fortement augmenté depuis 1975, passant de "moins de 80 M de personnes" à 190 M en 2000 et 260 M aujourd'hui, leur proportion a à peine bougé en restant à 3,5% de la population mondiale.

Sur ces 260 M seules 20 M sont reconnues comme "réfugiées" par le HCR (Haut Commissariat aux Réfugiés de l'ONU). Dans ces 20 M près de 82% proviennent de 5 pays : la Syrie (avec 6,6 M), le Venezuela (3,7 M), l'Afghanistan (2,7 M), le Sud-Soudan (2,2 M) et la Birmanie (Myanmar) avec 1,1 M.

Un des pôles principaux des migrations actuelles est le Mexique, où "la guerre du pavot fait actuellement plus de 30 000 victimes par an, en particulier des femmes. Plus qu'en Afghanistan. Que les Mexicains veuillent fuir ce chaos en rejoignant les États-Unis de l'autre côté du Rio Grande est compréhensible. Plus de 11 millions d'entre eux vivent légalement aux États-Unis, il faut y ajouter la majorité des 10 millions de clandestins. Aux États-Unis l'espagnol est la langue de plus de 40 millions de personnes, représentant 13% de la population." (p 12)

Ajoutons que le blanchiment récent par l'État mexicain du général Cienfuegos, inexplicablement relâché par la justice américaine après une rencontre au sommet entre Lopez Obrador et Trump pose la question : le Mexique est-il devenu un "narco-État" ?

 

Mais souvenons-nous de ce constat lorsque LESCHI nous parlera de l'Europe et de la France...

Ainsi lorsqu'il se permet de souligner qu'en 2015 l'Europe a "accueilli en proportion plus d'immigrants que les États-Unis, 2,4 millions pour 509 millions d'habitants contre 1,1 pour 320." (p 15), il ne choisit que la seule année où cette comparaison est favorable à l'Europe, en raison de la fameuse "crise migratoire" de cette année-là due au conflit en Syrie, car dès l'année suivante sa démonstration se renverse. Quand il dit que "les chiffres sont là" pour prouver que l'Europe n'est pas un continent fermé, il fait pudiquement l'impasse sur le fait que ce n'est pas dû à une politique d'accueil, mais en dépit d'une politique de non-accueil, à l'exception, encore une fois, de l'année 2015,  qui fait de l'immigration un véritable "parcours du combattant".

C'est donc à cette aune qu'il faut mesurer le fait que, malgré les obstacles mis sur leur route, le nombre d'immigrants en Europe est passé à près de 78 millions en 2017 contre 56,3 millions en 2000, parmi lesquels ceux nés dans un pays non-européen sont passés de 33,5 millions en 2014 à 38 millions en 2017. (p 15)

Le portrait qu'il trace des migrants-types vers l'Europe est pour partie exact : "ceux qui ne sont pas nécessairement les moins (ou les plus ?  Je soupçonne ici un lapsus) pauvres, mais qui sont bien les perdants de capitalismes sans protection sociale, ou (...) des classes moyennes qui aspirent à une vie meilleure." (p 16)

Et parmi ces dernières, "Albanais, Géorgiens, minorités Roms sont autant venus vers nous que les Syriens ou les Afghans fuyant la guerre. 22% de la population des pays balkaniques anciennement communistes vivent à l'étranger. Plus de 2,5 millions de Polonais sur 38 millions ont quitté leur pays pour aller vers l'Ouest. Des Ukrainiens les ont progressivement remplacés à Varsovie ou Gdansk.(...) La Pologne emploie ainsi aujourd'hui 1,8 millions d'étrangers et en 2018, pour compenser le départ de ses forces vives, a accordé plus de permis de séjour à des étrangers hors UE (635 335) que l'Allemagne (543 571)." (pp 16-17)

La spécificité des immigrations en France : elle est induite par notre passé colonial.

Tous ces faits sont explicitement renvoyés "à celles et ceux qui rêvent de suspendre toute immigration" (p 18).

Cela dit, et c'est ici que les choses véritablement se gâtent, LESCHI se tourne symétriquement "vers les personnes qui exhortent non seulement à faire plus et mieux, à lever les frontières parce qu'elles sont heurtées dans leur sensibilité par la situation faite aux étrangers débarquant sur nos côtes, ou qu'elles répondent aux plus nobles inspirations spirituelles, comme la parabole chrétienne du bon Samaritain." (p 17)

Si je cite intégralement ses formulations, c'est pour souligner de mon côté que ceux qui s'opposent à la politique des gouvernements européens ne sont pas seulement mus par leur "sensibilité" ou par des "inspirations spirituelles", ce qui permettrait de les ranger dans la catégorie commode des "nobles idéalistes hors des réalités concrètes".

En suivant, Didier LESCHI, fonctionnaire d'autorité en charge d'une institution de l'État, nous refait le coup déjà tenté par le talentueux porte-parole de l'impérialisme britannique Rudyard KIPLING du "fardeau de l'homme blanc". Mutatis mutandis, c'est le sens du plaidoyer qu'il fait en faveur de la politique française d'accueil. En résumé on fait beaucoup, et par pur sens du devoir , en faveur des immigrants.

Ainsi il avance le chiffre des "274 000 nouveaux titres de séjours (accordés) à des personnes qui souhaitaient s'installer dans notre pays" en 2019 (p 21). Il eût été plus honnête de mettre ce chiffre en regard de celui des demandes de titre de séjour (pas publié)... Car le verre apparemment plein serait apparu alors aux 3/4 vide.

Et il s'amuse à faire remarquer que parmi ces titres de séjour, 38 000 le sont "au titre du travail. Nous favorisons ainsi la fuite de "talents et de compétences", ce que les opinions publiques comme les pouvoirs publics de certains pays nous reprochent. C'est le cas des médecins puisque nous pallions notre pénurie liée au numerus clausus grâce à l'arrivée de médecins étrangers. Sur 215 000 médecins exerçant en France, plus de 30 000 le font avec un diplôme obtenu à l'étranger." (p 21) Et il se complaît à souligner que "c'est le Maghreb qui fournit la grande part de nos médecins étrangers. 25% viennent d'Algérie, 12% du Maroc et 8% de Tunisie. Ce sont des pays où cette fuite renforce les déserts médicaux pour combler les nôtres." (ibidem)

Outre que "cet arbre cache la forêt" (combien de titres pour médecins parmi les 38 000, lesquels ne représentent eux-mêmes que 13,86% des titres de séjour ?) , il y a là une implicite inversion des responsabilités : c'est bien la France qui a instauré le numerus clausus sur les études médicales, pas les médecins formés au Maghreb !

Si l'on regarde la dynamique du nombre de titres accordés, on voit bien qu'elle est tendanciellement à la hausse : https://www.immigration.interieur.gouv.fr/Immigration/L-admission-au-sejour-Les-titres-de-sejour-visas-statistiques

De même que le total de titres de séjour en vigueur, passé de 2,3 millions à 3,3 entre 2007 et 2019.

Cela montre bien que la pression migratoire est irrésistible.

Si l'on affine l'analyse des titres accordés année après année, on constate que les fameux "regroupements familiaux" fantasmés par tous les adeptes de la théorie du "grand remplacement" comme le Cheval de Troie de l'invasion sont restés étonnamment stables à 90 000 par an depuis 2007 , alors que les titres "pour études" ont bondi de 46 000 à 90 000, les titres "pour travail" de 11 000 à 38 000, et "humanitaires" de 15 000 à 36 000, quant aux "divers", passés de 10 000 à 19 000, ce sont les "étrangers entrés mineurs" qui ont le plus progressé , de 3 000 à 8 000.

Aussi quand LESCHI nous avance benoîtement que "l'essentiel des flux migratoires vers la France vient du regroupement familial, en particulier du regroupement de conjoints de Français" (p 22) et même s'il précède cette conclusion du constat qu'1/3 seulement des étudiants étrangers restent en France après leurs études, on ne peut que s'interroger sur ses objectifs.

Il est également à noter que la part des "titres provisoires" dans le stock des titres en vigueur a explosé puisqu'ils sont passés de 140 000 en 2007 à 303 000 en 2019, soit plus du double, alors que le nombre total de titres de séjour n'a augmenté que d'1/3.

Ce point est passé sous silence par LESCHI. Or il pèse lourdement sur les conditions d'intégration : c'est un élément de stress et de pression de plus sur les candidats à l'installation dans notre pays.

Or, ainsi que le constate ensuite LESCHI, "le parcours d'intégration est devenu plus long et plus difficile sous la pression de l'Islam intégriste diffusé par mille canaux" (p 24). Faut-il donc le compliquer encore en rajoutant sans cesse de nouveaux obstacles à l'obtention d'un vrai droit au séjour ?

A cela s'ajoute la constitution de véritables ghettos ethniques, à la fois du fait de l'accueil communautarisé du fait des déficiences publiques, et de la fuite des "Français de souche"de certains quartiers (pp 28-33).

Puis LESCHI nous sort des arguments "sociaux " favoris du RN : l'immigration fait baisser les salaires, et la libre immigration le ferait encore plus; notre système de santé est payé par nos cotisations, il ne saurait servir à des touristes médicaux qui n'ont pas précédemment cotisé ! (p 34-5). Doit-on répondre que ces tendances ne peuvent réellement s'exercer théoriquement qu'à long terme et toutes choses égales par ailleurs ? Cela supposerait, pour la santé, le non-emploi et donc la non-cotisation des immigrés, ainsi que, concernant les salaires, leur totale atonie revendicative...

Ces "arguments" adressés aux "no border" (p 35) n'honorent pas leur auteur.

Il aborde enfin ce qui relève de sa responsabilité, la question des "cadres d'accueil".

Et il plaide bien sûr "non coupable" en s'abritant derrière le Pape : "Il faut accueillir, héberger, protéger et promouvoir", c'est que nous dit excellemment le pape François et que nous essayons justement de faire, compte tenu de l'état et de la force des choses." (p 38)

Pour cela, il use d'un subterfuge encore une fois peu honorable : la comparaison entre la France et d'autres pays européens supposés "plus vertueux" : la comparaison est évidemment à l'avantage de la France. Mais au prix de quelques arrangements avec la vérité.

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Il invoque le "taux de protection par nationalité, c'est-à-dire le pourcentage de personnes qui acquièrent le statut de réfugié rapporté au au nombre de ceux qui le demandent. Plus que le nombre d'entrées, c'est la comparaison la plus parlante." (p 39

Mais il omet de nous donner les chiffres...

Or les voici :

"De l’Espagne avec 66% à la Hongrie avec 8%, le taux de protection en première instance est très variable d’un Etat membre à un autre, avec une moyenne européenne de 39% contre 37% en 2018. En tête de classement on retrouve également le Luxembourg (57%), l’Autriche (53%), la Grèce (53%), le Royaume-Uni (53%), l’Irlande (52%), l’Allemagne (46%). Le taux de protection en première instance de la France est de 25%, suivie par la Lettonie (23%), le Portugal (23%), l’Italie (20%), et la Croatie (17%). Certaines variations importantes sont à souligner en Espagne qui passe de 24% à 66%, au Royaume-Uni en hausse de 31% à 53%, mais aussi au Danemark de 33% à 52%, en Allemagne de 37 à 46%, en Estonie de 25% à 50%, et en Italie de 11% à 20%. Pour d’autres Etats, on observe une baisse importante notamment au Luxembourg de 72% à 57%, en Belgique de 51% à 38%, en Finlande de 49% à 34%, en Lituanie de 50% à 28%, au Portugal de 60% à 23%, en Croatie de 31% à 17%, et en Hongrie de 36% à 6%. "

https://www.forumrefugies.org/s-informer/publications/articles-d-actualites/698-dans-les-28-etats-membres-de-l-ue-en-2019-plus-de-321-000-decisions-de-protection-au-titre-de-l-asile

On peut donc voir que, sans être honteux, le cas de notre pays n'est pas si idyllique, puisque nous sommes bien en-deçà de la moyenne des 28 pays de L'UE.

Mais à cela, LESCHI a une réponse, qui ma foi peut se défendre : " Alors qu'en 2019, les premières nationalités à avoir demandé l'asile en Europe étaient des Syriens, des Afghans, des Vénézuéliens, ceux qui le sollicitent chez nous venaient quatre fois plus de l'Afrique de l'Ouest que de Syrie. Ils étaient Guinéens, Ivoiriens ou encore Maliens. Ils venaient trois fois plus d'Algérie que d'Irak, cinq fois plus de Géorgie que du Soudan. Ils étaient autant Chinois que Pakistanais. Et ils étaient d'abord Albanais, Afghans et Géorgiens." (pp 39-40)

Donc, rien d'étonnant à ce que le taux d'acceptation de leur demande d'asile soit plus faible que ceux de pays moins "sûrs" ? Réservons pour le moment notre jugement...

De plus, nous dit LESCHI, "les demandeurs d'asile dans notre pays reçoivent une allocation supérieure à celle qui est versée dans la plupart des pays d'Europe." (p 40) Mais là encore on le prend en flagrant délit de mensonge par omission : il ne fait pas état de la question du droit au travail ni de la modulation des allocations selon que le demandeur est logé ou pas par l'État ... Or ce n'est le cas que de 50% des demandeurs en France, et l'allocation supplémentaire versée aux non-logés est de 222 € par mois pour une personne... ce qui explique bien des situations dramatiques.

https://www.infomigrants.net/fr/post/10167/allocations-pour-les-demandeurs-d-asile-dans-l-ue-comparaison-entre-les-etats-membres

https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F33314

Au final, la distorsion en faveur de la France n'est pas si évidente qu'il le prétend, notamment en raison de l'interdiction de travailler qui est faire aux demandeurs d'asile en France tout au long de la procédure...

HÉBERGER

Sur la question de l'hébergement, il fait état des efforts consentis depuis quelques années et met en exergue le refus général des collectivités locales d'appuyer cet effort (il a d'ailleurs publié une tribune dans "Le Monde" en ce sens : https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/01/08/accueil-des-migrants-chacun-devrait-faire-un-effort-dans-le-debat-pour-etre-un-peu-plus-republicain_6065569_3232.html )

Il insiste sur le fait que l'hébergement d'urgence est accessible inconditionnellement chez nous, contrairement, encore une fois , à d'autres pays européens. "En octobre 2020, tous les soirs, l'État mettait ainsi à l'abri plus de 176 000 personnes. Un chiffre sans cesse en augmentation qui mesure autant la détresse que l'effort de prise en charge." (p 42)

Ceci pour un coût passé de 1 Md € en 2006 à 3 Mds en 2020.

Il oublie de dire que c'est sous la pression associative qu'a été créé en 2005 le Droit A l'Hébergement Opposable (DAHO), pendant du Droit Au Logement Opposable (DALO).

Et pareillement, il n'explique pas pourquoi, malgré tous ces efforts, on a encore en France des campements même en hiver. Il se contente de faire valoir que "contrairement à nos voisins, nous sommes plus tolérants quand les personnes décident d'établir un abri sur l'espace public." (p42)

Et de se plaindre que "nous sommes le pays le plus touché par les constitutions de campements de sans-abris" et de nous faire miroiter que nous sommes le seul pays "où la police rend ces (...) tentes à ces associations (dont certaines subventionnées par l'État, distribuent des tentes pour que des migrants puissent occuper une place, un trottoir, un jardin)" (p 43)

L'explication est peut-être dans ce commentaire du Forum-réfugiés sur le vote du budget asile-immigration 2021 de l'État :

"La création de 4.500 places supplémentaires dans le Dispositif National d'Accueil s’inscrit dans la dynamique entamée en 2012 – suspendue en 2020. C’est tout simplement indispensable dès lors que plus de la moitié des demandeurs d’asile éligibles aux conditions matérielles d’accueil n’ont pas accès à une place d’hébergement dédié, en métropole et plus encore outre-mer. De ce fait et malgré cet effort budgétaire, qu’il convient de saluer dans le contexte actuel, l’objectif de couverture des besoins d’hébergement est fixé à seulement 65% pour la fin 2021. Ce taux cible risque, comme chaque année, de n’être pas atteint, reposant sur des prévisions largement hypothétiques (stabilité du niveau de la demande d’asile, amélioration importante du taux de rotation des places, réduction significative des délais d’instruction, etc.).

On notera encore que les prix de journée des lieux d’hébergement pour demandeurs d’asile n’ont pas été revalorisés depuis 2015, tandis que les charges fixes augmentent régulièrement – l’inflation sur cette période est de 5,15 %. Ce gel complique la gestion de ces lieux, dont les prestations et le taux d’encadrement sont fixés par un cahier des charges applicable sur l’ensemble du territoire national. L’effort de création de places ne saurait se traduire par une baisse de la qualité de l’accueil et de l’accompagnement."

https://www.forumrefugies.org/presse/nos-communiques-de-presse/796-asile-immigration-integration-un-budget-aux-ambitions-tres-mesuree

Enfonçons le clou : les besoins sont systématiquement sous-évalués par l'État, bien qu'il soit obligé, notamment par la pression associative, de prendre en compte...après-coup, la réalité de leur croissance.

PROTÉGER

Ici encore, LESCHI attribue au gouvernement qu'il sert les mérites de dispositifs antérieurs qu'il ne cesse d'essayer de rogner au motif que d'autres pays voisins ne les auraient pas mis en place... C'est le cas de l'Aide Médicale d'État (AME) dont il oublie de nous dire que c'est un instrument très précieux de santé publique, notamment en période de pandémie... que tous nos voisins devraient imiter ! Au lieu de quoi, il préfère se plaindre que leurs pauvres profitent de notre système de soins en faisant du "tourisme médical".(p 45)

PROMOUVOIR

Là encore, "cocorico", notre mode d'obtention de la nationalité est plus ouvert que bien d'autres autour de nous. Mais, là encore, faut-il le déplorer ou s'en féliciter ? Et faut-il donc le compliquer au nom des "difficultés" que cela entraîneraient (mais lesquelles ?) Et passer sous silence les reculs déjà opérés (notamment en matière de naturalisation par mariage) ? (pp 46-7)

EXPULSER

Face au devoir d'hospitalité inconditionnelle, agité par certains, LESCHI "n'hésite pas à répondre crûment, une hospitalité pour tous est une hospitalité pour personne" (p 48)

Il a bien sûr pour lui l'apparence du "bon sens". Car il est bien évident que "compte tenu de l'état et de la force des choses", comme il a pris soin de l'anticiper, nous sommes hors d'état d'assurer un accueil digne à tous ceux qui se présentent.

Or, c'est ici au contraire qu'il faudrait s'interroger sur ce qui se cache derrière cet "état et cette force des choses" qu'il allègue.

Il s'agit ni plus ni moins que de notre volonté politique collective.

Dans l'apologie des expulsions de sans-papiers que LESCHI développe, il n'hésite pas à écrire : "le principal obstacle à notre politique de maîtrise des flux migratoires (sic : admirons au passage la litote pour éviter de parler d'expulsions) est psychologique. C'est ce sentiment diffus que nous sommes redevables d'un devoir d'hospitalité permettant "d'élargir le coeur", comme le dit le Saint Père."

Arrêtons-nous sur cet argument. Il postule en effet deux choses : que l'opposition à la politique d'expulsion ne serait pas politique mais "psychologique"; qu'elle ne concernerait que les catholiques pratiquants qui écoutent la voix du Pape.

Hé bien non. Doublement non. Malgré, encore une fois, l'argument comparatif européen montrant que notre politique d'expulsion est très encadrée et respectueuse des droits humains, il s'agit bien ici d'une opposition politique, fondée sur des arguments rationnels et non sur de simples sentiments subjectifs plus ou moins évanescents.

L'UE bouc émissaire

Pour finir de se défausser en beauté, LESCHI s'appuie sur la non-harmonisation des politiques migratoires au sein de l'UE et sur les défauts à présents reconnus par tous du "règlement Dublin". Et sur les limites du "pacte commun pour la migration et le droit d'asile" récemment proposé par la Commission européenne. Mais que ne relève-t-il pas l'absence de propositions des États, à commencer par la France, pour commencer à harmoniser par le haut cette politique au regard des réalités d'une pression migratoire devant laquelle chacun détourne les yeux ?

Au final, cette "immigration vue du Centre", manque totalement l'objectif de regarder, comme il le prétend "l'immigration en face".

 

Post Scriptum ; extraits du communiqué de la Cimade sur le bilan 2020 du Ministère de l'intérieur

22 janvier 2021 Le ministère de l’Intérieur a publié les premières statistiques concernant l’immigration et l’asile en 2020. La baisse spectaculaire des délivrances de visas et de titres de séjour comme celle des demandes d’asile s’explique en grande partie par la crise sanitaire.

Mais la poursuite d’une politique migratoire restrictive a généré de multiples atteintes aux droits des personnes étrangères. De nombreuses voix dont celle de La Cimade se sont élevées pendant l’année pour demander au gouvernement de lancer une vaste campagne de régularisation et de suspendre sa politique d’enfermement et d’expulsion. Elles n’ont pas été entendues. Cette pandémie associée à la politique actuelle a malheureusement pour effet de précariser davantage les personnes étrangères, et cela en métropole comme en Outre-mer.

Sans surprise, la fermeture des frontières décidée en mars et le fonctionnement réduit des préfectures et de l’Ofpra ont entraîné un effondrement du nombre de visas d’entrées, des titres de séjour délivrés et une baisse importante des demandes d’asile. Le nombre de visas délivrés est en effet passé de 3,5 millions à 712 000, celui des premiers titres de séjour de 277 406 à 220 535 et celui des demandes d’asile enregistrées de 143 000 à 93 000.

Derrière ces chiffres, La Cimade a constaté en 2020, dans son rôle d’accompagnement sur le terrain des personnes étrangères, la persistance et parfois l’aggravation des violations des droits fondamentaux des personnes étrangères.

A nos frontières, les violations se sont poursuivies tout au long de l’année. Les privations de liberté ont continué dans des conditions indignes. Les autorités françaises ont aussi continué à refouler des personnes, notamment vers l’Italie, même lorsque le pays était l’un des épicentres de la pandémie. Et cela à l’encontre d’une décision récente du Conseil d’Etat qui a sanctionné ces pratiques.

La fermeture complète des préfectures puis leur réouverture partielle, associée à la difficulté pour obtenir un rendez-vous sur internet et à l’obligation de déposer des demandes de façon dématérialisée, a conduit à cette chute du nombre de titres de séjour délivrés. Et malgré les très fortes mobilisations pour demander une large régularisation, le Gouvernement est resté sourd à ces revendications.

En ce qui concerne le droit d’asile, les préfectures ont limité l’enregistrement des demandes et l’Ofpra a allongé ses délais d’instruction, ce qui aura pour conséquence une baisse du nombre de nouveaux réfugiés. Le dispositif d’accueil reste saturé et les personnes qui n’ont pu accéder à une place d’hébergement ont vu leur allocation pour demandeurs d’asile réduite. En Outre-mer, en raison d’un dispositif d’accueil totalement défaillant des centaines de personnes vivent actuellement dans des campements.Dans les prisons, au contexte carcéral dégradé auquel sont confronté.e.s les détenu.e.s, est venue s’ajouter l’impossibilité pour les personnes étrangères d’un accès au droit, faute de la présence pérenne d’associations ou d’intervenant.e.s juridiques en raison de la crise sanitaire.L’enfermement en Centres de rétention, qui précède l’expulsion des personnes étrangères, a été largement détourné. Du fait de la fermeture des frontières et de la suspension des vols, les expulsions ont été en effet pratiquement impossibles. LeGouvernement a dû affréter plusieurs vols avec l’assistance parfois de l’agence Frontex et ce malgré les recommandations de l’Oms visant à limiter l’exportation du virus. Les centres de rétention ont été maintenus ouverts et les personnes enfermées n’ont pas été libérées, malgré les demandes d’associations comme La Cimade ou la Commissaire aux Droits de l’Homme du Conseil de l’Europe, de la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté et du Défenseur des droits. Les conditions sanitaires n’y étaient pourtant pas assurées et plusieurs clusters y ont été décelés tout au long de l’année

Publié dans Europe, Immigration, politique

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