Henri WEBER Eloge du compromis

Publié le par Henri LOURDOU

Henri WEBER Eloge du compromis

Henri WEBER

Éloge du compromis

Plon, septembre 2016, 294 p.

Ou "pourquoi le PS est en crise et toute la gauche avec lui".

 

Voilà un livre singulier : écrit pour soutenir la candidature de François HOLLANDE à sa réélection, il a perdu cette fonction à peine deux mois après sa parution.

Plaidant pour une majorité "social-écologiste" dont le noyau aurait été le PS, il voit ce noyau éclater et se vider de sa substance en à peine quelques semaines, une fois la candidature d'Emmanuel Macron connue, et le retrait forcé de François Hollande acté.

Rappelant le rôle central du clivage Droite-Gauche dans une démocratie qui fonctionne, il le voit répudié par une candidature majoritaire qui remet en selle le centrisme et rallie une partie de l'ex-Droite comme de l'ex-Gauche.

Or, il est écrit par l'un des analystes politiques les plus subtils et pertinents que je connaisse, doté d'une vaste culture historique et situé au centre de l'appareil du PS depuis près de 35 ans, sénateur, puis eurodéputé.

 

Comment expliquer tous ces paradoxes ?

J'y vois pour ma part une forme d'aveuglement face aux effets pervers de l'élection présidentielle au suffrage universel direct. Une élection qui a fait l'effet d'un poison lent sur l'ensemble de la vie politique depuis 1962, et tout spécialement sur les deux partis à vocation présidentielle : le parti gaulliste d'un côté, avec ses différents avatars (UDR-RPR- UMP-LR), et le PS de l'autre. On a feint, à gauche, d'oublier que Mitterrand, puis Hollande, les deux seuls à avoir remporté le titre, ne l'ont fait qu'en estompant leur identité de gauche aussitôt élus, et même avant, tandis qu'à droite, les candidats vainqueurs limaient soigneusement leurs aspérités les plus droitières pour être élus.

Macron, aventurier politique à la Louis-Napoléon Bonaparte, ce personnage pourtant bien connu de tous les militants de formation marxiste comme Henri Weber, incarne à la perfection la vérité de cette élection voulue par le plus monarchiste de nos présidents.

Les conditions nouvelles de la communication politique ont favorisé son dessein : la forme désormais importe plus que le fond.

Est-ce à dire que le fond désormais ne compte plus ?

Nullement. Et en cela le propos d'Henri Weber reste pertinent. Mais voilà : presque personne ne l'aura lu, car les conditions politiques ne l'ont pas permis.

Ces conditions sont-elles susceptibles de revenir ? Peut-être. Mais pas, je le crains, dans la configuration qu'aurait souhaité Henri Weber : celle d'une centralité de la social-démocratie européenne.

Car il manque, dans son diagnostic pourtant quasi-exhaustif, mais beaucoup trop raisonnable, des éléments tragiques qui se précisent jour après jour et qui appellent un peu plus de radicalité que celle convoquée par Weber.

Celui-ci, un peu trop enfant des "Trente glorieuses", n'avait visiblement pas intégré suffisamment la critique de l'idéologie du "progrès" et de son optimisme techno-délirant. Lucide sur les forces ténébreuses de l'identitarisme montant comme sur les forces émancipatrices du féminisme et de l'anticolonialisme, il en sous-estimait la portée et le pouvoir agonistique, au profit d'un sens du compromis qui, on le verra, avait peu à peu perdu son sens, au point de composer avec l'inacceptable.

 

JOUER LES DISRUPTIFS : MACRON, POPULISTE DU CENTRE.

 

On l'a bien oublié depuis, mais pour s'imposer, Macron comme Mitterrand avant lui, et comme Mélenchon à sa façon, a joué d'abord au "révolutionnaire". Pour Mitterrand, mauvais écrivain du clair-obscur, spécialiste de l'allusion voilée qui ne va pas jusqu'au bout, le "coup d'État" chez De Gaulle était "permanent". Relire ce livre de 1962 qui le pose en "opposant principal" est une véritable épreuve aujourd'hui. On a peine à trouver ce qui a pu enthousiasmer les lecteurs de l'époque, tant l'inconsistance du propos saute aux yeux.

Il en est de même pour le "Révolution " de Macron (novembre 2016), dont le succès phénoménal semble, comme pour le précédent, ne tenir qu'à son titre.

Ainsi, il a suffi que Macron prétende rompre radicalement avec la "politique établie" pour qu'on le crédite d'une légitimité présidentielle. Quelques formules vagues là-dessus + sa photo de jeune premier déterminé. Et voilà la fusée lancée.

Bien sûr, il aura fallu au préalable un bon réseautage dans les différents milieux du Pouvoir politique et économique. Et sans doute une grande naïveté de son "parrain" politique, François Hollande (ou plutôt un excès de machiavélisme : il pensait sans doute que Valls et lui se neutraliseraient réciproquement).

Et c'est ici qu'intervient la décomposition accélérée du PS, que Weber n'a pas, comme bien d'autres, vu venir.

 

LE PS, COLOSSE AUX PIEDS D'ARGILE

 

Le très européen Henri WEBER, fasciné par plus de 150 ans de social-démocratie, n'a pas réalisé que le PS reconstruit par François MITTERRAND sur les restes de la SFIO de Guy MOLLET avait agrégé des traditions et des histoires fort différentes. Or, cet assemblage ne tenait que par la perspective présidentielle : seul l'attrait du Pouvoir attirait à lui, car cet astre multicolore faisait par ailleurs plutôt mal aux yeux.

La volonté de construire une "culture commune des socialistes" n'est jamais allé très loin.

L'autogestion a été rapidement abandonnée. L'écologie tout comme la démocratie participative, souvent évoquées mais jamais approfondies. Le féminisme s'est fracassé sur l'affaire DSK. L'anticolonialisme n'est jamais remonté jusqu'à la sale guerre d'Algérie. L'antiracisme est resté un combat moral mais jamais une cause politique vraiment prise à la racine. La laïcité une cause toujours disjointe de ce fait d'un antiracisme resté superficiel, et donc raidie dans une intransigeance de façade facilement instrumentalisée par tous les extrémismes. Le projet européen enfin s'est contenté du consensus Gauche-Droite prévalant au Parlement européen : un fédéralisme frileux à contenu vaguement social sur fond de soutien à l'économie de marché.

C'est pourquoi sur tous les sujets, le PS a vite ressemblé à la Tour de Babel.

La décomposition a commencé sur les questions européennes : le traité de Maastricht a fait fuir Chevènement, le TCE Jean-Luc Mélenchon... Cela alors même que le débat aurait dû alors avoir lieu au niveau européen entre partis social-démocrates sur ces questions cruciales de l'avenir de l'UE.

Henri WEBER en pose rétrospectivement bien les termes. On eût préféré que son "patron", Laurent FABIUS, tout à son positionnement tactique en vue de la présidentielle 2007, ait posé autrement sa contribution qu'en se joignant aux tenants du "non" au TCE tout en feignant de croire à un hypothétique "plan B".

Car il a raison sur ce point crucial : c'est à l'échelle européenne que doit se construire un projet politique à la hauteur de tous les enjeux d'aujourd'hui.

 

LE PROJET RÊVÉ D'UNE SOCIAL-DÉMOCRATIE DU XXIe SIÈCLE

 

WEBER est presque convaincant lorsqu'il énonce que le problème principal de la gauche aujourd'hui est moins dans le contenu de ses réponses que dans ses moyens d'action. Après avoir fait le bilan très mitigé du nouveau compromis social-démocrate au niveau français sous le quinquennat finissant de F Hollande (p 139-183), il consacre ses trois chapitres finaux à l'Europe. Ce n'est pas par hasard : "La social-démocratie sait que les grands défis auxquels les peuples européens sont confrontés n'ont plus désormais de solution purement nationale. Ni la régulation de la finance folle, ni la sortie de la crise et la prévention de la déflation, ni la lutte contre le réchauffement climatique, ni la maîtrise des flux migratoires et de l'intégration des réfugiés, ni la modération de l'aventurisme poutinien, ni l'éradication du terrorisme djihadiste, ni la sécurisation de notre "étranger proche" -Moyen-Orient, Maghreb, Ukraine." (p 202)

Cette énonciation-même des "défis" pose question.

En effet, elle place au premier plan la question de "la prospérité et la sécurité de ses classes populaires" (p 205) en considérant que c'est faute d'y avoir pourvu que la social-démocratie a "nourri la montée des partis nationalistes xénophobes déjà servis par des flux migratoires mal maîtrisés" (ibidem).

On s'interroge sur ce que WEBER entend par "maîtrise des flux migratoires". Mais on a bien peur de comprendre qu'il s'agit bien de renforcer la fermeture des frontières de l'UE en sous-traitant le parcage et la répression des candidats à l'immigration aux pays de notre "étranger proche" qu'il s'agirait donc, comme il l'a déjà écrit, de "sécuriser".

On se gardera de jouer les donneurs de leçon : nous ne savons pas si une politique d'accueil couperait l'herbe sous le pied des partis nationalistes xénophobes davantage que la politique dite de "maîtrise des flux" (c'est-à-dire de refoulement).

Ce que nous savons, par contre, c'est que la surenchère actuelle sur fond d'attentats djihadistes n'a aucune chance de faire progresser les objectifs de la gauche rappelées en début de son livre par Weber : "démocratie accomplie", "économie maîtrisée", "société du bien-vivre", "paix et sécurité" (pp 24-5).

Le sécuritarisme actuel, sur fond de xénophobie renforcée, ne fait que ringardiser davantage la gauche et ses idéaux de paix et de démocratie.

Quant à la maîtrise de l'économie, si elle devient bien sûr un impératif sur fond de crise sanitaire, ainsi que la nécessité d'une coordination européenne renforcée, toute la question est celle de son articulation avec l'impératif écologique et de sa compatibilité avec l'idée de croissance, jamais récusée par Weber pour des raisons de facilité. Car la croissance est l'huile qui permet d'actionner les rouages du compromis avec le Capital, et ce compromis n'est plus aujourd'hui possible, au moins sous cette forme ancienne de "répartition des fruits de la croissance".

Dès lors la "social-démocratie du XXIe siècle" chère à Weber apparaît comme une "douce utopie"...à ranger, comme celles des socialistes utopiques du XIXe raillés par Marx, au magasin des accessoires.

 

CONSTRUIRE L'ALTERNATIVE EUROPÉENNE

 

Nous n'avons guère le choix, n'en déplaise aux nostalgiques du PS de Mitterrand (dont fait partie d'ailleurs Mélenchon). Il nous faut construire un projet écologique, démocratique et social européen qui allie pragmatisme et radicalité, c'est la seule façon de prolonger l'histoire biséculaire de la gauche. Et cela demande un peu plus de hauteur de vue que les sombres calculs tactiques de nos politiciens actuels. Rappelons-le leur aussi souvent que possible.

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