Réforme de la Constitution : pourquoi c'est si important

Publié le par Henri LOURDOU

Réforme de la Constitution

Pourquoi c'est si important.

 

A Gauche, on a tendance à sous-estimer le caractère déterminant des choix institutionnels.

Vieil héritage du marxisme et de son "caractère déterminant en dernière instance de l'infrastructure économique", les institutions sont reléguées dans une "superstructure" qui ne serait que le "reflet trompeur" du "pouvoir économique de la bourgeoisie". Il ne faudrait donc pas leur accorder une importance déterminante, et se concentrer sur le "vrai" combat : la lutte contre le pouvoir économique en place.

Or cette vision des choses est doublement fausse.

Outre que les institutions ne sont pas directement dictées par les barons de la finance et du CAC 40, mais sont le produit de luttes proprement politiques qui ont leur dynamique autonome, les institutions ont des effets qui leur sont également propres.

 

Nous examinerons d'abord ce second point, avant d'aborder les projets de réforme constitutionnelle de Macron et leurs effets possibles, puis nous conclurons sur le combat à mener pour une vraie démocratie en France.

 

Les institutions françaises et leurs effets contraires à la démocratie

 

Paradoxalement, c'est dans un magazine consacré à l'économie, que je vais puiser mon argumentaire.

Dans son n° de mai 2018, l'éditorialiste d' "Alternatives économiques", Guillaume Duval, résume en deux pages( "Pourquoi trop de réformes tue la réforme", p 24-25), le rôle antidémocratique des institutions françaises actuelles.

Cela commence par les effets du scrutin majoritaire : il donne l'illusion de créer de la stabilité, alors qu'il a l'effet inverse.

En effet, il y a bien une apparence de majorité dans le pays, puisque, outre le Président, élu avec plus de 66% des voix, l'Assemblée nationale compte 53% de députés LRM.

Mais derrière cette apparence, il y a la réalité politique que le président n'a obtenu au premier tour que 24% des voix, et les candidats LRM aux législatives qui ont suivi seulement 28,3% en moyenne.

Or, le fonctionnement des institutions donne le pouvoir principal au Président et le dernier mot à l'Assemblée dans le vote de la loi.

Le résultat est un "mode de gouvernement, par nature minoritaire, (qui) suscite en pratique tellement de dysfonctionnements et d'insatisfactions que l'alternance est devenue depuis 40 ans quasiment la règle en France à chaque élection."

Avec pour effet une succession ininterrompue de réformes et de contre-réformes qui crée à la longue un état permanent d'incertitude juridique. Un bel exemple en est la politique migratoire : "seize lois majeures depuis 1980, et en moyenne une tous les deux ans depuis le code d'entrée et de séjour des étrangers et du droit d'asile (Ceseda) en vigueur depuis 2005", comme le rappelait récemment Mireille Delmas-Marty ("Le Monde -supplément "Idées", 14 avril 2018).

 

Cet état de fait est profondément contraire à l'esprit de la démocratie, car il éloigne toujours plus les citoyens de la loi et de son appropriation par chacun.

De plus, il exacerbe les divisions et donc l'incapacité à affronter ensemble des enjeux qui sont communs à tous.

Si la démocratie est bien la mise en scène et le règlement pacifique des désaccords, elle ne peut se passer de règles reconnues par tous et de compromis. On y reviendra dans notre troisième partie.

 

Le projet macronien de réforme : une accentuation de ces défauts

 

Ses grandes lignes ont été développées dans la campagne électorale : réduction drastique du cumul des mandats (un seul mandat sur pas plus de trois législatures) afin de dé-professionnaliser la politique et de réduire les privilèges des élus, rationalisation du travail parlementaire par une réduction du droit d'amendement pour éviter les tactiques de retardement et d'obstruction au vote des lois par l'opposition, et du droit d'initiative des lois par ces mêmes parlementaires au profit du gouvernement.

En pratique, cela passe d'abord par une réduction du nombre des députés de 577 à 404, avec l'introduction d'une dose de proportionnelle pour assurer une meilleure représentation des tendances minoritaires.

Et c'est ici qu'il faut commencer à dénoncer le stratagème, analysé finement par le politologue Benjamin Morel ("Le Monde", 9-5-18, p 20).

En effet, comme il le résume d'entrée : les conséquences de la réforme envisagée "devraient être d'abord minimes en matière de représentativité politique des partis. Elles devraient ensuite entraîner une surreprésentativité de certains territoires ruraux . Enfin elle devrait affermir un peu plus la mainmise gouvernementale sur la majorité."

Car, comme l'a bien vu et dénoncé François Bayrou, le % choisi de 15% de députés désignés au scrutin proportionnel réduit à néant la volonté affichée d'assurer la représentation des courants minoritaires : soixante députés élus à la proportionnelle, cela s'avère un taux beaucoup trop faible pour représenter un correctif efficace.(...) Afin de rendre l'Assemblée plus représentative des courants politiques, il conviendrait soit de maintenir le nombre de députés, soit d'élever le taux de proportionnelle à 25% ou 30% au moins."

D e plus, l'impossibilité d'étendre une circonscription sur plus d'un département, aboutira à surreprésenter les départements les moins peuplés (ex : Lozère, 77 000 habitants pour une moyenne de 235 000 habitants pour un député avec 404 élus). L'autre effet de la réduction, notamment pour les circonscriptions les plus peuplées et les plus vastes, sera de distendre encore plus le lien entre élu et électeurs, même avec un non-cumul total des mandats.

II en résulte une dépendance croissante des élus à leur investiture par le parti, contrôlé par l'exécutif dans le cas de la majorité, donc une perte d'indépendance par rapport à ce même exécutif. Les députés-godillots ont donc un bel avenir avec cette réforme.

 

Ce que seraient de bonnes institutions et le combat à mener

 

C'est ce que suggère Guillaume Duval sous le titre "On peut faire autrement". SI l'instauration de la proportionnelle intégrale existante dans certaines grandes démocraties européennes (Allemagne, Italie...) semble à première vue induire une grande difficulté à constituer des gouvernements en cas d'opinion morcelée, elle oblige cependant les différentes forces politiques à se parler et à négocier pour constituer des alliances (l'exact opposé de ce qui se passe en France où le seul souci est celui de devenir LE parti présidentiel). Et une fois ces négociations abouties, à mettre en place des lois beaucoup plus consensuelles, et donc acceptées, que celles imposées chez nous par un parti dominant mais minoritaire.

Cette culture du compromis, qui se retrouve au niveau du dialogue social, vicié chez nous par le syndrome présidentiel/autoritaire, constitue l'essence de la démocratie. Elle constitue la bonne réponse aux défis complexes de notre temps.

 

Pour la mettre en place, il faut commencer par rompre avec la monarchie présidentielle et le scrutin majoritaire. Et, pour cela, commencer par pratiquer le dialogue le plus large entre les différentes composantes d'une majorité potentielle élue au scrutin proportionnel, en refusant le jeu de la sélection d'un présidentiable qui imposerait la domination de son seul parti. Donc tout miser sur des législatives dont l'enjeu serait la suppression de l'élection du Président au suffrage universel (supprimant ainsi les conséquences antidémocratiques que l'on a connues depuis 1965).

Publié dans politique, unir les gauches

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