Mireille DELMAS-Marty Principe d'hospitalité

Publié le par Henri LOURDOU

Mireille DELMAS-MARTY

"Principe d'hospitalité"

Pour une gouvernance mondiale du droit des migrations

("Le Monde -supplément "Idées", 14 avril 2018).

 

Mireille DELMAS-MARTY, professeur émérite de Droit au Collège de France, est une pionnière de la réflexion sur l'émergence d'un Droit mondial dont j'avais déjà rencontré les réflexions.

Ici, elle prend vigoureusement parti en faveur de "l'hospitalité comme principe juridique régulateur des mobilités humaines".

Elle précise d'emblée que "l'hospitalité n'est pas affaire de morale ni de philanthropie".

C'est juste la prise en compte d'une évidence et d'une urgence.

 

L'évidence d'un espace à partager

 

Dès la fin du XVIIIe siècle, le philosophe Emmanuel Kant remarquait que la forme sphérique de la Terre "oblige les êtres humains à se supporter parce que la dispersion à l'infini est impossible, et qu'originairement l'un n'a pas plus droit que l'autre à une contrée." ('Projet d e paix perpétuelle", 1795-1796). Et Delmas-Marty de faire remarquer qu'à son époque "la population était d'environ un milliard d'humains – elle a dépassé sept milliards à présent."

Et cette augmentation de population s'est accéléré depuis 1950 , avec "environ un milliard tous les quinze ans."

Il en découle mécaniquement une augmentation du nombre de migrants. Ici Delmas-Marty ajoute que "la mobilité humaine a déjà augmenté plus vite que la population". Affirmation lapidaire qui demande une explicitation. Car il y a mobilité et mobilité.

La mobilité qui a véritablement explosé est celle des touristes internationaux (migrations temporaires de type pendulaire) qui atteint aujourd'hui le chiffre de plus de 900 millions de personnes.

Par contre, les migrations définitives, même si elles ont augmenté en nombre, ne dépassent pas les 260 millions de personnes...soit 3,4% de la population mondiale en 2017 (chiffres Onu cités par F Héran dans sa leçon inaugurale au Collège de France). Sur ces 260 millions, la grande majorité migrent dans des pays voisins, qui sont essentiellement des pays du "Sud".

Ainsi, la fameuse "pression migratoire" dont se plaignent les pays riches du "Nord" doit être relativisée. Même si le nombre des candidats à l'immigration chez eux augmente, cela ne constitue en aucun cas une explosion ...comparable à celle des touristes du "Nord" vers le "Sud".

 

C'est pourquoi, Mireille Delmas-Marty a raison de souligner l'incapacité européenne à prendre en compte la réalité des phénomènes migratoires. Car l'Europe ne pratique la solidarité que dans le refoulement des candidats à l'immigration (création de l'agence Frontex, directive "retour" autorisant la rétention administrative jusqu'à 6 mois (voire dix-huit dans certains cas), non-ratification par l'UE ni par aucun Etat membre de la convention internationale de 1990 sur les droits des travailleurs migrants et de leurs familles...). Par contre, pour l'accueil et l'intégration, c'est le règne du chacun pour soi, et, de plus en plus, l'abandon de l'Etat aux bonnes volontés de la société civile.

Or ce choix soi-disant "sécuritaire", conforté par et confortant la montée des courants populistes xénophobes, constitue "un terrible contresens historique".

 

Dans le cas français, notre plus haute autorité juridique, le Conseil d'Etat a rendu un avis très sévère, le 15 février dernier, à propos du nouveau projet de loi asile/immigration du gouvernement.

Il note en effet l'incapacité des gouvernements successifs à sortir des effets d'annonce non évalués : "seize lois majeures depuis 1980, et en moyenne une tous les deux ans depuis le code d'entrée et de séjour des étrangers et du droit d'asile (Ceseda) en vigueur depuis 2005."

 

L'urgence d'un droit lisible

 

Le résultat d'un tel empilement législatif est "un régime juridique devenu incompréhensible (neuf catégories et quelques sous-catégories de mesures d'éloignement, quatre types de titres de séjour et dix-sept mentions différentes sur les titres délivrés...).

 

L'urgence n'était donc pas une nouvelle loi, mais l'évaluation des lois existantes et leur clarification.

 

Mais avant tout l'urgence d'une gouvernance mondiale robuste

 

De ce point de vue la loi Collomb est totalement à côté du sujet. En se concentrant (malgré son intitulé faussement équilibré) sur le renforcement de mesures répressives plus ou moins applicables (et plutôt moins que plus), elle n'aborde nulle part la question clé de la régulation mondiale des migrations.

Or, le secrétaire général de l'Onu a rendu en décembre 2017 un rapport visant à l'adoption d'un pacte mondial "pour une migration sûre, ordonnée et régulière" dont la négociation entre tous les gouvernements a débuté et doit se conclure lors d'une conférence intergouvernementale en décembre 2018 au Maroc.

Ce "pacte" n'a rien d'une lubie : il repose sur l'acquis des négociations menées précédemment sur le climat, et contribue à l'élaboration progressive d'un véritable Droit mondial prenant acte de l'interdépendance croissante de tous les pays.

Les outils juridiques sont déjà là. Ils s'appellent "objectifs communs", "stratégie multi-acteurs" et "responsabilités différenciées".

 

Les objectifs communs découlent d'une collecte des données permettant d'éclairer les choix et "mieux prendre en compte les effets tout en agissant aussi sur les causes".

La stratégie multi-acteurs met les Etats au centre et donc le dialogue entre Etats, mais insiste sur la nécessité des "partenariats avec les migrants et les diasporas, et plus largement avec la société civile dans sa diversité : les ONG et les syndicats déjà globalisés, ainsi que les citoyens mobilisés au niveau local, spontanément solidaires (...), (ainsi que) les collectivités territoriales infra-étatiques (Etats fédérés et grandes villes) et les scientifiques : comme les climatologues, démographes et anthropologues deviennent lanceurs d'alerte et veilleurs. E t au-delà (...) pourquoi ne pas étendre la responsabilité sociale des entreprises à la régulation des migrations ?"

Quant aux "responsabilités communes mais différenciées (...) Apparues dans la convention climat de 1992, la formule renvoyait d'abord à la "dette écologique" dont les générations présentes ont hérité des générations antérieures et limitait l'engagement aux pays industrialisés." Celle-ci a depuis évolué bien sûr avec l'apparition des pays "émergents".

Pour les migrations, la Déclaration du secrétaire général de l'Onu pose le principe d'une "responsabilité partagée" entre les pays : il restera à poser des critères de différenciation objectifs.

 

La force et la faiblesse de ce nouveau modèle de gouvernance mondiale étant la "bonne volonté" des différents acteurs, il présuppose une reconnaissance de sa légitimité qui pourrait passer , lors des 70 ans de la Déclaration Universelle des Droits Humains (DUDH) de décembre 1948, par le fait de poser le principe d'hospitalité comme principe juridique régulateur des mobilités humaines. Cela viendrait utilement compléter le fameux article 13 de la DUDH qui pose le principe de libre circulation...mais omet celui du devoir d'accueil qui en est le pendant logique. L'équilibre à chercher entre les deux en deviendrait du coup un objectif juridique enfin discutable.

Mireille DELMAS-Marty Principe d'hospitalité
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