Comment faire front ? (1)

Publié le par Henri LOURDOU

Face à Macron et à l'extrême-droite :

comment faire front ? (1)

 

Devant la précipitation de toute la "gauche militante" associative et syndicale à rejoindre la proposition de "marée populaire" pour le 26 mai, j'écrivais :

 

"La capacité d'une démarche de type protestataire à produire une alternative politique en amalgamant actions syndicales et associatives à une offre proprement politique censée les prendre automatiquement en compte constitue un sujet de réflexion majeur.

 

Il est temps de rompre avec cette vision des choses venue des traditions social-démocrate et communiste et basée sur le concept marxiste de la lutte des classes comme seul moteur de l'Histoire.

Il est temps de distinguer la dynamique propre des mouvements syndicaux, ou associatifs de celle des partis politiques dans une démocratie. Et de penser leur articulation autrement que par le seul concept de "convergence des luttes". "

 

 

L'intérêt de cette "rupture" avec le mythe de la convergence des luttes est cependant subordonné à la mise en place d'une vision alternative. Le texte qui suit se veut une contribution à la construction d'une telle vision.

Cela suppose de commencer par un état des lieux des mouvements syndicaux et associatifs qui s'opposent aux projets de Macron (et à la vision de l'extrême-droite que ces projets renforcent). Un état des lieux qui inclue la relation de ces mouvements aux partis politiques.

 

L'état des lieux du mouvement social 1 : les syndicats de salariés

 

C'est un lieu commun de dire aujourd'hui que les syndicats vont mal.

Il y a des éléments objectifs pour le dire, mais d'autre pour le contredire. Passons les en revue.

 

Ce qui va mal : une crise des adhésions et du militantisme et une incapacité à se rassembler qui favorise les manipulations politiciennes.

 

Celle-ci ne date pas d'aujourd'hui. C'est dès la fin des années 70 que les syndicats, toutes tendances confondues, ont connu un déclin (par ailleurs difficile à mesurer en raison à la fois de leur tradition du secret et de leur manque de rigueur dans l'organisation) dans leur nombre d'adhérents et le renouvellement de leurs militants.

Cette crise a abouti à des questionnements et des ruptures politiques qui ont abouti au début des années 90 à la scission de la Fen (Fédération de l'Education Nationale) partagée entre FSU et Unsa, et au départ/exclusion des éléments les plus radicaux de la CFDT qui ont créé Sud, devenu Solidaires.

Cet émiettement syndical n'a pas arrêté le déclin, mais l'a seulement ralenti provisoirement.

Parallèlement, la CGT, la plus touchée par ce déclin, s'est interrogée sur son positionnement et sa stratégie durant toutes les années 90, sous l'impulsion de Louis Viannet puis de Bernard Thibault, en coupant le cordon ombilical avec le PCF et en promouvant l'idée du "syndicalisme rassemblé".

La CFDT l'avait précédé dans cette voie de sortie de la "politisation" qui avait caractérisé les années 70, en mettant en oeuvre dès 1978 un "recentrage", rebaptisé "resyndicalisation" en raison de la connotation politique du terme précédent. Il s'agissait de revenir aux préoccupations immédiates des salariés en leur apportant des "résultats" au lieu de belles paroles sur un avenir politique problématique et incertain.

Cette nouvelle image (qui était en fait un retour aux sources) d'une CFDT plus "sérieuse" et "raisonnable" a porté des fruits incontestables : le déclin marqué des adhésions de la fin des années 70 a été enrayé, et la pente en partie remontée.

C'est cet exemple positif qui a en partie inspiré Bernard Thibault et son équipe.

 

Mais hélas, les épisodes des tentatives successives de réformes de la protection sociale et des retraites de 1995 et 2003 ont ruiné les tentatives de constitution du "syndicalisme rassemblé".

Il s'est alors mis en place une dérive progressive vers deux pôles syndicaux opposés : le "pôle réformiste" constitué de la CFDT, l'Unsa, la CFTC, la CFE-CGC et FO (ces deux derniers syndicats faisant parfois cavalier seul ou pactisant ponctuellement avec l'autre "pôle) , et le "pôle protestataire" constitué par la CGT, Solidaires et la FSU.

Cette bipolarisation du champ syndical vient de s'accélérer dans la dernière période avec le ralliement du "pôle contestataire" à une stratégie politique : celle de la "gauche anti-PS", constituée des anciens partenaires du "Front de gauche", PCF et PG/LFI, qui se livrent par ailleurs entre eux une lutte acharnée pour l'hégémonie sur leur camp dans laquelle le PG/LFI a acquis un avantage certain (en fait le PCF lutte pour sa survie politique ce qui l'amène à pratiquer la surenchère). Dans cette "course à l'échalote" protestataire, le mouvement syndical sert de masse de manoeuvre dans une stratégie qui le dépasse et l'utilise pour constituer une "base d'appui" à un projet électoral : la candidature victorieuse de JL Mélenchon aux présidentielles de 2022.

Ainsi, la "marée populaire" du 26 mai, loin de servir les revendications syndicales et leur concrétisation dans des accords ou des lois, va servir uniquement à renforcer la "crédibilité " de Mélenchon tribun du peuple et son club de supporters.

Ni la CGT, ni Solidaires, ni la FSU (cette dernière n'a d'ailleurs pas appelé nationalement à cette initiative, mais seulement son syndicat des enseignants du Supérieur, le Snesup) n'en sortiront vraisemblablement renforcés.

 

Ce qui va bien : une représentativité confortée bien qu'inégale, une pratique de la négociation sécurisée par le principe majoritaire.

 

Bien que ne disposant que de moins de 10% d'adhérents parmi les salariés, les syndicats ont obtenu depuis 10 ans une confirmation de leur représentativité par les élections. Depuis la loi de 2008, pour ce qui concerne le secteur privé (collation triennale des élections CE, DP et DU), et les accords aboutissant à des élections simultanées tous les 4 ans dans les trois Fonctions publiques à partir de 2014, on a abouti à une mesure claire et reconnue de la représentativité des différents syndicats.

Les derniers résultats connus sont ceux de 2014 pour les FP et de 2017 pour le secteur privé. Ils montrent l'un comme l'autre un déclin des syndicats du "pôle protestataire" au profit du "pôle réformiste" :

"Les positions respectives des organisations syndicales dans l’ensemble des trois versants de la fonction publique ne sont pas modifiées par rapport aux dernières élections professionnelles. La CGT obtient 23,1% des voix (-2,4 points par rapport aux élections précédentes).

La CFDT est en seconde position avec 19,3% (+0,3 point) suivie de FO (18,6% ; +0,5 point), de l’UNSA (10,4% ; +1,1 point), de FSU (7,9% ; -0,3 point) et de Solidaires (6,8% ; +0,3 point). La CFTC et la CGC recueillent respectivement 3,3% et 2,9% des voix.

Dans la fonction publique de l’État, FO totalise 17,0% (+0,4 point), la FSU 15,6% (-0,3 point), l’UNSA 14,8% (+0,8 point), la CFDT 14,0% (-0,6 point) et la CGT 13,4% (-2,4 point). Solidaires et la CGC obtiennent respectivement 9,0% et 5,5% des voix.

Dans la fonction publique territoriale, la CGT obtient 29,5% (-3,4 points), la CFDT 22,3% (+0,4 point), FO 17,7% (+0,3 point) et l’UNSA 8,2% (+1,9 point). Solidaires, avec 3,6% (+0,7 point) dépasse légèrement la CFTC (3,5% ; -1,2 point) et FSU (3,3% ; +0,2 point).

Dans la fonction publique hospitalière, la CGT obtient 31,7% des voix (-1,9 point), la CFDT 25,0% (+0,6) et FO 23,8% (+1,0). Solidaires perd 0,4 point à 8,5% et l’UNSA gagne 0,7 point à 5,0%."

https://www.fonction-publique.gouv.fr/resultats-des-elections-professionnelles-pour-comites-techniques-dans-la-fonction-publique-2014

"Au niveau national et interprofessionnel, comme au niveau des branches professionnelles, une organisation syndicale doit recueillir au moins 8% des suffrages exprimés et satisfaire aux autres critères de représentativité (respect des valeurs républicaines, indépendance, transparence financière, ancienneté de deux ans, influence, effectifs d’adhérents et cotisations) pour être représentative et donc être en capacité de signer des accords collectifs.

Au niveau national et interprofessionnel, 5 organisations atteignent ce score :

  • CFDT : 26,37%

  • CGT : 24,85%

  • CGT-FO : 15,59%

  • CFE-CGC : 10,67%

  • CFTC : 9,49%

Ces résultats ont été présentés aux partenaires sociaux réunis au sein du Haut Conseil du dialogue social (HCDS) le 31 mars 2017.

Dans le cadre de cette nouvelle mesure de l’audience syndicale, 68 043 procès-verbaux ont été recueillis (soit une augmentation de 18,48 % par rapport à la mesure effectuée en 2013) permettant de comptabiliser 5 243 128 de suffrages valablement exprimés (soit une augmentation de + 3,30% par rapport à 2013), ce qui a permis de renforcer encore la légitimité de la mesure de l’audience."

(...)

La mesure 2017 marque la fin de la période transitoire prévue par la loi du 20 août 2008 selon laquelle toute organisation syndicale affiliée à l’une des organisations syndicales de salariés reconnues représentatives au niveau national et interprofessionnel était présumée représentative au niveau de la branche. Désormais, pour être représentatives dans une branche professionnelle, les organisations syndicales devront dans tous les cas satisfaire au critère de l’audience de 8% dans cette branche et plus largement respecter l’ensemble des critères de la représentativité.

La loi du 18 décembre 2014 modifie les modalités de désignation des conseillers prud’hommes. En effet, la désignation des membres des conseils de prud’hommes se fonde désormais sur la mesure d’audience des organisations syndicales et patronales.

De plus, la loi du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l’emploi prévoit la mise en place dès juillet 2017 de commissions paritaires régionales interprofessionnelles (CPRI) dans lesquelles siégeront 10 représentants d’organisations syndicales et 10 représentants d’organisations patronales. Les membres des CPRI seront désignés proportionnellement à leur audience respective au sein des entreprises de moins de 11 salariés dans la région concernée et appartenant aux branches couvertes par la commission.

(...)

Depuis le 1er janvier 2017, les accords collectifs d’entreprise ou d’établissement portant sur la durée du travail, les repos et les congés sont soumis à la règle de l’accord majoritaire. La validité de ces accords est ainsi subordonnée à leur signature par, d’une part, l’employeur ou son représentant et, d’autre part, une ou plusieurs organisations syndicales de salariés représentatives ayant recueilli plus de 50 % des suffrages exprimés lors des élections professionnelles en faveur d’organisations représentatives. Si cette condition n’est pas remplie et si l’accord a été signé à la fois par l’employeur et par des organisations syndicales représentatives ayant recueilli plus de 30 % des suffrages exprimés en faveur d’organisations représentatives au premier tour des élections professionnelles, une ou plusieurs de ces organisations ayant recueilli plus de 30 % des suffrages peuvent demander l’organisation d’une consultation des salariés visant à valider l’accord.

La validité d’un accord d’entreprise ou d’établissement portant sur un thème autre que la durée du travail, les repos et les congés et conclu jusqu’au 31 août 2019, est subordonnée :

à sa signature par une ou plusieurs organisations syndicales de salariés représentatives ayant recueilli au moins 30 % des suffrages exprimés lors des élections professionnelles ;

et à l’absence d’opposition d’une ou de plusieurs organisations syndicales de salariés représentatives ayant recueilli la majorité des suffrages exprimés, quel que soit le nombre de votants.

http://travail-emploi.gouv.fr/dialogue-social/representativite-syndicale-et-patronale/article/nouvelle-mesure-d-audience-de-la-representativite-syndicale-annonce-des

 

Ce qui devient problématique : la réforme Macron du Code du Travail et ses effets

 

En fragilisant cet édifice de légitimité patiemment construit, et encore inachevé (les TPE de moins de 10 salariés restent encore des "déserts syndicaux") la loi Macron qui réduit les moyens des institutions élues va porter un coup sensible à l'ensemble du mouvement syndical.

La place des militants non élus va redevenir importante, ce qui peut ouvrir un espace à une pratique plus contestataire, basée sur l'action directe de minorités actives : la question étant celle de leur reconnaissance ou non par la majorité des salariés.

Cette nouvelle donne interroge en particulier les syndicats dits "réformistes" qui ont bâti leur légitimité sur la capacité technique de leurs militants à négocier dans des instances de dialogue social reconnues. Si ces instances sont réduites ou non reconnues, que leur reste-t-il ?

La constitution d'un rapport de force basé sur l'action directe. Un cas de figure qui donne le premier rôle aux minorités actives.

Dans cette optique, les syndicats dits réformistes auront à réguler cet activisme en le liant au ressenti de la majorité des salariés pour lui donner le poids nécessaire à une négociation victorieuse. Cela suppose un retour au "syndicalisme rassemblé" et à la fin de cette fausse et perverse division du travail entre ceux qui contestent et ceux qui négocient.

Travailler à rassembler le syndicalisme est donc la priorité du moment. Cela passe par une remise en cause de l'opposition entre "réformistes" et "protestataires" en examinant pour chacun des deux les limites actuelles de leurs positionnements récents.

 

(à suivre...)

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