Bruno TERTRAIS La revanche de l'Histoire ou la fausse sagesse du modérantisme realpolitiker

Publié le par Henri LOURDOU

Bruno TERTRAIS "La revanche de l'Histoire", Odile Jacob, mai 2017, 140 p

ou la fausse sagesse du modérantisme realpolitiker.

 

Face à la "grande régression" en cours, grande est la tentation de baisser les bras.

Et cette tentation est alimentée, mal gré qu'ils en aient, par les faux sages de la "realpolitik", qui se parent très souvent des habits de la Science.

Tel est le cas de Bruno TERTRAIS (j'en reparlerai ailleurs à propos de son interview du 10-11 septembre 2017 sur la prolifération nucléaire dans "Le Monde"...).

Géopolitologue érudit, il énonce de nombreux faits intéressants à connaître. Malheureusement, il met cette érudition au service d'une apologie d'un "nationalisme modéré" qu'il pense seul réaliste. Il est à ce titre la parfaite illustration intellectuelle du "macronisme", cette tentative folle de marier la carpe réactionnaire et le lapin progressiste, de ménager la chèvre autoritaire et le chou libéral, d'apparier le loup xénophobe et l'agneau réfugié, etc. Ses références intellectuelles contradictoires sont bien illustrées par sa postface où il rend hommage à deux intellectuels aux orientations politiques opposées : Pierre HASSNER, authentique libéral de gauche, et Thérèse DELPECH, authentique libérale de droite.

Ce faisant, il fait l'impasse sur le fait que les excès qu'il dénonce sont consubstantiellement inscrits dans le nationalisme... Il n'y a pas de "nationalisme modéré". Comme le laissait d'ailleurs déjà entendre sa 4e de couverture : "le passé reconstruit, mythifié se venge des fausses promesses du libéralisme et du socialisme. D'anciennes passions ressurgissent. Les peuples s'élèvent contre la dilution des identités dans le grand bain de la mondialisation. La religion du progrès a vécu, balayée par les nationalismes et le fanatisme."

Présenter ainsi la situation, n'est-ce pas déjà postuler qu'il n'y a rien d'autre à faire que de suivre le courant dominant en tâchant de le civiliser ?

Prendre le monde tel qu'il est : certes, c'est le b.a.ba du réalisme. Mais en rester là sans chercher les voies et moyens de le transformer radicalement, c'est abdiquer ses responsabilités d'intellectuel libéral.

 

PASSER DU CONSTAT AUX PROPOSITIONS D'ACTION

 

Cela suppose d'abord d'approfondir l'analyse. Car rien ne nous condamne à un tel renoncement.

C'est ce qu'ont fait, avec un bonheur inégal, reconnaissons-le, les intellectuels internationaux réunis dans le recueil "L'âge de la  régression", déjà analysé en partie ici.

Ainsi, le repli identitaire, bien recensé avec talent par Bruno TERTRAIS, peut être compris comme autre chose qu'une fatalité inexplicable. Il apparaît en effet comme le produit d'une gouvernance mondiale inadaptée aux défis de la mondialisation.

C'est pourquoi, loin de valider le repli souverainiste-national-identitaire, nous devons au contraire promouvoir l'idée et la pratique d'une gouvernance supra-nationale basée sur la défense et l'extension des droits humains universels.

Utopie ? Mais a-t-on réellement d'autre perspective positive ? Et, contrairement aux époques antérieures, et notamment à la "première mondialisation" de 1895-1914, souvent comparée à la période actuelle, des bases existent pour ce pas en avant : reconnaissance universelle de la supériorité des droits humains, institutions multilatérales au niveau des Etats et de la société civile (ONG), mobilisations continentales et mondiales sur les sujets d'intérêt général (climat, désarmement nucléaire...).

Ces bases doivent être renforcées chaque fois que possible.

Et d'abord par un discours refusant les facilités du repli identitaire et portant haut la question de l'intérêt général de l'humanité et de la promotion des droits humains. Et ceci sur tous les sujets. Sans la moindre concession au nationalisme.

C'est seulement ainsi que l'on avancera. Et sûrement pas en suivant peureusement le sens du vent nationaliste. Car celui-ci, encore une fois ne saurait se "civiliser".

Publié dans politique, Histoire, Europe

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