Populisme de gauche ?

Publié le par Henri LOURDOU

Populisme de gauche ?

 

"Il n'a pas d'hélice, hélas !

  • C'est là qu'est l'os !"

    (Bourvil et de Funès

    à propos d'un planeur,

    "La grande vadrouille")

Chantal MOUFFE, qui nous est présentée comme une "inspiratrice de la France Insoumise", affirme notamment, dans une tribune du "Monde" des 16 &17-4-17, intitulée "M.Mélenchon, le réformiste radical" : "Si le populisme de droite a obtenu de meilleurs résultats [que le "populisme de gauche" qu'elle défend ici], c'est parce que la gauche est restée prisonnière d'une vision consensuelle de la politique et d'une méconnaissance du rôle crucial des affects dans la constitution des identités politiques."

 

Je voudrais m'inscrire ici en faux contre ces deux affirmations, et défendre une vision de gauche non-populiste, non consensuelle et fondée sur des affects.

Tout d'abord, si le populisme de droite a toujours en effet une longueur d'avance sur le "populisme de gauche", c'est avant tout parce que le populisme est le terrain naturel de la droite, et non pour les deux raisons avancées par C.MOUFFE;

Il s'ensuit que pratiquer un "populisme de gauche" est une politique de Gribouille qui ne peut, à terme, que renforcer la droite populiste, c'est-à-dire l'extrême-droite.

 

Le populisme est de droite par nature

 

En postulant une "unité du peuple" pré-déterminée, et quoi qu'en dise C.MOUFFE, il s'oppose au pluralisme et au débat démocratique, qu'il prétend pourtant, dans le cas du "populisme de gauche", renforcer.

Il n'est qu'à voir la façon dont a fonctionné le soi-disant "populisme de gauche" latino-américain, donné en exemple par C.MOUFFE.

Que ce soit le péronisme ou ses successeurs et héritiers "bolivariens", ils ont tous cédé, y compris Rafaël CORREA, qui l'avait vertement critiqué dans son livre-programme, au "caudillisme". Ce culte du chef est en effet le seul garant d'une "unité du peuple" imaginaire, et donc toujours remise en question...sauf à la reconstituer artificiellement par l'adhésion a-critique et autoritaire à un chef charismatique. En ce qui concerne CORREA, ex-président d'Equateur au bilan par ailleurs plutôt positif, le masque est tombé à l'été 2013, lorsqu'il a subitement abandonné le projet "Yasuni-ITT" qu'il avait lui-même initié en 2009, sans consultation ni débat. L'abandon de ce projet écologiquement exemplaire, visant à renoncer à l'exploitation de gisements pétroliers dans une zone protégée de la forêt amazonienne en échange d'une compensation de la communauté internationale qui n'est pas venue assez vite, lui a aliéné le soutien des écologistes et d'une bonne partie du mouvement "indigéniste".

Cette incapacité à intégrer le pluralisme et le débat est le péché originel du "populisme de gauche".

Et il ne se voit déjà que trop dans la démarche de JL Mélenchon et les réactions de sa base : refus des partis, refus de toute négociation et de tout accord, forcément basé sur un compromis. Cette logique du "tout ou rien" débouche sur la toute-puissance d'un Chef, en résonance profonde avec les affects autoritaires de droite, mais aussi sur le nationalisme...et donc, mal gré qu'en aient ses leaders et la plupart de ses militants, sur la xénophobie, voire le racisme non dépassés d'une partie notable de ses supporters.

Et c'est là qu'on doit s'interroger sur l'accusation portée contre la gauche non-populiste de porter "une vision consensuelle de la politique".

Car le "populisme de gauche", comme celui de droite, porte, lui, une certaine "vision consensuelle de la politique" : celle du peuple uni contre ses ennemis, l'oligarchie ou l'étranger, qui de fait ont tendance à se rejoindre, voire à se fondre dans "l'affect nationaliste".

Le nationalisme est en effet un des principaux affects mobilisés par le "populisme de gauche" : et il est consubstantiellement, comme le culte du Chef, de droite.

Ainsi, contrairement au planeur évoqué en exergue, qui finit par porter les personnages de la "grande vadrouille" en zone libre, le planeur du "populisme de gauche" est appelé à subir le vent dominant de la droite. Car "il n'a pas d'hélice , hélas !"

 

Pour une gauche non-populiste

 

Certes nous sommes, nous la gauche non-populiste, consensuels. Mais sur un autre terrain que les populistes. Celui du respect des libertés, du pluralisme et de l'alternance démocratique. Et donc, dans ce cadre, sur celui de la construction de vrais majorités basées sur des compromis au sein d'un peuple consubstantiellement divisé.

Il y a là une vision totalement différente, et je dirai même antagonique, de la démocratie.

Nous ne croyons pas, nous, aux "solutions définitives", ni à la "lutte finale" dont est porteur l'imaginaire populiste. S'il est de vrais "réformistes radicaux", ce n'est pas dans le camp populiste qu'ils peuvent se recruter, mais dans une gauche rigoureusement non-populiste.

Et les affects sur lesquels celle-ci peut se développer ne sont pas ceux sur lesquels se fonde le populisme. Ce sont les aspirations à la liberté, la tolérance et la modération, qui doivent épauler (et non contrarier comme c'est le cas à droite et au centre) l'aspiration à la justice et au progrès.

Alors que dans la vision populiste de la politique, ce sont en permanence la liberté, la tolérance et la modération qui sont menacées.

Il n'est qu'à lire les réactions suscitées par tous ceux qui critiquent le populisme de gauche en se plaçant explicitement à gauche : ceux-ci sont régulièrement accusés de trahison, voire pire, dans des termes dont la violence ne peut que donner à réfléchir sur ce que feraient ces "populistes de gauche" s'ils étaient au pouvoir...

(PS : On me souffle, après que j'aie écrit ces lignes, le cas récent du dessinateur Joan Sfarr, exécuté sur les réseaux sociaux après avoir donné une vision "non satisfaisante", aux yeux de certains, des militants de la France Insoumise...alors qu'il en était au départ un sympathisant ... Triste illustration du propos.)

En cela, nous ne pratiquerons pas une "vision consensuelle de la politique" : notre planeur est doté d'une hélice pour aller où nous voulons aller.

 

C'est pourquoi je voterai Benoît HAMON le 23 avril.

 

 

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